« Partout, ce n’étaient que des tas de chair humaine »

Au cours de cette guerre, j’ai assisté à d’horribles massacres, et plus particulièrement dans le quartier de Shujaiya, à Gaza même, où je vivais avant d’être déplacé de force. En juillet, j’ai vu ce que, à Gaza, nous appelons une ceinture de feu, un barrage de nombreux missiles consécutifs qui ciblent tous une même zone.

 

13 août 2024. Des familles affligées de Palestiniens tués lors des attaques israéliennes reçoivent afin de pouvoir les enterrer les corps des victimes à la morgue de l'hôpital Nasser de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza.

13 août 2024. Des familles affligées de Palestiniens tués lors des attaques israéliennes reçoivent afin de pouvoir les enterrer les corps des victimes à la morgue de l’hôpital Nasser de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza. (Photo : Abdullah Abu Al-Khair / APA images)

 

Mustafa al-Jaro, 16 août 2024

Ç’a été l’un des moments les plus difficiles que j’aie jamais vécus.

Mais, samedi 10 août, ç’a été tout aussi horrible. J’ai été témoin une fois de plus d’un nouveau massacre perpétré par Israël.

J’attendais mon père qui devait m’accompagner à la prière de l’aube (fajr), vers 4 heures du matin. Ma famille et moi-même avons été déplacés dans le quartier d’al-Daraj, à Gaza, et nous nous rendions à l’école Tabaeen pour prier, comme nous le faisons habituellement, parce qu’il s’y trouve un espace pour la prière.

Mais mon père, qui prend de l’âge, a été retardé au cours de ses ablutions d’avant la prière.

J’ai entendu un bruit fort et terrifiant et, tout autour de moi, des gens cherchaient la source de tout ce vacarme assourdissant.

J’étais en état de choc. Je savais que mon ami Hassan et son frère Ali, 7 ans, s’étaient eux aussi rendus à l’espace de prière. J’ai appelé Hassan par téléphone et, Dieu merci, il était vivant. Il a dit qu’Israël avait bombardé l’espace de prière et qu’il ne pouvait pas mettre la main sur Ali.

Mon père et moi nous sommes rendus sur les lieux, afin de voir ce que nous pouvions faire, puisque j’ai une formation de paramédical. Il y avait des martyrs partout. Pas un seul corps n’était intact ; rien que des débris humains. J’ai vu des restes d’enfants et de personnes déplacées disséminés partout.

La scène était indescriptible. Nous savons depuis que les bombes israéliennes ont tué au moins 100 personnes.

Des cris et des hurlements emplissaient l’espace autour de l’école. L’air n’était plus qu’une fumée épaisse. Des ambulances sont arrivées et les paramédicaux ont commencé à rassembler les restes humains et à les placer dans des sacs. Nous n’avons pas pu trouver Ali. Hassan a demandé aux sauveteurs ce qu’il devait faire et comment il allait mettre sa mère au courant. Où son frère était-il allé ? Ils lui ont donné un sac avec 35 livres (près de 16 kg) de restes humains appartenant peut-être à son frère.

Partout, ce n’étaient que des tas de chair humaine. Nous avons pu aider quelques-uns des blessés et les accompagner à l’hôpital.

Un garçon d’environ 16 ans était en mauvais état. La partie inférieure de son corps avait été écrasée et ses membres horriblement mutilés. Je l’ai transporté moi-même à l’hôpital : Il n’y avait plus de place dans les ambulances.

Sa main gauche a été amputée et ses autres blessures étaient profondes. Des fragments d’un crâne humain ont été retrouvés dans les os écrasés de ses jambes : des dents et les restes d’une mâchoire inférieure.

Il m’est pénible ne serait-ce que de me rappeler et de décrire cette scène, qui surpassait ce que mon esprit et mon cœur peuvent supporter.

Mon père et moi avons transporté à l’hôpital des dizaines d’autres personnes grièvement blessées et il est plus que probable qu’un grand nombre d’entre elles soient décédées, à l’heure qu’il est, puisqu’elles ont dû attendre dans les corridors de l’hôpital, avant de pouvoir être soignées.

Dans mon esprit, à mesure que tout cela se passait, je continuais à raconter tout ce que je voyais. J’étais un témoin vivant. Peut-être, si mon père avait été plus rapide pour procéder à ses ablutions, aurions-nous été tués nous aussi et les restes de nos corps démembrés déposés en tas sans qu’il eût été possible de les identifier.

J’ai éprouvé un puissant désir de faire savoir au monde ce qui se passe réellement à Gaza. Et, même comme cela, il n’est pas possible de décrire totalement les choses telles qu’elles sont, et ni l’esprit ni le cœur ne peuvent le supporter.

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Mustafa al-Jaro est un paramédical bénévole à Gaza.

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Publié le 10 août sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également à propos de ce massacre : Une frappe israélienne sur l’école Tabaeen tue plus de 100 Palestiniens

 

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