Vu la destruction de son campus, l’Université islamique de Gaza reprend ses cours en ligne
Je ne m’inscrirai pas aux cours, ce semestre. Quand j’ai vu sur Facebook que l’Université islamique de Gaza (UIG) avait ouvert un registre d’inscription à des cours en ligne – en ligne, puisque Israël a détruit le campus de l’UIG – j’ai envisagé pendant quelque temps de m’inscrire à des cours. Mais, pour finir, mon enthousiasme s’en est allé et j’ai décidé de ne pas le faire.
Huda Shaik, 29 août 2024
La situation ici est incroyablement inconfortable. J’ai été déplacée et je vis sous une tente à Nuseirat, dans la partie centrale de Gaza, en compagnie d’une vingtaine de personnes. Internet est lent, il y a du bruit en permanence autour de moi, on risque à tout moment de devoir évacuer et ma santé mentale est en dessous de tout.
Cela aurait été ma troisième année d’études en littérature anglaise à l’UIG. Et, dans des circonstances normales, le début du semestre académique aurait été un moment de promesse et de nouveaux commencements.
Pas cette année.
Je ne pouvais imaginer de participer à des cours officiels, même en ligne. Je suis actuellement une étudiante de deuxième année. Je suis bloquée à cette année.
Souvenirs du Bâtiment N
L’an dernier, à ce moment, je m’inscrivais aux cours de langue et de littérature anglaises. J’ai choisi cette branche parce que j’espère bien devenir professeure moi-même un de ces jours.
Chaque matin, quand je me rendais à l’université, les rues autour du campus étaient peuplées d’étudiants venus de tout Gaza pour parfaire leurs connaissances.
Nous nous dirigions vers nos bâtiments respectifs et nous nous installions sur nos sièges avec nos stylos et nos cahiers, en attendant le début du cours.
Je me rendais au Bâtiment N pour les cours sur Shakespeare et la poésie ; les éléments inhérents aux nouvelles, l’intrigue aristotélicienne, la pièce de Sophocle sur Œdipe, l’art de la traduction et la linguistique. Ensuite, lors des pauses, je rencontrais des amis afin de bavarder et de rattraper mon retard sur la vie.
Aujourd’hui, la Bâtiment N est complètement détruit. Incendié totalement lors d’une attaque israélienne. Disparue également, la bibliothèque du campus, où je passais d’innombrables heures à lire et à étudier. Le bâtiment administratif, où je rencontrais des professeurs pour les heures d’ouverture, et la salle de conférence, qui était le site des remises de diplômes et des expositions des étudiants.
La destruction de ces bâtiments n’est pas seulement une perte structurelle. C’est une perte profondément personnelle – l’oblitération de souvenirs et d’un mode de vie, lorsque mes préoccupations quotidiennes tournaient autour de la créativité et de la productivité.
Je me languis de ces jours où je pouvais me perdre dans ma quête de savoir et dans mes livres de classe.
L’éducation en tant que résistance
Continuer d’étudier et de parfaire son éducation en ce moment même, au cours de ce génocide, a tout désormais d’un acte de résistance et de revendication.
Les rythmes familiers de la vie universitaire ont été bouleversés, remplacés par un environnement où la sécurité est un luxe et où les clameurs du conflit nous rappellent constamment notre réalité.
S’asseoir à un bureau et lire n’est plus une possibilité mais un symbole de la vie du passé qui semble de plus en plus hors d’atteinte.
Parfois, regarder en arrière est douloureux. Je repense à l’an dernier, quand j’avais récité le poème « À Jérusalem » de Tamim al-Barghouti lors du festival annuel organisé par le département d’anglais et où les étudiants récitaient des poèmes, chantaient ou jouaient dans des pièces. C’était une occasion pour nous de faire face à nos craintes et de sortir de notre coquille.
Je me souviens de la fierté que j’avais éprouvée lorsque, sur scène, les applaudissements avaient suivi.
« Vous êtes tous et toutes les étoiles brillantes du département d’anglais »,
nous avait dit le doyen du département.
Je me sentais pleine d’espoir et déterminée à ce que l’avenir que j’envisageais pour moi devienne réalité.
Mon rituel matinal
Je ne me suis pas inscrite aux cours, mais je continue d’étudier et d’apprendre. Chaque vendredi, une amie et moi nous nous asseyons l’une à côté de l’autre pour discuter pendant un bout de temps de ce que nous avons appris durant la semaine au cours de nos études indépendantes.
Chaque matin, je me réveille avec les bruits des explosions d’artillerie ou les vrombissements des drones. Une lumière très diffuse filtre à travers les fentes de nos rideaux de fortune dans la tente. Je quitte mon matelas posé à même le sol et par terre et j’entame ma journée.
Mon rituel matinal est important pour moi. Ma première tâche consiste à m’asseoir un instant et à tenter de trouver un peu de paix dans tout ce bruit et ce chaos. Je lis les infos en anglais et j’écris des histoires et des poèmes.
Il est plus difficile de faire aujourd’hui ces choses qui venaient facilement naguère. Je dois me battre pour télécharger des livres sur mon téléphone, avec cet internet généralement très lent et souvent indisponible. Les stylos et les carnets que j’utilise aujourd’hui sont différents et plus coûteux que ceux que j’utilisais auparavant.
Mais je sais que chaque ligne que j’écris et chaque jour où je poursuis ma propre éducation constitue une position de défi à la destruction qui m’encercle.
Que je dispose ou pas d’un bureau, d’une connexion internet fiable, de stylos fantaisie, de papiers autocollants et de sécurité, de toutes ces choses que je considérais naguère comme allant de soi, je me consacre de tout cœur à mon éducation.
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Huda Skaik est étudiante en littérature anglaise. Elle est aussi écrivaine et vidéaste.
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Publié le 29 août 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine