Entre deux terrains : Jihad Mughniyeh, l’étudiant combattant
L’article « Entre deux terrains : Jihad Mughniyeh, l’étudiant combattant » a d’abord été publié en arabe, puis traduit en anglais. Il a été écrit par Fairouz Salameh, prisonnière palestinienne libérée, activiste et journaliste qui accueille actuellement la série « Prisoners of War » (Prisonnier.e.s de guerre) sur Free Palestine TV, série dans laquelle elle interviewe d’autres prisonnier.e.s palestinien.ne.s libéré.e.s. Cet article revêt une importance particulière pour toutes les personnes impliquées dans le mouvement étudiant pour la libération de la Palestine. Merci aux traducteurs pour leur important travail !
L’article a d’abord été publié en arabe le 21 juin 2024, sur le site Bal el-Wad : https://babelwad.com/ar/نصوص/بين-ميدانين-جهاد-مغنية-الطالب-المقاتل/
La présente traduction en français a été réalisée à partir de la version anglaise de l’article.
Fairouz Salameh, 28 octobre 2024
« Toute pensée sans pouvoir reste une théorie érodée par les livres, et tout pouvoir sans pensée reste une réaction sans continuité ni impact. » [1]
Alors que se poursuit la guerre génocidaire sioniste contre la bande de Gaza, une guerre venue en réponse à la percée de la résistance lors de l’opération Déluge d’Al-Aqsa, le 7 octobre 2023, la question « Que faire ? » se pose sous la forme d’une enquête sur le rôle et la position dans cette guerre des diverses composantes de la société palestinienne.
C’est particulièrement vrai pour les étudiant.e.s dans les universités palestiniennes et arabes, en ce sens que cela coïncide avec l’actuelle extension de la confrontation avec le colonialisme sioniste aux campus universitaires du monde entier.
Cette question nous conduit auprès d’une personnalité arabe qui se l’est posée par le biais de la pensée et de l’action sur le campus de l’Université américaine (libanaise) de Beyrouth (UALB) : le martyr Jihad Mughniyeh.
Dès l’instant où il a rejoint l’université, Mughniyeh s’est attelé à définir le rôle de l’étudiant.e universitaire dans la confrontation à l’ennemi sioniste, partout où il existe et s’est établi, sans recourir au bavardage futile de la théorisation.
Dans les cercles académiques, y compris l’université fréquentée par Mughniyeh, le point de vue dominant traitait le travail de résistance et l’étude comme des tâches bien distinctes et séparées. Mughniyeh, toutefois, allait s’efforcer de connecter et d’équilibrer ces deux aspects en faisant en sorte qu’aucun des deux n’éclipse l’autre. Il n’y a pas de travail de résistance sans une éducation efficace et pas d’éducation efficace sans travail de résistance.
Sans introductions
Jihad Imad Mughniyeh est né le 2 mai 1991, à Tair Debba, dans le district de Tyr du Liban-Sud. Il est le fils du commandant et martyr Imad Mughniyeh (connu sous le surnom de Hajj Radwan), tué le 12 février 2008. Mughniyeh Jr s’est inscrit à l’UALB en 2009 pour étudier la gestion d’entreprise.
Son but, dans son éducation universitaire, était clair et spécifique. Le martyr Mughniyeh possédait une disposition d’esprit unique qui le différenciait de ses pairs, et c’était dû à l’influence du mouvement de la résistance islamique dans son développement qui contrastait fortement avec l’atmosphère conventionnelle de l’UALB.
Le choix par Mughniyeh de la gestion d’entreprise venait probablement des qualités de leadership et d’organisation qui prédominaient dans sa personnalité. Cette spécialisation lui offrait également une opportunité de peaufiner ses capacités de leadership en vue d’un rôle futur dans le travail de terrain.
Durant le temps qu’il passa à l’université, Mughniyeh réfléchit constamment au rôle des étudiants universitaires dans les activités de résistance et à la façon d’approfondir leur engagement. Au contraire des autres étudiants, qui étaient avant tout concernés par leur inscription aux cours et leur adaptation à un nouvel environnement social durant la transition entre l’école et l’université, le centre d’intérêt de Mughniyeh était plus large.
Il s’efforçait d’équilibrer son engagement dans ses objectifs académiques et son dévouement au devoir national et religieux de résistance, tout en reconnaissant en même temps le rôle éducationnel de l’université. Mughniyeh percevait l’université comme une arène très importante pour l’action et pour le travail d’influence dans le cadre de l’émancipation de la pensée de la résistance.
Par conséquent, il a utilisé sa présence pour servir de lien de réseau entre deux mondes : l’arène des études universitaires et celle du djihad.
Le mouvement dans l’arène de l’université : la mobilisation et la diffusion de la pensée de la résistance
Mughniyeh a commencé son travail à l’UALB un an après s’y être inscrit. Il a créé une association estudiantine affiliée au Mouvement de résistance islamique au Liban – le Hezbollah.
Cette association comprenait plusieurs comités, chacun abordant une facette différente de la vie universitaire : le travail politique, les activités culturelles et les clubs estudiantins. Chaque comité avait son propre représentant estudiantin. Jihad lui-même assumait la supervision des activités de ces comités, tant sur le campus qu’en dehors, travaillant en coordination directe avec l’appareil de mobilisation éducationnelle de la résistance.
Le recrutement de Mughniyeh marqua un changement qualitatif dans l’activisme estudiantin à l’université, en établissant une présence représentative pour la résistance islamique et en créant pour elle une base estudiantine qui avait été absente précédemment.
Tirant parti de sa situation unique de fils d’un chef martyr de la résistance et des connexions qu’il avait héritées, Mughniyeh travaillait en réseau avec les étudiants afin de catalyser le changement.
Il se concentrait sur la mise en place d’une base estudiantine dans cette université en raison de sa démographie unique : des étudiants venus des cercles sociaux de l’élite, souvent connectés à des personnalités éminentes ou à des hommes d’affaires prospères, qui n’avaient que peu, voire pas du tout, d’engagement avec l’idéologie de la résistance ou ses programmes.
Il était typique de la part de ces étudiants qu’ils passaient avant tout leurs vacances d’été dans des pays européens et qu’ils poursuivaient des carrières à l’étranger une fois en possession de leurs diplômes. Mughniyeh a vu là une occasion de connecter ce groupe avec le mouvement de la résistance, en percevant leur rôle potentiel en tant qu’étudiants universitaires comme un ajout qualitatif à la cause.
Il croyait que ces étudiants, armés de savoir, de capacités d’argumentation et de preuves pourraient devenir des éléments conscients au sein de la résistance.
Mughniyeh était fermement convaincu de la nécessité de la conscientisation, de la compréhension et de l’engagement envers les principes de la résistance reposant sur une conviction rationnelle plutôt que sur la simple émotion.
De cette façon, il envisageait des combattants étudiants qui pourraient activement contribuer à donner forme au discours quotidien de la résistance et à affronter les discours de reddition et de soumission.
Le discours populaire dominant au Liban à propos de la résistance (le Hezbollah) célèbre cette dernière comme une force solide et victorieuse, et l’allégeance qu’elle suscite découle souvent de son image de succès.
Mughniyeh, toutefois, se distanciait de ces discours dans ses interactions avec les étudiants. Il insistait sur la nécessité pour les étudiants universitaires de soutenir la résistance non simplement pour sa force et ses victoires, mais parce qu’il représentait la seule voie viable vers la véritable liberté.
Mughniyeh cultivait cette perspective rationnelle parmi les jeunes qu’il recrutait pour la résistance. Il voulait absolument développer les étudiants à la fois politiquement et culturellement, dans le but de transformer leur trajectoire de réussite académique apolitique à travers diverses disciplines en une trajectoire où ils utiliseraient leurs connaissances et leur expertise au service d’une société favorable à la résistance.
Mughniyeh disait souvent :
« Si nous pouvions élever chaque groupe de jeunes de chaque quartier à un statut d’élite, nous serions à même de nous engager dans tous les segments de la société, grâce à la capacité des étudiants à l’interaction tant horizontale que verticale au sein de leurs communautés. »
Cette déclaration reflétait la conviction du martyr de ce que les étudiants constituaient l’élite de la société et qu’ils pouvaient fournir un soutien crucial à la résistance et à sa base.
L’université était une nécessité, à ses yeux, et la perception qu’il avait de son rôle est manifeste dans cette déclaration :
« Il y a une abondance d’armes, mais le problème réside dans les personnes qui se tiendront derrière ces armes ; le combat aujourd’hui est un combat d’esprits, d’armes et de technologie. Si nous ne sommes pas éduqués, qui portera l’arme ? Qui développera cette arme et qui développera la technologie et assurera sa mise à jour régulière ? Et qui représentera la résistance dans les conférences et sur les plates-formes des médias ?
En tant que mouvements de résistance et de libération, nous avons besoin de personnes provenant de divers domaines, exactement comme celles qui combattent avec les armes sur le front et, ainsi donc, être à l’université fait partie de ma mission au sein du mouvement de libération auquel j’appartiens, qu’il s’agisse de la Résistance islamique ou d’autres mouvements. »
Mughniyeh incarnait l’unité des mots et des actions, vivant selon les principes qu’il avait adoptés. Son appel adressé « aux personnes éduquées qui travaillent » n’était pas simplement rhétorique ; il dirigeait par l’exemple, excellant à la fois dans ses études et dans ses activités de résistance. Il rappelait fréquemment à ses pairs :
« Je ne vous dis pas ce que vous devriez faire, mais ce que nous devons tous faire. Et je serai le premier parmi vous à le faire. »
Cette constance situait Mughniyeh à part et attirait les autres vers lui, puisque ses relations étaient bâties sur des bases de camaraderie fraternelle.
Mughniyeh a bâti ses relations sur une base solide de confiance et d’honnêteté, nouant des liens durables plutôt que de se faire de vagues connaissances pendant l’une ou l’autre étape temporaire.
Il consacrait la majeure partie de son temps aux étudiants, s’engageant avec eux à la fois sur le campus et à l’extérieur, pendant et après les heures de cours. Son but était de forger un mouvement soutenu plutôt qu’un simple cadre administratif d’activisme estudiantin.
Alors que bon nombre de ses pairs à l’université se concentraient uniquement sur les activités académiques, Mughniyeh orientait surtout ses efforts sur la cause de la résistance et en particulier sur la lutte palestinienne.
La Palestine était un thème constant dans chaque rassemblement ou discussion qu’il avait avec ses pairs. Lors d’une session avec des étudiants, en 2011, comme Mughniyeh évoquait son père avec des larmes aux yeux, il comprit qu’il ne s’y prenait pas de la bonne façon.
Il comprit que le véritable chagrin et la loyauté ne s’exprimaient pas uniquement pas la tristesse, mais par le travail réel sur le terrain, dont l’activisme estudiantin, selon lui, constituait une des formes les plus nobles.
Mughniyeh partageait souvent son histoire personnelle avec ses camarades étudiants et l’utilisait pour renforcer leur connexion avec ceux qui étaient devenus des martyrs, qu’ils aient eu une relation directe avec eux ou pas. Son message était clair : Honorer les martyrs signifiait activer leur rôle au sein du mouvement de résistance pour lequel ces mêmes martyrs avaient sacrifié leur vie.
Du salut individuel au salut collectif
Mughniyeh reconnaissait que le travail de résistance comprenait de multiples dimensions et ce, dans divers domaines. Il comprenait que le mouvement de résistance requérait des combattants sur divers fronts : des ingénieurs pour développer des armes, des médias professionnels capables de transmettre la cause, des administrateurs politiquement avisés et des programmateurs à même de garder la résistance techniquement compétitive à une échelle globale.
Par conséquent, Mughniyeh s’efforça de renforcer la connexion entre les étudiants de diverses disciplines et les questions politiques et en particulier celles qui concernaient les opprimés. Son but était de faire en sorte que cet engagement devienne une partie intégrante de leur future vie professionnelle, et ce, en ravivant chez eux un sens de la responsabilité sociale.
L’approche de Mughniyeh était enracinée dans ce qu’il appelait une « inclination sociétale collective » – sa foi en ce que les gens sont intrinsèquement enclins à soutenir les opprimés, mais ont souvent besoin de la guidance d’un chef qui soit proche d’eux et à même d’initier le changement.
Dans l’environnement estudiantin, Mughniyeh émergea en tant que dirigeant de ce genre, s’adressant à ses pairs dans un langage rationnel, scientifique qui pouvait concilier leurs divergences tout en bâtissant sur leurs expériences partagées. Pendant cette période, le paysage politique du Liban n’était pas aussi nettement divisé qu’il ne l’est aujourd’hui et l’opposition à l’entité sioniste était largement incontestée. Le discours de la résistance était prévalent et Mughniyeh tirait parti de ces points communs.
L’impact de Mughniyeh sur le travail de terrain estudiantin modifia les orientations des étudiants qui passèrent des préoccupations individuelles aux questions plus larges de la résistance, ce qui leur permit de comprendre leur rôle dans sa continuité et son succès. L’environnement universitaire devint une base efficace et influente des voies tant politiques que scientifiques. Ce qui naguère était absent de la vie des campus était devenu indispensable, avec les jeunes de la résistance islamique et leurs activités servant de modèle pour le corps estudiantin plus large. Durant le temps qu’il passa à l’université, Mughniyeh y établit avec succès un ancrage pour la résistance islamique, ce qui, auparavant, n’avait été qu’un rêve lointain. Il remodela les perspectives estudiantines, les envoyant au-delà d’une compréhension simplement théorique vers un point de vue qui fusionnait la théorie et l’action pratique ; partant, il fut à même de rapprocher de nouvelles organisations estudiantines de la pensée et de la voie de la résistance.
Un chapitre terminé et un autre toujours ouvert
De Jihad en tant que « nom » à Jihad en tant que « verbe » ; pendant les études de Mughniyeh à l’université, il ne quitta pas le travail djihadiste militaire, mais réconcilia les deux voies.
À l’époque où il pressait les étudiants d’agir, il était en train, de façon non déclarée, de terminer les chapitres de son travail djihadiste à l’extérieur de l’université.
Durant l’année 2012, certaines circonstances émergèrent dans cette arène qui le forcèrent à rejoindre les rangs en formation dans l’arène du djihad. Cela l’obligea à reporter son dernier semestre, qu’il avait l’intention de terminer après avoir fini sa mission d’entraînement et de préparation.
Toutefois, en 2015, le 18 décembre exactement, Mughniyeh se trouvait à Quneitra avec un convoi de moudjahidines quand ils furent la cible d’un raid aérien sioniste, et tous moururent. Jihad Mughniyeh fut enterré près de son père dans le partie de Ghobeiry du faubourg sur du cimetière Rawdat Al Shahidain.
Avec l’ascension de Mughniyeh en tant que martyr, le chapitre de l’université resta ouvert, sans avoir été clôturé par son diplôme de la scène universitaire où il avait entamé sa trajectoire djihadiste.
Jihad n’est pas parti en tant que jeune homme qui a choisi la voie du djihad comme une alternative à la voie éducationnelle universitaire. Mais sa voie académique faisait plutôt partie de sa voie djihadiste, qu’il avait l’intention de parachever après avoir terminé sa mission.
Toutefois, les raids sionistes perfides terminèrent ce chapitre par un martyre en plein djihad, plutôt que par une remise de diplôme universitaire. Jihad est monté au ciel avant d’avoir pu se hisser au stade du diplôme et délivrer son discours final en tant que diplômé.
Le martyr Jihad, un jeune étudiant universitaire libanais qui a réalisé ces accomplissements en assumant cette mission et en travaillant dans le cadre de sa société et de son environnement, est devenu une icône dans les esprits et les cœurs de nombreux jeunes Arabes après avoir atteint le martyre.
Mughniyeh fut une dynamo pour le travail de résistance, avec la Palestine comme préoccupation centrale. Elle était présente dans ses mots, ses lectures et sa conscience, non pas comme un simple détail dans le cours de son travail, mais pour lui, car il était la résistance incarnée.
« Nous montrerons au monde entier comment se forge la liberté et comment la victoire est faite de sang. » [2]
« Nous nous enorgueillissons d’être le fruit de ceux qui ont ouvert un œil au djihad en l’ayant choisi avec sincérité, et fermé un oeil au martyre avec volonté et passion. » [3]
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Publié le 28 octobre 2024 sur Samidoun
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Notes
[1] Citation extraite d’une vidéo d’archive du martyr Imad Mughniyeh. https://rb.gy/vrwn55
[2] Citation extraite d’un discours du martyr Jihad Imad Mughniyeh délivré le 16 mars 2013. https://rb.gy/pvxl4f
[3] Ibidem. https://rb.gy/pvxl4f
[4] L’article s’appuie sur une interview lointaine réalisé par l’auteure le 9 mai 2024 auprès d’un ami et collègue du martyr à l’UALB.
Traduction de l’arabe en anglais : DZ.
Traduction et adaptation de l’anglais en français : Jean-Marie Flémal.