Pourquoi l’UE traite-t-elle un criminel de guerre israélien en VIP ?
En avril, le service diplomatique de l’UE accueillait à Bruxelles un « dialogue stratégique » en compagnie de l’European Leadership Network (Elnet – Réseau de leadership européen), un groupe de pression pro-israélien. L’événement était présidé par Amos Yadlin, qui aurait normalement dû être arrêté par la police dès son arrivée sur le sol belge.
David Cronin, 8 janvier 2025
À de rares exceptions, la presse bruxelloise n’a pas pris la peine d’examiner la façon dont l’Union européenne dorlote Israël et ses partisans alors qu’un génocide bat son plein à Gaza.
Un fait que vous n’avez certainement pas pu voir dans les médias traditionnels au cours de l’année 2024 concerne l’accueil VIP réservé par Bruxelles à un criminel de guerre.
En avril, le service diplomatique de l’UE accueillait à Bruxelles un « dialogue stratégique » en compagnie de l’European Leadership Network (Elnet – Réseau de leadership européen), un groupe de pression pro-israélien. L’événement était présidé par Amos Yadlin, qui aurait normalement dû être arrêté par la police dès son arrivée sur le sol belge.
Une bonne dizaine d’années plus tôt, un tribunal d’Istanbul avait émis des mandats d’arrêt contre plusieurs Israéliens, dont Yadlin. Il était chef des renseignements militaires au moment où l’armée avait attaqué une flottille qui tentait de briser le siège de Gaza en mai 2010 [l’affaire du Mavi Marmara – NdT].
À l’époque, Yadlin arrivait au terme de sa carrière militaire officielle. Il avait passé une partie de la décennie précédente à plancher sur la façon dont Israël aurait pu mener la guerre en respectant l’« éthique ».
Yadlin n’a pas réussi en tant que philosophe moral. Si ç’avait été le cas, il lui aurait fallu dénoncer les actes d’agression auxquels il avait participé.
Par exemple, il était pilote d’avion, lors de l’invasion du Liban en 1982. Dans son livre, Liban, nation martyre, Robert Fisk faisait remarquer que ces pilotes étaient responsables d’avoir
« tué des milliers de civils, écrasé des familles entières entre les murs, les sols et les meubles de leurs logements avec une telle violence absolue que, souvent, leurs corps émergeaient des décombres comme aplatis en ombres immenses ».
« Des actions puissantes et douloureuses »
En 2006, Yadlin – devenu chef des renseignements militaires – faisait partie des généraux supervisant une autre offensive importante contre le Liban. Il allait jouer un rôle similaire dans l’opération « Plomb durci », la première d’une série d’agressions à grande échelle contre Gaza, entre fin 2008 et début 2009.
Les destructions massives que lui et d’autres avaient infligées alors étaient inadéquates, de son point de vue. En 2018, dans son interview accordée au journal de Tel-Aviv, Maariv, il prônait avant tout « des actions puissantes et douloureuses », visant théoriquement à provoquer l’effondrement du Hamas.
Un télégramme de 2007 publié par WikiLeaks indique qu’il avait dit en privé tout autre chose sur le Hamas que ce qu’il avait dit en public.
Selon ce télégramme, Yadlin avait dit à un envoyé américain qu’Israël aurait été « heureux » si le Hamas avait pu prendre en charge l’administration de Gaza. Cela aurait permis à Israël de traiter avec Gaza en tant qu’« État hostile ».
Plus tard, en 2007, Israël avait en effet désigné Gaza comme un « territoire hostile ». Cette désignation avait débouché sur un châtiment collectif contre les habitants de l’enclave, châtiment qui a culminé avec l’actuel génocide.
Après sa retraite de l’armée, Yadlin n’allait pas manquer de travail en tant qu’analyste et consultant en « sécurité nationale ».
Il allait continuer de plaider en faveur de mesures qui valent d’immenses douleurs et souffrances aux Palestiniens. En mars dernier, il avait cherché à justifier les bombardements des infrastructures civiles de Gaza en affirmant :
« Nous savons déjà, aujourd’hui, que le Hamas place toujours des postes de commandement sous les hôpitaux, les sites de l’ONU, les écoles, les camps, etc., etc. »
On ne sera donc pas surpris si le service diplomatique de l’Union européenne n’a pas fait la publicité de la façon dont il a contribué à mettre sur pied le « dialogue stratégique » de l’an dernier avec Yadlin.
Parmi les autres hôtes de l’événement, l’European Leadership Network (Elnet), avait pris ombrage des commentaires émis par Josep Borrell, à l’époque chef de la politique étrangère de l’UE, quelques semaines plus tôt à peine. Elnet avait qualifié l’accusation de Borrell disant qu’Israël avait provoqué l’affamement des Gazaouis de « fausse, non fondée et diffamatoire ».
Les diplomates européens qui avaient arrangé l’événement avec Elnet travaillaient en fait sous la direction de Borrell. Plutôt que de défendre leur patron contre les insultes dont il faisait l’objet, les diplomates avaient choisi le camp de l’organisation qui proférait ces insultes.
On peut se faire une idée, dans le résumé de l’événement par Elnet, des recommandations du lobby à propos des futures relations entre l’UE et Israël. L’une de ces recommandations dit ceci :
« En aidant l’Europe à développer un système de défense aérienne multicouche, Israël accroît ses opportunités de fournir des [missiles] Arrow 3 à l’Allemagne. »
Depuis que cette recommandation a été exprimée, Ursula von der Leyen a identifié le développement d’un tel système – conçu tacitement sur le Dôme de Fer israélien – comme étant une priorité de son second mandat de présidente de la Commission européenne.
Tout cela implique que les lobbyistes et les diplomates ont discuté en toute amitié sur la façon dont Israël pourra tirer profit de cette promotion concertée pour induire l’Europe à dépenser davantage en armement.
De tels échanges verbaux seraient dérangeants quelles que soient les circonstances. Le fait qu’ils ont lieu alors qu’Israël mène une guerre d’extermination les rend en outre réellement sinistres.
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Publié le 8 janvier 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine