468e jour : Comment la résistance de Gaza a vaincu Israël

Quelle que soit la pression exercée par Trump sur Israël afin de signer un accord qu’il a longtemps rejeté, cela ne se serait pas produit sans la réalité militaire d’une résistance incessante et acharnée sur le terrain à Gaza, comme l’a fait remarquer Jon Elmer dans son rapport sur la résistance de cette semaine.

 

Ali Abunimah, 18 janvier 2025

Il existe bien des incertitudes et des appréhensions à propos du cessez-le-feu et de l’accord d’échange de prisonniers entre Israël et le Hamas censés entrer en vigueur dimanche à 8 heures du matin, heure locale.

Mais Ahmed Alnaouq n’a aucun doute à propos de ce que cela signifie.

« Ces 15 derniers mois, j’ai pensé que ce moment ne viendrait jamais. Je pensais qu’Israël était déterminé – et je sais qu’il l’était – à nettoyer ethniquement les Palestiniens de Gaza, à détruire Gaza »,

a déclaré cette semaine Alnaouq lors du livestream de The Electronic Intifada.

Mais, quand Alnaouq a su qu’Israël avait accepté de se retirer de Gaza et de libérer des prisonniers, il a compris qu’« Israël n’avait pas vaincu le peuple palestinien ».

« J’ai pensé, dans mon cœur, que Gaza avait gagné », a déclaré Alnaouq.

L’analyse de l’accord et de la façon dont le président américain entrant Donald Trump a forcé Israël à l’accepter – ce qui en a surpris beaucoup –, de même que ce que cela signifie pour l’avenir, tels étaient les thèmes de l’émission de cette semaine.

Vous pouvez visionner la totalité de l’épisode dans la vidéo ci-dessous (en anglais).

 

Nous avons également présenté un entretien avec Shir Hever, le coordinateur de l’embargo militaire pour le Comité national palestinien de boycott, désinvestissement et sanctions (BNC).

Dans son bulletin d’information, notre rédactrice adjointe Nora Barrows-Friedman a mis en exergue la joie des gens de Gaza à la perspective de la fin du génocide, même si, au cours des jours qui ont précédé le début du cessez-le-feu, Israël a intensifié ses massacres impitoyables un peu partout dans le territoire.

Le reportage sur la résistance réalisé par notre rédacteur contributeur Jon Elmer se concentrait sur la façon dont les combattants sur le terrain n’ont jamais cessé de défendre chaque recoin de Gaza, infligeant ainsi une attrition douloureuse et permanente à une armée israélienne ébranlée et démoralisée.

Bien qu’Ahmed Alnaouq ait été au Royaume-Uni tout au long du génocide, il n’est pas naïf à propos de l’ampleur sans précédent de la mort et de la destruction semées par Israël.

Dans les toutes premières semaines du génocide, Israël a bombardé la maison de sa famille – qu’il avait aidé à construire de ses propres mains – tuant 21 de ses proches parents : Nasri Alnaouq, 75 ans ; sa sœur Walaa et ses enfants Raghd, 13 ans, Eslam, 12 ans, Sara, 9 ans et Abdullah, 6 ans ; son frère Muhammad et ses enfants Bakr, 11 ans, Basema, 9 ans ; sa sœur Alaa et ses enfants Eslam, 13 ans, Dima, 12 ans, Tala, 8 ans, Noor, 4 ans, et Nasmah, qui venait d’avoir 2 ans ; sa sœur Aya et ses enfants Malak Bashir, 12 ans, Mohammed Bashir, 9 ans et Tamim Bashir, 6 ans.

L’attaque israélienne avait également tué le frère d’Ahmed, Mahmoud Alnaouq, 25 ans, et son cousin Ali Alqurinwi, 35 ans.

« J’ai perdu tous ceux dont je me souciais à Gaza »,

a déclaré Alnaouq, qui a déjà survécu à de précédentes attaques d’Israël contre le territoire.

Alnaouq est réservé à propos de ce qui va venir ensuite.

« Je ne vais pas romantiser l’avenir de Gaza », a-t-il dit. « Je sais que Gaza ne sera pas un paradis, dès que le génocide cessera », et la reconstruction sera un processus difficile, de plusieurs années. Mais il reste certain que la victoire de Gaza va mener tous les Palestiniens sur la voie de la libération.

« Il n’y aura jamais de paix définitive tant que la Palestine ne sera pas libre, tant que le régime d’apartheid ne sera pas démantelé, tant que l’occupation ne sera pas levée »

a déclaré Alnaouq, en pressant les gens du monde entier à poursuivre leur solidarité et leur activisme.

 

L’embargo militaire se renforce contre Israël

« Il y a pour l’instant une crise profonde au sein de la société israélienne, et la seule raison pour laquelle Netanyahou est en mesure de rester au pouvoir est d’entretenir une crise permanente »,

a déclaré Shir Hever dans le livestream.

« Il a besoin du génocide pour continuer. Il a également besoin de la continuation de la souffrance, pas seulement du côté palestinien, mais aussi dans le camp israélien. »

Mais, selon Hever, les divisions croissantes au sein de la société israélienne se traduisent par une instabilité politique chronique et rendent sa stratégie intenable.

Une faille clé se situe entre les circonscriptions religieuses juives ultra-orthodoxes, qui ont largement soutenu la guerre génocidaire mais dont les membres ne rallient pas l’armée, d’une part, et les Israéliens plus laïques qui, à une majorité écrasante, portent le fardeau de la mort et des blessures, d’autre part.

« Il n’y a tout simplement pas de possibilité avec ce système d’apartheid, qui repose sur tant de haine entre les différents groupes qu’aucune sorte de gouvernement majoritaire ne pourrait durablement rester au pouvoir »,

a déclaré Hever.

Hever prétend aussi qu’un embargo militaire mondial croissant restreint également la capacité d’Israël à poursuivre la guerre, même si Israël ne l’admet pas. Plus que jamais, Israël est uniquement dépendant des États-Unis.

Et, alors que l’administration Biden sortante n’a jamais restreint de façon significative l’envoi d’armes vers Israël, Donald Trump, dont la personnalité est très changeante, pourrait le faire. Hever dit :

« Il existe en Israël la compréhension de ce que l’indépendance de l’armée israélienne, sa capacité à continuer de se battre, est quelque chose de tout à fait différent, désormais, et c’est une conséquence directe de l’embargo militaire. »

Les actions des pays du monde entier afin de restreindre le flux d’armes vers Israël sont soulignées dans un nouvel article du BNC intitulé « L’embargo militaire est présent. »

L’article dit que « les gouvernements du Sud mondial entreprennent des démarches importantes vers la concrétisation de l’embargo militaire. »

Mais il explique également comment

« même les pays occidentaux qui sont parmi les plus fervents partisans de l’apartheid et du colonialisme israéliens sont forcés d’annoncer publiquement leurs mesures et d’appliquer partiellement un embargo militaire contre Israël, sous peine de risquer des procédures juridiques ».

Un aspect fréquemment négligé de l’embargo, selon Hever, réside dans la façon dont des tiers pays, telle l’Espagne, interdisent le transfert d’armes vers Israël via leurs ports, ce qui complique grandement la chaîne d’approvisionnement du génocide.

Nous avons également discuté avec Hever de la tension socioéconomique croissante, de désinvestissement, de la crise croissante de la dette et de la fuite des cerveaux, du fait que les Israéliens, qui ne sont pas sûrs de l’avenir, cherchent à se créer une existence plus sûre à l’étranger.

 

Donald Trump met la pression sur Israël

Dans son discours de juin devant le Congrès américain, Netanyahou avait exposé les objectifs de guerre d’Israël.

« La guerre à Gaza pourrait se terminer demain si le Hamas se rendait, s’il désarmait et s’il renvoyait tous les otages »,

avait déclaré le dirigeant israélien.

« Mais, s’ils ne le font pas, Israël combattra jusqu’à ce que nous détruisions les capacités militaires du Hamas et son pouvoir à Gaza et que nous ramenions nos otages au pays. »

« C’est ce que signifie une victoire totale et nous ne nous contenterons de rien de moins »,

avait ajouté Netanyahou.

Mais, comme le faisait remarquer notre rédacteur contributeur Jon Elmer dans notre discussion sur l’accord de cessez-le-feu, Israël n’a réalisé aucun de ces buts.

« Le génocide était censé mettre la pression sur Qassam pour qu’il se rende et qu’il renvoie les prisonniers »,

a dit Elmer.

Non seulement Israël n’est pas parvenu à détruire l’aile militaire du Hamas mais, selon les estimations américaines, le Hamas est parvenu à recruter presque autant de combattants qu’il n’en a perdu.

« Jusqu’à présent, 70 000 tonnes d’explosifs ont été larguées sur Gaza avec un taux de ratage de quelque 5 pour 100 »,

a estimé Elmer.

« Ils ont des munitions explosives pour deux générations de guerre contre les Israéliens, et Gaza a une population qui est enragée et qui croit qu’elle peut gagner des guerres. »

Selon l’accord, les forces israéliennes vont devoir se retirer de tout Gaza, y compris du fameux corridor Philadelphi le long de la frontière avec l’Égypte.

Les Palestiniens seront en mesure de retourner dans leurs foyers dans le nord de Gaza sans inspection de la part d’Israël et Israël s’est dit d’accord pour libérer bien plus de prisonniers palestiniens – quelque 2 000, dont 250 avec des condamnations à perpétuité – qu’il n’aurait dû le faire s’il avait été d’accord de prolonger l’accord de cessez-le-feu de novembre 2023.

Israël a été d’accord cette fois de permettre à 600 camions d’aide humanitaire d’entrer à Gaza, autrement dit, plus que le total quotidien avant le 7 octobre 2023.

En outre, le gouvernement du Hamas est toujours en place et bien plus capable de gérer l’intérieur de Gaza que quiconque d’autre. Le Hamas disposera toujours de ses armes et son infrastructure militaire souterraine est toujours grandement intacte. Cela constitue le contrôle ultime de toute intention israélienne, avec la complicité américaine, de violer l’accord.

Au cours de la discussion, j’ai mis en lumière une évaluation venant de l’analyste des renseignements et de l’armée israélienne Amos Harel, qui écrit dans Haaretz que

« le public israélien sera surpris quand il comprendra que la personne dont il souhaite qu’on s’en souvienne comme du défenseur d’Israël a dû faire des concessions lors des négociations. »

Une question clé est de savoir pourquoi Trump, dont on s’attend quasi universellement à ce qu’il soit aussi pro-israélien que Biden – sinon plus – mettrait la pression sur Netanyahou pour que ce dernier signe essentiellement le même accord de cessez-le-feu que celui qui était sur la table depuis le début de l’an dernier.

Dans la discussion, reprise dans la vidéo ci-dessous (en anglais), je prétendais qu’Israël n’occupe pas nécessairement le centre de la conception mondiale de « l’Amérique d’abord » de Trump, largement hostile même à des alliés des EU aussi proches que ne le sont l’OTAN, l’Allemagne et le Canada.

 

 

La pression réelle exercée par Trump confirme que, depuis plus de 15 mois, l’administration Biden aurait pu choisir de mettre un terme au génocide au moyen d’un seul appel téléphonique, mais qu’elle s’est engagée dans une mascarade de négociations infructueuses, tout en apportant son soutien total au massacre.

Le partage par le président entrant d’une vidéo dans les médias sociaux un peu plus tôt en janvier, montrant le professeur de l’Université de Columbia Jeffrey Sachs qui condamne Natanyahou pour avoir entraîné les EU dans la guerre contre l’Irak et tenté ensuite de l’attirer dans une guerre contre l’Iran, aurait envoyé des ondes de choc au sein du gouvernement israélien.

Dans Haaretz, Harel a fait remarquer que

« certains des fidèles aveugles du Premier ministre connaissent un douloureux dégrisement, ces derniers jours. Trump n’est pas un admirateur d’Israël ni de Netanyahou ».

Cela pourrait augurer de changements fondamentaux dans les positions américaines de longue date, même si les dangers pour les Palestiniens restent très grands de la part d’une nouvelle administration composée d’un aussi grand nombre de sionistes fanatiquement pro-israéliens que toute autre administration l’ayant précédée.

 

La résistance reste forte

Quelle que soit la pression exercée par Trump sur Israël afin de signer un accord qu’il a longtemps rejeté, cela ne se serait pas produit sans la réalité militaire d’une résistance incessante et acharnée sur le terrain à Gaza, comme l’a fait remarquer Jon Elmer dans son rapport sur la résistance de cette semaine.

Se servant de vidéos publiées par la résistance, Elmer a analysé la façon dont il n’y a pas eu de répit dans les opérations complexes et efficaces menées par les unités territoriales bien organisées qui défendaient chaque partie de Gaza.

 

Vidéo EI (en anglais) : La résistance de Gaza renvoie Israël dans son coin à l’approche du cessez-le-feu.

 

 

Vous pouvez visionner l’émission sur YouTube, Rumble or Twitter/X, ou vous pouvez l’écouter sur votre plate-forme podcast préférée.

Tamara Nassar a produit et dirigé l’émission. Michael F. Brown a contribué à l’assistance d’avant production et Eli Gerzon à l’assistance d’après production.

Vous pouvez visionner les précédents épisodes du livestream de The Electronic Intifada sur votre canal YouTube.

*****

Publié le 18 janvier 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Vous aimerez aussi...