La Suisse « neutre » annule une conférence de l’ONU

La Suisse a annulé de but en blanc une conférence qu’elle avait été mandatée de tenir par l’Assemblée générale des Nations unies sur les droits des Palestiniens sous occupation militaire israélienne. La démarche de cette semaine a eu lieu sous des pressions venues d’Israël et apparemment par crainte de représailles de la part des États-Unis.

Suisse : Manifestation devant le siège de l'ONU à Genève le 3 avril 2024 (Photo via AFPS France)

Manifestation devant le siège de l’ONU à Genève le 3 avril 2024

 

Ali Abunimah, 7 mars 2025

Ostensiblement neutre, la Suisse est la dépositaire de la Quatrième Convention de Genève, de 1949, un important traité international qui protège les civils sous occupation militaire.

En septembre dernier, 124 États membres de l’ONU ont voté une très importante résolution approuvant la décision historique de la Cour internationale de Justice (CIJ) selon laquelle l’occupation de la terre palestinienne par Israël est intrinsèquement illégale et doit cesser dans les 12 mois à venir.

La résolution a également chargé la Suisse de réunir une conférence des États signataires de la Quatrième Convention de Genève – désignés sous le terme de hautes parties contractantes – afin de

« faire appliquer la Convention en territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de faire en sorte qu’elle soit respectée ».

La Russie, la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud et même de proches alliés d’Israël comme la France, l’Espagne et la Belgique faisaient partie de la forte majorité mondiale qui a soutenu la mesure.

Seuls 14 gouvernements ont voté contre la résolution, dont Israël et les États-Unis. Quarante-trois États se sont abstenus.

 

Un « manque de consensus »

Mais, en dépit de l’écrasant soutien mondial à la conférence, la Suisse l’a annulée jeudi, la veille du jour où elle était censée se réunir à Genève, prétextant un « manque de consensus ».

Le gouvernement suisse a affirmé qu’après avoir proposé un « projet de déclaration finale » à l’adoption par la conférence, il est

« apparu clairement que les positions divergentes des hautes parties contractantes signifiaient qu’il n’y aurait pas de soutien suffisant de la part de la communauté internationale à la mise sur pied de la conférence et à l’adoption d’une déclaration finale ».

Cette excuse n’a pas du tout convaincu les observateurs, dont Craig Mokhiber, un responsable des droits humains à l’ONU, qui a démissionné en octobre 2023 à cause de l’inaction de l’institution mondiale face au génocide perpétré par Israël à Gaza.

« L’édulcoration par la Suisse de la déclaration en vue de s’en prendre aux États perpétrateurs de violations et à leurs alliés complices, plutôt que de s’en tenir à la lettre des exigences du droit international humanitaire telles que définies dans la Quatrième Convention de Genève, puis l’annulation de la conférence suite à un prétendu manque de consensus, constituent un acte évident de politisation, une violation de la neutralité, une abdication de ses devoirs de dépositaire et un effort manifeste en vue de saboter le processus »,

a écrit Mokhiber vendredi.

Il a également fait état de l’énorme majorité mondiale qui avait voté en faveur de la conférence, et a ajouté :

« Pourtant, la Suisse refuse de réunir la conférence, violant ainsi ses obligations de dépositaire des Conventions de Genève et signalant que la tradition historique de la neutralité de la Suisse était morte. »

L’Organisation de la coopération islamique (OIC) – un groupement de plusieurs dizaines de pays à majorité musulmane – a déclaré qu’elle regrettait que la conférence n’ait pas lieu et, de plus, elle a implicitement blâmé la Suisse de cet échec.

La mission de l’OIC à Genève a expliqué que

« le projet de déclaration ne semble pas remplir le mandat convenu, pas plus qu’il n’était proportionnel avec la gravité de la situation ».

Par conséquent,

« il n’a pas pu réunir le soutien interrégional nécessaire, y compris de la part des États membres de l’OIC ».



Pressions israéliennes, crainte vis-à-vis de Washington

Le ministère israélien des Affaires étrangères a salué l’annulation comme une « réalisation diplomatique importante » et il a crédité son ministre Gideon Sa’ar d’avoir œuvré « intensément (…) sous le radar » pour empêcher la tenue de cette conférence.

Mais apparemment, même avant de succomber aux intimidations et aux pressions israéliennes et d’annuler la conférence par la même occasion, la Suisse essayait déjà de se soustraire à ses obligations et de transformer la rencontre en une mascarade vide de sens.

« Le ministère suisse des Affaires étrangères est devenu de plus en plus nerveux, ces dernières semaines »,

rapportait jeudi la chaîne publique suisse SWI swissinfo.ch, avant même l’annonce de l’annulation.

« Israël a condamné la Suisse parce qu’elle accueillait l’événement, qu’il perçoit comme faisant partie de la guerre juridique contre lui-même »,

a rapporté SWI swissinfo.ch.

Et, bien que la résolution de l’ONU de septembre 2024 ait spécifié que la conférence allait se concentrer sur l’application de la Quatrième Convention de Genève dans les territoires palestiniens occupés, SWI swissinfo.ch a fait remarquer que,

« à l’approche de la réunion, il a été dit qu’aucun exemple spécifique ou conflit actuel ne sera discuté ni même mentionné à Genève ».

« Une telle manœuvre politique par la Suisse est typique quand il s’agit du conflit au Moyen-Orient, qui est truffé de pièges juridiques et politiques »,

a ajouté le diffuseur public.

La nation alpine semble avoir été motivée non seulement par la crainte d’être critiquée par Israël, mais aussi par Washington, le principal soutien politique, fournisseur d’armes et complice d’Israël dans le génocide.

La conférence prévue « vient à un moment où Israël entretient des liens étroits avec la nouvelle administration Trump aux États-Unis », a fait remarquer SWI swissinfo.ch.

« C’est une autre raison de l’approche prudente de la Suisse – en ce moment même, sur la scène internationale, tout peut potentiellement se muer en une monnaie d’échange diplomatique. À Berne, la principale préoccupation réside dans les taxes douanières américaines sur les exportations suisses. »

Mokhiber situe l’effondrement de la Suisse dans le contexte de l’offensive plus large contre les institutions internationales, laquelle vise à protéger Israël.

« Morceau par morceau, les gouvernements occidentaux sapent l’édifice moderne du droit international afin de protéger un seul régime étranger oppresseur – un régime actuellement en procès pour génocide devant la Cour pénale internationale pour des crimes contre l’humanité »,

a écrit Mokhiber.

« La Suisse a rallié ce projet vandaliste en arrêtant des journalistes qui critiquent le régime israélien et, cette fois, en bloquant la conférence de Genève réclamée par une majorité manifeste de pays dans l’intention de demander des comptes à ce même régime. »

*****

Publié le 7 mars 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Vous aimerez aussi...