Inondation et froidure à Gaza

Inondation et froidure ont aggravé les effets de l’attaque israélienne de 2021.

Le camp de réfugiés de Jabaliya à Gaza a été gravement inondé ces quelques derniers mois. (Photo : Ashraf Amra / APA images)

Sarah Algherbawi, 1er mars 2022

Le jour de ma naissance a été le plus chaud de l’année 1991 – du moins, c’est ma mère qui le prétend.

Toutefois, bien que j’aie été un bébé de l’été, je me sens on ne peut mieux quand il fait froid et humide.

Quand j’étais petite, je me donnais des surnoms. L’un d’eux était « Papillon d’hiver ».

Je dessinais souvent des papillons et j’écrivais sur le dessin même ce surnom dans mes manuels et cahiers d’école.

Quand je fréquentais l’enseignement secondaire, il m’arrivait bien souvent d’attendre délibérément qu’il se mette à pleuvoir avant de rentrer à la maison.

La distance entre le collège et la maison était d’environ 3 kilomètres. Quand j’entamais ce trajet, je me sentais chargée d’énergie par la pluie.

Apparemment, cela me soulageait de n’importe quelle situation de stress.

Cet amour de la pluie m’est resté. C’est en hiver que j’apprécie particulièrement de visiter ma belle-famille.

Ma belle-famille provient d’une famille qui a été chassée d’al-Majdal, juste au nord de Gaza, au cours de la Nakba – le nettoyage ethnique de la Palestine, en 1948. Aujourd’hui, ils vivent au centre d’un camp de réfugiés de Jabaliya.

Il est particulièrement plaisant de boire une tasse de thé chaud et d’écouter les gouttes de pluie tomber sur un toit en tôle, dans le camp de Jabaliya. J’irais même jusqu’à dire que c’est très bon pour l’âme.

Cet hiver-ci a été différent. Nous – mon mari, mes enfants et moi – ne nous sommes pas rendus une seule fois au camp de Jabaliya.

La maison de ma belle-famille a été endommagée au cours de l’agression israélienne contre Gaza, en mai 2021.

Une explosion toute proche a laissé des lézardes dans son toit et ses murs. Tout un paquet d’eau de pluie a coulé au travers de la toiture, depuis lors.

Ma belle-famille a néanmoins eu de la chance, comparée à d’autres habitants du camp. Ils vivent sur un terrain plus élevé que bon nombre de leurs voisins.

Apparemment, c’est ce qui a protégé la maison de ma belle-famille des inondations.

L’urgence

La famille Salem, qui vit dans la bordure sud du camp de Jabaliya, n’a pas eu cette possibilité de fuite.

Un jour, au cours de l’hiver, ils ont été éveillés à 3 heures du matin. Ils ont compris très vite que leur maison avait été inondée avec un mélange d’eau de pluie et d’eau des égouts.

L’eau – plus d’un mètre de profondeur – a causé des destructions énormes, dans leur maison, où vivent 12 personnes en tout.

Waseem, le plus jeune membre de la famille, n’a que quelques mois. Il est tombé malade avec la maison qui est devenue plus froide.

« Je ne pouvais rien trouver pour tenir le bébé au chaud », a expliqué Atef Salem, le père de Waseem.

« Tous nos vêtements étaient sous l’eau. La seule chose que j’ai pu faire, c’est d’emballer Waseem dans des sacs pesants qui avaient été remplis de sucre. Nous avons été secourus par des gens de la défense civile dans un petit bateau de pêche. Ils ont emmené le petit Waseem et, heureusement, une ambulance attendait à proximité. »

Waseem a été transféré en toute hâte à l’hôpital indonésien de Gaza. Là, son état s’est amélioré.

Israël a détruit plus de 1 300 unités résidentielles sur le territoire de Gaza lors de l’agression de mai. Près de 6 400 autres logements ont été gravement endommagés.

L’avocat des droits humains Salah Abdel Ati est du nombre des personnes dont la propriété a été bombardée.

Il a consacré une grande partie de son temps et de son argent à la construction d’une maison de trois étages à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza. Achevé en 2019, le bâtiment comprenait un appartement pour chacun de ses fils adultes.

Ses deux fils – Muhammad et Waseem – se sont mariés l’année d’après et se sont installés dans les appartements situés au-dessus de celui de leurs parents, au rez-de-chaussée.

Muhammad et sa femme Hadeel ont occupé le premier étage, tandis que Waseem et sa femme Marah se sont installés au second.

Les couples de jeunes mariés n’ont pas tardé à avoir chacun une fille. Selon les normes de Gaza, la famille vivait dans un confort raisonnable, bien que Muhammad et Waseem aient été sans emploi, malgré leurs diplômes universitaires.

Puis il y a eu l’agression israélienne, en mai 2021.

La maison familiale est proche de la clinique Hala al-Shawa, qui approvisionne des mères et des enfants. C’était l’une des nombreuses unités de soins à avoir été bombardées au cours de l’offensive israélienne.

Le bombardement de la clinique par Israël a eu lieu le 11 mai.

Ce bombardement a été tellement puissant qu’il a également provoqué des dégâts aux fenêtres, portes et murs de la maison de Salah Abdel Ati.

Un peu plus tard, le même jour, la maison a de nouveau été endommagée quand une nouvelle explosion s’est produite tout près. Toute la famille était chez elle mais personne n’avait été blessé.

En raison de ces dégâts, la maison a commencé à s’incliner. Et, quand les pluies sont venues en hiver, les problèmes ont encore empiré.

Le ministère des Travaux de Gaza a demandé en février que la famille quitte la maison et il a recommandé sa démolition. Des estimations effectuées par le ministère indiquent que le bâtiment risque à tout moment de s’effondrer.

Waseem et Muhammad, ainsi que leurs parents, ont été contraints de trouver à se loger loin de l’immeuble qu’ils partageaient, depuis l’évacuation. Muna, la mère, espère que la famille étendue pourra de nouveau vivre réunie avant longtemps.

Elle envisage de louer une maison pour toute la famille jusqu’au moment où ils pourront en construire une nouvelle. Pourtant, avec le choc toujours vivace d’avoir perdu leur maison, elle n’a pas encore dressé des plans très précis.

« Nous étions une famille stable et soudée », dit-elle. « Aujourd’hui, le sort nous a séparés. Je ne sais pas ce que nous devrions faire. »

Salah, son mari, est tout aussi désemparé.

« Je ne m’attendais pas à cela », dit-il. « J’ai mis tout mon argent dans la construction de cette maison. Aujourd’hui, il ne nous reste plus rien. »

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Sarah Algherbawi est une écrivaine free-lance et une traductrice qui vit à Gaza.

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Publié le 1er mars 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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