L’Ukraine, la Palestine et la propagande de guerre

Fausses images avec fausses légendes et propagande de guerre raciste poussent de nombreux Américains et Européens à soutenir l’escalade et l’intervention.

27 février 2022. Des résidents locaux préparent des cocktails Molotov à Oujhorod, dans l’ouest de l’Ukraine. Suite à l’invasion russe, les gens du pays sont susceptibles de se muer en chair à canon, dans une confrontation croissante avec une superpuissance. (Photo : Serhii Hudak / Avalon)

Ali Abunimah, 28 février 2022

Cette vidéo a largement circulé sur Twitter, ce dimanche, prétendument en provenance d’Ukraine.

« ‘Retourne dans ton pays !’ : une petite fille courageuse affronte l’armée d’invasion de Poutine ». Telle était la description qui l’accompagnait.

https://twitter.com/frnews_ng/status/1497840712821329923?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1497840712821329923%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fukraine-palestine-and-propaganda-war%2F34921

Bien que certains l’aient manifestement gobée – elle a suscité des milliers de « likes » – elle n’est pas allée très loin avant qu’un grand nombre d’utilisateurs de Twitter fassent remarquer que le paysage et le temps (février en Europe de l’Est est très froid) ne rappelaient en rien l’Ukraine.

Et ils ont reconnu la petite Palestinienne, dans la vidéo. Ahed Tamimi qui, voici 9 ans au moins, invectivait un soldat israélien en arabe.

En 2017 et 2018, l’adolescente Ahed Tamimi a passé huit mois dans une prison israélienne, condamnée pour une autre confrontation avec des soldats israéliens qui avaient envahi Nabi Saleh, le village où elle habite en Cisjordanie occupée.

Son « crime » avait été d’avoir giflé un soldat de l’occupation peu après que les forces israéliennes avaient abattu son cousin de 15 ans d’une balle dans la tête, lui occasionnant d’horribles blessures.

La bravoure d’Ahed Tamimi a été célébrée dans le monde entier, mais pas par les gouvernements et les médias occidentaux qui préfèrent glorifier la résistance des civils ukrainiens à l’invasion russe, ou encore les acclamer parce qu’ils préparent des cocktails Molotov.

Par contre, il n’y a pas eu de tollé à propos de la façon dont, la semaine dernière, les forces d’occupation israéliennes ont tué un garçon palestinien de 13 ans pour avoir prétendument lancé un cocktail Molotov contre des forces étrangères occupant son pays.

En Grande-Bretagne, Sky News a même expliqué à ses spectateurs comment confectionner un cocktail Molotov :

https://twitter.com/SkyNews/status/1497573038359035912?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1497573038359035912%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fukraine-palestine-and-propaganda-war%2F34921

Ce savoir pourrait s’avérer utile, puisque les gouvernements britannique et danois invitent instamment leurs citoyens à se rendre en Ukraine et à prendre les armes contre l’armée russe.

Oui, c’est le même gouvernement britannique qui a transformé en délit criminel le fait de porter un T-shirt portant le nom du Hamas.

Le Hamas est qualifié par Israël et ses partisans occidentaux d’organisation « terroriste » parce qu’il mène une résistance armée contre l’occupation militaire israélienne.

https://twitter.com/TheZalameh/status/1498008607534850049?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1498008607534850049%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fukraine-palestine-and-propaganda-war%2F34921

Ce qui va vraisemblablement se produire, c’est que des néonazis et des voyous d’extrême droite, originaires de toute l’Europe, vont déferler sur l’Ukraine afin de rallier des unités comme le bataillon Azov (entraîné par les EU et armé par Israël), une unité officielle de la garde nationale de l’Ukraine.

Le retour de flamme est prévisible : Des néonazis endurcis au combat et avec des idées semblables à celles du tueur de masse norvégien Anders Breivik vont alors retourner dans leurs pays respectifs et poursuivre une guerre raciale contre tous ceux qu’ils percevront comme n’étant pas de véritables Européens.

Dimanche, la garde nationale de l’Ukraine a posté une vidéo qui montrait prétendument un combattant d’Azov enduisant ses balles de graisse de porc, de sorte, sans doute, que tous les combattants musulmans envoyés par la Russie depuis la Tchétchénie soient directement expédiés en enfer.

 

De fausses images avec de fausses légendes

La vidéo d’Ahed Tamimi n’est pas la seule image de Palestine qui a été récupérée par la guerre de propagande autour du conflit russo-ukrainien.

La semaine dernière, une image d’explosions massives frappant des bâtiments d’une ville, la nuit, et présentée comme si elle provenait d’Ukraine, a été largement partagée dans les médias sociaux.

Associated Press a mis en garde contre le fait qu’en réalité, la photo avait été prise dans la bande de Gaza lors des bombardements qui avaient frappé le territoire en mai dernier.

L’agence de presse française AFP a mis en garde elle aussi contre des images d’attaques israéliennes contre Gaza présentées comme en provenance d’Ukraine.

Il y a eu une pléthore de fausses images ou d’images aux légendes falsifiées, pas uniquement de Gaza, mais aussi de Beyrouth et de Libye, lesquelles remontent même à plusieurs années.

Le ministère ukrainien de la Défense a même partagé un clip vidéo montrant prétendument l’un de ses avions de combat occupé à abattre un appareil russe. En réalité, il s’agissait d’un clip en provenance d’un jeu vidéo.

Partager des photos et des vidéos falsifiées ou accompagnées de fausses légendes constitue une tactique habituelle en temps de guerre, à l’ère des médias sociaux.

Israël le fait habituellement, dans le cadre de ses efforts en vue de justifier ses attaques contre les Palestiniens.

Dans la situation présente, la nécessité de partager de telles photos peut être motivée par l’absence relative de semblables images réelles en provenance d’Ukraine.

Pour l’instant, il y a eu par bonheur peu de bombardements à l’intérieur des villes ou des zones civiles densément peuplées du genre de ceux qu’Israël fait subir régulièrement aux Palestiniens.

Cela pourrait changer rapidement, surtout si l’Union européenne et d’autres pays fournissent des armes à l’Ukraine au lieu de mobiliser toutes leurs ressources politiques et diplomatiques afin de soutenir un cessez-le-feu et des négociations.

L’UE fait régulièrement la leçon aux Palestiniens en leur disant que la violence n’est pas une solution mais, apparemment, elle ne suit pas ses propres conseils.

 

« Des yeux bleus et des cheveux blonds »

Une des raisons pour lesquelles certains ont cru que la vidéo d’Ahed Tamimi provenait d’Ukraine, réside dans ses cheveux étonnamment blonds.

Elle ressemble exactement à ce à quoi au moins un haut responsable ukrainien et de nombreux commentateurs européens estiment que devrait ressembler une victime sympathique de la guerre.

Le procureur ukrainien Davit Sakvarelidze a déclaré à la BBC : « Cela m’émeut vraiment parce que je vois que l’on tue des Européens avec des yeux bleus et des cheveux blonds. »

De nombreux commentaires similaires ont été exprimés par des journalistes et experts occidentaux, qui ont fait remarquer qu’il était plus facile de sympathiser avec les Ukrainiens parce qu’ils ressemblaient aux « Européens ».

En parlant depuis Kiev, par exemple, le correspondant de CBS News, Chris D’Agata, a déclaré :

« Mais ce n’est pas un endroit, avec tout le respect dû, comme l’Irak ou l’Afghanistan, qui voient un conflit faire rage depuis des dizaines d’années. C’est une ville relativement civilisée, relativement européenne – je dois également choisir ces mots avec une extrême prudence – une ville où l’on ne s’attendrait pas à cela ou du moins où l’on n’espérerait pas que cela se produise. »

https://twitter.com/redfishstream/status/1497969331484909570?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1497969331484909570%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fukraine-palestine-and-propaganda-war%2F34921

Le racisme flagrant d’un tel commentaire a engendré une grande indignation parmi les gens qui, depuis des années, ont souffert ou ont vu comment les Syriens, les Afghans, les Irakiens, les Yéménites, les Libyens, les Maliens et les Palestiniens ont eu leur existence et leur pays dévastés par des guerres menées par ou avec le soutien de ces mêmes puissances occidentales qui prétendent hypocritement qu’elles défendent les lois internationales en Ukraine.

La blondeur des cheveux ou la blancheur de la peau ont également été une condition pour recevoir un maximum de sympathie et d’aide en tant que réfugié fuyant l’Ukraine, comme l’ont découvert de nombreux ressortissants des États africains et asiatiques qui travaillent ou étudient dans ce pays :

 

Faire admettre l’intervention

La peau blanche des Ukrainiens peut permettre plus facilement aux gouvernements occidentaux de faire admettre l’escalade et l’intervention à leur public plutôt que des négociations urgentes en vue de désamorcer une crise potentiellement catastrophique entre les superpuissances nucléaires.

Mais ce n’est pas encore la totalité de l’histoire.

« Si l’Ukraine n’était pas blanche, elle susciterait néanmoins la même réaction de la part de l’impérialisme et des médias traditionnels occidentaux »,

a fait remarquer Hammam Farah, un dirigeant communautaire palestino-canadien.

« La question n’a rien à voir avec leur blancheur de peau, mais tourne autour de l’importance géopolitique de l’Ukraine aux yeux du capitalisme américain et dans le cadre de l’expansion de son empire. »

Cette observation est correcte : Quand les élites américaines ont voulu mobiliser du soutien à l’occupation de l’Afghanistan, les médias ont été remplis de récits sympathiques afin de prouver que l’intervention était nécessaire si l’on voulait sauver « les femmes et les filles en Afghanistan ».

Aujourd’hui que les EU se sont retirés de l’Afghanistan et que le président Biden fait en sorte que la population du pays crève de faim, tout cela est bel et bien oublié.

Qui va saigner ?

La présente guerre en Ukraine n’a pas débuté la semaine dernière avec l’invasion russe – bien que l’action largement condamnée de Moscou lui fasse connaître une escalade pouvant mener à des niveaux potentiellement catastrophiques.

Ses racines remontent à la déstabilisation du pays par les EU et au soutien du coup d’État en 2014 par des éléments d’extrême droite et néonazis.

https://twitter.com/colinkalmbacher/status/1497959299510784001?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1497959299510784001%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fukraine-palestine-and-propaganda-war%2F34921

Depuis 2014, une guerre civile ravage l’est du pays – la région du Donbass où, la semaine dernière, la Russie a reconnu deux républiques séparatistes.

Plus de 5 000 personnes ont été tuées dans le conflit du Donbass, dont au moins 2 700 civils.

« Dans de nombreux exemples de bombardements depuis 2014, les perpétrateurs n’ont pas été identifiés mais, là où ils l’ont été, les forces séparatistes ukrainiennes ont été responsables d’au moins 667 pertes civiles et l’Ukraine, de 783 »,

selon l’organisation de contrôle Action on Armed Violence (Action contre la violence armée).

Personne en Ukraine n’a besoin de davantage de guerre encore.

C’est pourtant ce que ses habitants vont recevoir presque à coup sûr si les EU, l’OTAN et l’UE répondent par une escalade à l’invasion russe.

Dimanche, l’UE a annoncé qu’elle entreprendrait la démarche sans précédent de financer directement pour plus de 500 millions de USD d’achats d’armes pour l’Ukraine.

Les EU lui enverront eux aussi des armes pour des centaines de millions de UDS.

Le total pourrait finalement dépasser le milliard de USD d’armes que l’administration Obama avait envoyées en Syrie, ce qui avait permis à de nombreuses de ces armes de tomber aux mains d’organisations liées à al-Qaida.

Le terrain de rassemblement des livraisons d’armes sera la Pologne.

Le journaliste Mark Ames a comparé cela au rôle joué par le Pakistan dans les années 1980, quand les EU avaient utilisé ce pays comme lieu de transit pour les armes et les « moudjahidine » vers l’Afghanistan afin de combattre l’armée soviétique.

L’architecte de cette politique, le conseiller en sécurité nationale du président Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, expliqua plus tard que le but était de « faire saigner les Soviétiques autant et aussi longtemps que possible ».

Peu importait aux yeux des EU le nombre d’Afghans qui allaient également saigner, ou quel serait le coût du retour de flamme – les attentats du 11 septembre et les guerres qui allaient suivre.

Une fois encore, la propagande médiatique pousse de nombreux Américains et Européens à soutenir l’escalade et l’intervention et, sans nul doute, dans le même but.

James Bruno, un vétéran du département d’État américain qui contribua à mener à bien la politique de Brzezinski, écrivait cette semaine dans Washington Monthly :

« Il est temps de faire saigner la Russie pour ses crimes. Nous l’avons fait auparavant. Nous pouvons le faire à nouveau. »

« L’Afghanistan, une fois encore, propose des idées et des leçons »,

ajoute-t-il, mais sans dire un mot de tout le prix qu’a dû payer le peuple de ce pays.

Désormais, l’Ukraine est susceptible de subir le même sort en tant que champ de bataille des superpuissances et, quand tout sera dit et consommé, le pays en ruine et son peuple seront eux aussi oubliés.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impa

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Publié le 28 février 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : La crise ukrainienne met en évidence l’hypocrisie occidentale à propos du vol de territoire par Israë

 

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