Netanyahou ne se contente pas de parler du « Grand Israël », il le crée
Dans une interview accordée à I24 News, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a reconnu pour la première fois en public qu’il cherchait à imposer son « Grand Israël » à toute la région avoisinante.
Robert Inlakesh, 14 août 2025
Dans une interview accordée à I24 News en début de semaine, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a reconnu pour la première fois en public qu’il cherchait à imposer son « Grand Israël » à toute la région avoisinante. Ce plan, depuis longtemps catalogué comme « théorie antisémite de la conspiration » par les propagandistes pro-israéliens, implique d’occuper toute la Palestine, le Liban et la Jordanie tout en s’emparant de la majeure partie de la Syrie, de certaines parties de l’Irak, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et même de la Turquie.
L’idée d’un « Grand Israël » est depuis quelque temps le but ultime de bon nombre de politiciens, partis politiques et citoyens nationalistes religieux d’Israël. L’idée même, en fait, est antérieure à l’État d’Israël et peut être déjà associée au mouvement sioniste révisionniste.
En réalité, le père de Benjamin Netanyahou, Ben-Zion Netanyahou, faisait partie de l’infâme organisation terroriste Irgoun et s’employait activement à influencer le mouvement sur le plan idéologique. L’Irgoun a joué un rôle dans le nettoyage ethnique de la Palestine (1947-1949) et, avant cela déjà, il avait mené une campagne aussi bien contre les Palestiniens que contre les autorités du Mandat britannique en Palestine. Le symbole de l’Irgoun est une carte du « Grand Israël » qui inclut la totalité de la Jordanie.
Theodore Herzl, la figure fondatrice du sionisme, a lui aussi déclaré un jour que l’« État juif » devrait avoir des frontières allant « du ruisseau d’Égypte à l’Euphrate » (le ruisseau d’Égypte est généralement identifié au Wadi al-Arish, un oued asséché dans la péninsule du Sinaï – NdT). Ensuite, il y a l’infâme « plan Yinon », conçu par Oded Yinon, un conseiller de l’ancien Premier ministre du Likoud Ariel Sharon. L’article rédigé par Yinon élaborait une stratégie pour la survie d’Israël, prétendant que, pour survivre, il devait devenir un empire régional et renverser tous les États arabes qui l’entouraient, en les divisant selon des lignes ethniques et religieuses afin de concrétiser cet objectif et d’assurer le Grand Israël.
Avançons rapidement jusqu’en mars 2023, avant le commencement du génocide de Gaza. Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a déclenché l’indignation des pays arabes voisins après avoir pris la parole sur une estrade qui représentait une carte du « Grand Israël » et qui incluait toute la Jordanie, outre certaines parties de la Syrie, du Liban et de l’Arabie saoudite. Cette carte est très semblable à celle de l’emblème de l’Irgoun des années 1930 et 1940.
Un peu plus tôt cette année, en janvier, les identifiants officiels des réseaux sociaux en « Israël » ont publié une carte qui représentait ce qu’ils appelaient l’« Israël historique » et qui s’étendait à l’intérieur des pays arabes voisins. Désormais, nous ne devons plus nous tourner vers les voix qu’on rejette souvent comme « marginales » et « extrémistes », puisque Benjamin Netanyahou lui-même admet vouloir un « Grand Israël ».
C’est devenu autre chose qu’un simple plan
Mercredi matin, le chef d’état-major de l’armée israélienne Eyal Zamir est allé visiter le Sud-Liban occupé, où l’armée israélienne a installé six bases et avant-postes. Il a dit qu’il avait visité la région du fait d’un changement de réalité sur le « front du nord ».
Israël parle maintenant d’occuper totalement Gaza, approuvant même un plan allant en ce sens, alors que, le mois dernier, la Knesset a même voté un projet de loi qui demandait l’annexion de la Cisjordanie. Jérusalem-Est occupée et les hauteurs du Golan de la Syrie ont été officiellement annexées en 1980 et 1981. L’expansion des colonies en Cisjordanie n’a jamais cessé, mais elle accélère aujourd’hui à un rythme encore jamais vu depuis des décennies. Tel-Aviv a même un projet de « judaïsation » de la région occupée du Naqab (Néguev), en s’emparant de la zone densément peuplée par les Bédouins.
Pourtant, cela n’a jamais suffi. Après le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien a clairement poursuivi un plan expansionniste qui a menacé chaque nation voisine. Israël a même menacé d’envahir le Sinaï égyptien et il a violé le fameux « accord de paix de Camp David », en s’emparant du corridor de Philadelphie et du passage frontalier de Rafah.
Quant à la Syrie, Israël y a joué pendant quelque temps un rôle insidieux et il n’en a tiré profit qu’après la chute du gouvernement de Bashar al-Assad en décembre 2024. Aujourd’hui, le régime normalisateur de Damas envoie ouvertement les représentants de son gouvernement rencontrer les responsables israéliens et les deux pays coordonnent leurs « questions sécuritaires ». Même sans avoir signé le moindre accord officiel de normalisation, le régime a déjà normalisé ses liens et il a renoncé à tout effet de levier qu’il aurait pu avoir.
Pourtant, quel que soit le contrôle exercé sur le régime d’Ahmed al-Shara’a en Syrie, cela ne suffit pas ; le plan a toujours été de balkaniser. Que le projet d’Oded Yinon soit suivi ou non, en fait, l’effet est exactement le même.
Israël a soutenu une douzaine d’organisations militantes syriennes, dès 2013, en leur fournissant une aide médicale, militaire et financière. Il l’a fait en même temps qu’il travaillait aux côtés des gouvernements jordanien et américain à un plan d’expansion de sa prétendue zone tampon, proposant aussi qu’un État druze soit constitué dans le sud de la Syrie, lequel État serait aligné sur Israël.
L’une des organisations qu’Israël avait commencé à soutenir était le front Nusra, commandé par nul autre qu’Ahmed al-Shara’a (aujourd’hui, président de la Syrie). Le Nusra, rebaptisé plus tard Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a commis des massacres parmi les communautés minoritaires syriennes, dont les Druzes, et s’est allié à l’EI à une époque où l’organisation terroriste commentait des massacres de Druzes à grande échelle.
Au début, les tentatives d’Israël en vue de coopter la communauté druze syrienne ont largement échoué. Au lieu de cela, les Druzes ont décidé de choisir le camp de l’Armée arabe syrienne, après être restés neutres jusqu’alors dans une guerre qui avait commencé en 2011.
En 2020, les Israéliens et les Américains avaient coordonné un effort plus intense afin de coopter les forces de la milice druze à Sweida (dans le sud de la Syrie), y compris par le biais du parti syrien al-Liwa. À l’époque, celui-ci tentait d’exercer des pressions sur la Russie en vue de permettre la création d’un État druze séparé.
Avec l’effondrement du gouvernement syrien et, ensuite, la dissolution de son armée par la nouvelle direction pro-américaine à Damas, Israël avait eu les mains libres pour nettoyer ethniquement des villages, occuper autant de territoire qu’il le voulait et positionner ses forces profondément dans les terres syriennes.
Un autre projet auquel les Israéliens ont longtemps travaillé a été la cooptation des Forces démocratiques syriennes (FDS), dirigées par les Kurdes, et ils ont mis sur pied des relations en ce sens depuis 2015. Israël soutient l’émergence d’États kurde et druze, lesquels seront des enclaves terrestres et dépendront du soutien étranger. Ils faciliteront également ce qu’on a appelé « le corridor de David », lequel donnera à Israël un accès direct au Kurdistan irakien et le mettra en position de menacer directement les frontières de l’Iran.
Au Liban et en Irak, pendant ce temps, les EU travaillent au nom d’Israël afin de forcer les gouvernements de Bagdad et de Beyrouth à désarmer leurs forces de résistance domestique. Au Liban, l’actuel gouvernement suit les ordres et cherche à désarmer le Hezbollah à tout prix, même si cela doit signifier une guerre civile qui continuera à diviser la nation.
Les médias israéliens, occidentaux et arabes pro-américains ont longtemps utilisé leur influence, via des émissions d’information tant religieuses que laïques, afin de diviser toute la région selon des lignes ethniques et religieuses. Cela a très bien fonctionné.
Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre des sunnites arabes faire allusion à des dirigeants laïcs comme Saddam Hussein ou Yasser Arafat en tant que « grands dirigeants sunnites ». Toute personne qui comprend l’histoire ne serait-ce qu’à un niveau élémentaire sait qu’Arafat et Saddam Hussein ne se sont jamais exprimés en tant que dirigeants sunnites, qu’ils n’utilisaient pas un langage religieux et que faire référence à eux de cette façon n’aurait eu aucun sens à leur époque. Pourtant, les médias de la division ont poussé le public arabe à croire en les idées d’un passé sectaire qui, en fait, n’a jamais existé.
Les EU et Israël ont détruit l’Irak et la Syrie, créant une haine sectaire qui n’a jamais été complètement abandonnée. Bien que des camps différents aient joué dans ce piège, parfois involontairement, il a fonctionné exactement de la manière souhaitée par les Israéliens. Diviser et régner, la tactique la plus ancienne et évidente du manuel.
Tout ceci aurait dû être évident d’emblée, puisque Israël est simplement trop petit pour diriger seul toute la région. C’est pourquoi il a soutenu al-Qaeda en Syrie, et même de façon très visible. Et c’est pourquoi à Gaza il soutient aujourd’hui les gangsters liés à l’EI.
Et comment pourrions-nous oublier son soutien à la milice maronite fasciste au Liban connue sous le nom de Kataeb, outre son soutien incessant aux forces libanaises aujourd’hui. Qu’importe à quel point l’idéologie peut être extrémiste ; les Israéliens soutiendront tous les camps afin qu’ils se combattent mutuellement à mort.
Le but ultime a toujours été clair : les ennemis d’Israël, ce sont toutes les organisations non juives de la région tout entière, et pas uniquement l’Axe de la résistance dirigé par l’Iran. Pourtant, aujourd’hui, il n’y a que l’Iran et ses alliés qui se trouvent dans le chemin de Tel-Aviv en train d’appliquer son plan du Grand Israël, et c’est pourquoi Benjamin Netanyahou est si intransigeant à propos de la « victoire totale » dans sa « guerre sur sept fronts ».
Bien que la guerre ne les ait pas encore touchées, l’Égypte et la Jordanie se trouvent également sur cette liste d’objectifs. Toutes deux connaissent l’instabilité, le déclin économique et frôlent sans cesse des troubles civils de masse. Toutes deux sont aussi, à l’instar des gouvernements syrien et libanais, totalement sous le pouce des Américains et des Israéliens.
Jadis, on considérait la chose comme une théorie du complot. Aujourd’hui, il s’agit de l’indéniable réalité sur le terrain. La seule chose qui se trouve dans le chemin du Grand Israël, ce sont les organisations de la résistance palestinienne, le Hezbollah, le PMU irakien, Ansarallah au Yémen et l’Iran. Ce sont les seuls qui restent debout et qui peuvent constituer un défi à cet agenda malveillant.
Sans eux, la région tout entière sera gérée par des dictatures oppressives pro-israéliennes et nous en sommes déjà presque là. Malheureusement, dans des endroits comme la Syrie, les gens sont toujours incapables de voir ce qui se passe, beaucoup sont aveuglés par la haine dont les médias les ont nourris et trop égoïstes pour admettre qu’ils ont été bernés.
Beaucoup oublient que Saddam Hussein a été mis au pouvoir par la CIA, puis qu’il a utilisé le soutien américain pour attaquer l’Iran, jusqu’au moment où les EU ont décidé que ses services n’étaient plus nécessaires et qu’il fallait au contraire écraser l’indépendance de l’Iraq, et c’est à ce moment qu’ils ont décidé de le détruire. Ils oublient aussi que l’OTAN a lancé sa guerre de changement de régime, soutenant aussi des organisations liées à al-Qaeda pour concrétiser ses objectifs, après que le président libyen Mouammar Kadhafi avait renoncé à son programme nucléaire et tenté de forger de meilleures relations avec l’Occident.
Il n’y aura que deux voies vers l’avant : une vie de haine qui poussera toute la région dans un cauchemar sectaire infernal de bain de sang continu, ou la résistance contre le véritable ennemi de la région. Il n’a jamais été question de sunnites, de chiites, de Druzes, de chrétiens ou de Kurdes. Israël ne se soucie absolument pas du moindre de ces groupes et il ne l’a jamais fait, mais il alimentera la haine entre eux afin de les détruire tous.
Que la résistance soit kurde, sunnite, chiite, communiste, socialiste, nationaliste, libérale, chrétienne ou druze, les Israéliens la diaboliseront et la massacrera de la même façon. Le Grand Israël, telle est la vision, la domination, telle est la vision, et seul un front de résistance unifié pourra l’arrêter. La collaboration ne vous mènera nulle part et l’idée que l’un ou l’autre groupe sera libre uniquement s’il se plie aux exigences américaines a déjà été tentée et testée. À la fin, Israël perçoit tout le monde dans la région de la même façon qu’il perçoit un gosse de deux ans à Gaza : « Il n’y a pas d’innocents. »
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Robert Inlakesh est journaliste, écrivain et réalisateur de documentaires. Il s’intéresse particulièrement au Moyen-Orient, et plus particulièrement à la Palestine.
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Publié le 14 août 2025 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine