Mourir pour quitter Gaza

Mourir pour quitter Gaza : des jeunes de 14 et 30 ans risquent leur vie pour atteindre la ville de Beersheba ou d’autres zones à l’intérieur d’Israël ou vivent de grands nombres de Palestiniens, où ils espèrent de trouver du travail avec l’aide de proches ou d’amis.

Abed Rabbo al-Nabahin montre une photographie de son fils, en prison en Israël. (Photo : Mohammed Al-Hajjar The Electronic Intifada)

Abed Rabbo al-Nabahin montre une photographie de son fils, en prison en Israël. (Photo : Mohammed Al-Hajjar The Electronic Intifada)

Israël prétend souvent qu’il s’est « désengagé » de Gaza en 2005. Le traitement qu’a subi Muhammad al-Nabahin illustre bien à quel point cette affirmation est malhonnête.

En septembre 2018, Muhammad, alors âgé de 19 ans, et son cousin Khaled al-Nabahin, 16 ans, se trouvaient à quelque 250 mètres de la frontière entre Gaza et Israël. Ils participaient à une manifestation quand les troupes israéliennes stationnées à la frontière avaient ouvert le feu sur eux.

Après les avoir attaqués, les soldats israéliens avaient arrêté les deux jeunes, qui furent emmenés en Israël.

Le père de Muhammad, Abed Rabbo al-Nabahin, apprit plus tard du Comité international de la Croix-Rouge que son fils était détenu à la prison d’Ashkelon. Muhammad était accusé de détention d’armes, de trafic d’armes, de franchissement de la clôture frontalière et de jets de pierres en direction des soldats israéliens.

Sa famille a fait savoir que ces accusations étaient déraisonnables.

« Comment aurait-il pu être un trafiquant d’armes alors qu’il n’avait que 19 ans ? », s’est interrogé Abed Rabbo. « Cela n’a aucun sens ! »

L’accusation de détention, affirme la famille, reposait sur une photographie de Muhammad trouvée par les autorités israéliennes sur sa page Facebook et le montrant avec une arme à feu en main.

« C’était juste pour la frime », a déclaré Abed Rabbo. « Les gens aiment prendre des photos avec des armes. »

Selon Abed Rabbo, l’arme en question appartenait à un proche. Il ajouta que ce parent avait l’autorisation du ministère de l’Intérieur de Gaza de garder cette arme à des fins d’autodéfense.

Un tribunal israélien a condamné Muhammad à 28 mois d’emprisonnement. Il est resté derrière les barreaux.

Khaled de son côté a écopé d’un an de prison.

La crainte

Les parents de Muhammad craignent que d’autres membres de la famille ne soient attaqués. Ils vivent au camp de réfugiés d’al-Bureij, à moins d’un kilomètre de la frontière entre Gaza et Israël.

« Ma famille et moi-même sommes nés et avons grandi ici, dans cette zone », a expliqué Abed Rabbo, le père de Muhammad.

La zone frontalière entre Gaza et Israël est un endroit très dangereux, pour les Palestiniens.

Ces quelques dernières années, la zone a assisté à des manifestations régulières sous l’appellation générique de Grande Marche du Retour. A maintes reprises, Israël a ouvert le feu sur les participants, de même que sur le personnel et les journalistes présents.

En tout, 217 Palestiniens ont été tués au cours de la Grande Marche du Retour depuis le début des protestations, le 30 mars 2018. Parmi ces morts figuraient 48 enfants et 9 personnes handicapées.

Du fait de la vie sous blocus total, certains Palestiniens ont tenté de fuir Gaza en franchissant la clôture frontalière. Ceux qui ont été capturés par Israël en le faisant ont payé le prix cher.

Al-Mezan, une association des droits de l’homme, a interviewé 91 enfants qui avaient été arrêtés alors qu’ils tentaient de franchir la clôture frontalière, entre 2015 et 2019.

Dans 66 des cas, les forces israéliennes ont tiré à balles réelles sur les enfants avant de les arrêter. Trente-trois des enfants ont été battus lors de leur arrestation et les militaires israéliens ont lâché leurs chiens sur 27 d’entre eux.

« Exécutés »

En janvier dernier, Israël a tué trois adolescents à la frontière.  

Muhammed Abu Mandeel, 17 ans, était l’un d’eux.

Israël a prétendu que lui et les deux autres adolescents avaient balancé un engin explosif en direction des soldats au moment où ils tentaient de franchir la clôture. Mais la mère de Muhammad, Duaa, a contesté la version israélienne des événements. Elle a déclaré que Muhammad voulait entrer en Israël afin d’y chercher du travail.

« Les garçons ont été exécutés, même si les soldats ne couraient aucun danger avec eux », a ajouté Duaa.

Nous avons entendu l’allégation des Israéliens disant que les garçons ont lancé des grenades. Mais mon fils ne savait même pas comment se servir d’une arme ! »

Israël a gardé le corps de Muhammad et celui des deux autres ados, Salem al-Naami et Mahmoud Saed.

Abdel Nasser Ferwana, de la Commission de l’Autorité palestinienne pour les Affaires des détenus et anciens détenus a déclaré que les gens qui tentaient de fuir Gaza avaient en général entre 14 et 30 ans. Dans bien des cas, ils souhaitent atteindre la ville de Beersheba ou d’autres zones à l’intérieur d’Israël ou vivent de grands nombres de Palestiniens.

Les gens qui s’enfuient espèrent être à même de trouver du travail avec l’aide de proches ou d’amis vivant à l’intérieur d’Israël.

« Des jeunes, et même des enfants, risquent leurs vie », a déclaré Ferwana.

« Pour eux, prendre des risques et être confrontés à la mort n’a rien d’inhabituel. Ils veulent découvrir la vie à l’extérieur de la bande de Gaza. »

Israël ne fait pas la distinction entre les adultes et les enfants s’il les attrape en train de franchir la frontière, a expliqué Ferwana.

En octobre 2015, Wissam Iseifan, 25 ans, était, selon ses dires, « sans emploi et sans existence ».

Dans cette situation désespérée, il a tenté de pénétrer en Israël dans l’espoir de pouvoir y chercher un emploi. Mais quand il a essayé de franchir la clôture frontalière, il a été arrêté par les forces israéliennes.

Iseifan a déclaré qu’on avait lâché des chiens de l’armée sur lui, au moment de son arrestation. Il avait également été vilainement tabassé.

Les coups avaient continué après qu’on l’eut emmené en prison. Malgré les blessures qu’on lui avait infligées, des soins médicaux lui avaient été refusés.

« Je me sens bouleversé, quand je repense à cette expérience », a-t-il déclaré. « J’ai toujours des douleurs au dos, suite à ces tabassages.


Publié le 28 juillet 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Amjad Ayman Yaghi est un journaliste qui vit à Gaza

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