Israël perçoit le conflit soudanais sous l’angle de sa stratégie en mer Rouge
Beyrouth – Les 26 et 27 octobre, dans une escalade choquante, les Forces de soutien rapide (FSR) auraient massacré plus de 2 000 civils à El Fasher, dans l’ouest du Soudan.

Sondoss Al Asaad, 29 octobre 2025
Parmi les victimes, des femmes, des enfants et des personnes âgées alors que l’imagerie satellitaire révélait l’ampleur des atrocités et montrait ce que les forces alliées de l’armée soudanaise qualifiaient d’horribles violations des droits humains.
Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans l’un des conflits les plus sanglants d’Afrique. La guerre entre l’armée soudanaise, dirigée par Abdel Fattah al-Burhan, et les FSR, commandées par Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), a transformé le pays en un centre de destruction et de manœuvres régionales.
Fin 2025, la guerre au Soudan avait déjà tué des dizaines de milliers de personnes et avait déplacé plus de 12,6 millions de Soudanais, ce qui en fait la plus importante crise de déportation dans le monde actuellement.
Les systèmes de la santé et de l’économie se sont totalement effondrés et la capitale, Khartoum, reste divisée entre les forces rivales. Les milices dominent le Darfour et le Kordofan, alors que l’armée lutte pour conserver le contrôle de l’est du pays et des ports de la mer Rouge.
Derrière ce sombre tableau du pays, des liens régionaux et internationaux s’entrelacent, s’étendant au-delà des frontières du Soudan pour remodeler les rapports de force dans la Corne de l’Afrique.
Les ambitions israéliennes au Soudan
Dans les zones sombres de cette tourmente, le régime sioniste d’Israël manœuvre en fonction d’un projet plus large qui envisage de contrôler les corridors de la mer Rouge et ce, sous le prétexte familier de « combattre la contrebande d’armes iraniennes » à destination de Gaza et du Yémen.
Depuis que le Soudan a signé les fameux accords d’Abraham en 2020, Israël a intensifié son empreinte politique et sécuritaire sur Khartoum et dans les régions voisines.
Pour Tel-Aviv, le Soudan est loin d’être périphérique – c’est un pont géographique vers l’Afrique et une ancre stratégique sur la mer Rouge assurant l’une des artères maritimes les plus vitales du monde entre le canal de Suez et le (détroit de) Bab-el-Mandeb.
Une étude de 2024 publiée dans le magazine officiel de l’armée israélienne par le lieutenant-colonel Gal Assil insistait en disant que
« les relations avec le Soudan revêtent un intérêt stratégique suprême, puisqu’elles permettent à Israël de contrôler des voies utilisées pour passer en fraude des armes iraniennes vers Gaza et le Yémen ainsi que d’établir des réseaux de renseignement dans le sud de la mer Rouge ».
Cette ambition sécuritaire n’a pas tardé à prendre une forme tangible. En mai 2025, la chaîne israélienne Channel 14 diffusait un très long reportage sur « l’expansion secrète de l’Iran en Afrique », mettant en exergue la Libye et le Soudan comme centres logistiques du réseau de contrebande d’armes vers Gaza.
Le reportage prétendait que le Soudan était utilisé comme « route terrestre supplémentaire » pour transporter les missiles et drones iraniens via la frontière soudano-égyptienne.
Bien qu’aucune confirmation officielle n’ait été formulée, Reuters parlait en juin 2025 de fuites diplomatiques indiquant que Tel-Aviv avait fourni un « soutien technique limité » à l’armée soudanaise – spécifiquement dans les communications et dans la surveillance aérienne – en coordination avec les États-Unis et les EAU.
Par contre, Haaretz prétendait en août 2025 qu’Israël exploitait la guerre au Soudan pour justifier son expansion militaire en mer Rouge sous le prétexte de « protéger les voies de navigation mondiales des menaces des Houthis ».
Haaretz faisait également remarquer que la crise soudanaise offrait à Israël une chance d’approfondir ses alliances avec l‘Éthiopie et l’Érythrée dans le cadre de son plan plus large visant à endiguer l’influence iranienne s’étendant de Téhéran à Sana’a et Khartoum.
Les inquiétudes croissantes d’Israël à propos du Yémen
L’engagement à la hausse de Tel-Aviv au Soudan ne peut être séparé de son inquiétude croissante à propos du Yémen. Depuis que le mouvement Ansarallah s’est emparé du contrôle de la côté occidentale du Yémen, l’équilibre de la dissuasion en mer Rouge s’est modifié de façon décisive.
Selon l’Institut national israélien d’étude sur la sécurité nationale (INSS), le contrôle par les Houthis du détroit de Bab-el-Mandeb depuis 2021 a « redéfini la menace maritime israélienne » puisque, désormais, les missiles et drones yéménites sont capables de frapper Eilat et de perturber potentiellement les voies maritimes vers le canal de Suez.
En réponse, Israël s’est mis à traiter la mer Rouge comme une zone sécuritaire nationale importante qui ne le cède qu’à la Méditerranée. Dans cette stratégie en pleine évolution, le Soudan fonctionne comme une zone tampon avancée.
Jane’s Defence Weekly rapportait en octobre 2025 qu’Israël, conjointement à ses alliés occidentaux, œuvrait à un réseau de surveillance maritime s’étendant d’Eilat au golfe d’Aden – en passant par la côte soudanaise – afin de s’assurer le contrôle de ces voies maritimes d’une importance critique.
L’intérêt d’Israël au Soudan est donc lié directement à la sécurisation du flanc opposé au Yémen.
Puisque les EU et les EAU sont actifs en Afrique orientale, Tel-Aviv a trouvé un prétexte adéquat à son expansion, dissimulant son renforcement militaire sous la rhétorique de la sécurité maritime internationale. Le chaos qui règne au Soudan est devenu à la fois une justification et une couverture de la présence croissante d’Israël en mer Rouge.
De la Corne de l’Afrique à Gaza : un nouveau paysage géopolitique
Il est de plus en plus clair que la guerre du Soudan n’est pas simplement une guerre civile interne – elle fait partie d’une confrontation géopolitique plus vaste entre l’Axe de la Résistance d’une part et l’axe américano-israélien d’autre part.
Le Soudan offre à Tel-Aviv des avantages sécuritaires significatifs, notamment dans le contrôle des transports d’armes et dans l’interception des réseaux de résistance qui s’étendent en direction de Gaza et du Yémen.
En septembre 2025, des analystes de la politique étrangère décrivaient l’approche israélienne comme une « stratégie à long terme » destinée à assurer une profondeur régionale avant de faire face à des défis internes ou directement régionaux.
Dans ce contexte, les côtes du Soudan et du Yémen forment un tampon maritime unifié, renforçant l’architecture de dissuasion israélienne contre l’Axe de la Résistance.
En contrôlant – ou du moins en surveillant – ces corridors, Tel-Aviv garantit les capacités d’alerte précoce et d’endiguement face à toute escalade.
Toutes les indications suggèrent qu’Israël perçoit le conflit soudanais comme une rare opportunité stratégique de remodeler l’équilibre du pouvoir le long de la mer Rouge.
Alors que l’attention mondiale reste absorbée par les guerres à Gaza et en Ukraine, Tel-Aviv continue de bâtir tranquillement une infrastructure sécuritaire s’étendant de la Méditerranée au golfe d’Aden et passant par le Soudan, l’Érythrée et l’Éthiopie.
Toutefois, cette expansion comporte des risques sérieux. Le chaos de plus en plus profond au Soudan pourrait finalement se retourner contre Israël, offrant à Téhéran ou à Sana’a de nouveaux points d’ancrage pour des lignes d’approvisionnement alternatives ou pour des représailles asymétriques.
Avec le mouvement Ansarallah qui intensifie ses opérations en mer Rouge, l’inquiétude d’Israël croît quant à la fusion potentielle des front yéménite et soudanais en un seul et unique théâtre de résistance.
Aujourd’hui, le Soudan est davantage qu’un champ de bataille pour des luttes de pouvoir locales – il est un pivot géopolitique dans un conflit élargi s’étendant de Gaza à Sana’a, où les objectifs sécuritaires israéliens recoupent l’instabilité africaine.
La lutte pour la mer Rouge s’est muée en une lutte non seulement pour le contrôle maritime mais aussi pour savoir qui va définir la géographie politique de la prochaine décennie.
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Publié le 29 octobre sur Tehran Times
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


                    


