Comment un cordonnier palestinien a lancé une fabrique de masques
Ce qui a débuté comme une expérience du cordonnier quelques jours après l’apparition du coronavirus en Cisjordanie s’est mué aujourd’hui en une entreprise produisant quotidiennement des milliers de masques.
Par Suha Arraf, 23 mars 2020
Deux jours après l’apparition du nouveau coronavirus à Bethléem, Amjad Zaghir, propriétaire d’un atelier de fabrication de chaussures à Hébron, en Palestine, a compris que la Cisjordanie n’allait pas tarder à être à court de masques faciaux.
Moins de trois semaines plus tard, il est le seul fabricant de masques sur place.
La fabrique de Zaghir, qu’il a lancée du jour au lendemain, produit désormais des milliers de masques par jour et a fait de lui un héros national du fait qu’il aide les Palestiniens à se protéger du virus.
Zaghir s’est mis au travail dès qu’a éclaté la nouvelle des premiers cas diagnostiqués de COVID-19 à Bethléem. Il a acheté un masque et s’est mis à l’étudier en l’examinant sous toutes les coutures.
Initialement, il pensait pouvoir le recréer à l’aide de certains des matériaux qu’il utilise en cordonnerie.
« J’ai contacté un ami pharmacien et lui ai demandé quels étaient les matériaux utilisés pour confectionner des masques »,
rappelle Zaghir.
« Mon ami m’a expliqué que ce que nous utilisions en cordonnerie ne convenait pas et il m’a orienté dans la bonne direction. »
Zaghir s’est alors mis en quête du tissu adéquat dans la région de Hébron.
Il est tombé sur un vendeur qui en avait acheté en Turquie l’année précédente, mais ne l’avait pas utilisé, parce que cela coûtait moins d’importer des masques de Chine que de les produire soi-même à Hébron.
Zaghir a acheté le tissu, dont son ami le pharmacien a confirmé que c’était bien le matériel qu’il fallait.
« J’ai d’abord essayé de coudre les masques en utilisant la même machine que pour les chaussures. Mais la tentative a échoué parce que le tissu pour les masques était trop fin et qu’il se déchirait facilement »,
explique Zaghir.
« J’ai également essayé de repasser le tissu pour créer les plis, mais j’ai fini par le brûler. »
Zaghir a alors tenté de le repasser en recourant au pressing.
« Ça n’a pas marché non plus », dit-il. « Le tissu délicat ne résistait pas à la chaleur élevée. »
Mais Zaghir n’a pas renoncé – surtout lorsqu’il a appris que les masques commençaient à manquer, en Cisjordanie, et qu’il pourrait d’agir d’une occasion en or.
À trente ans, en tant que descendant d’une famille de marchands qui a hérité cette affaire de chaussures remontant à son arrière-grand-père, Zaghir possède un excellent sens des affaires.
Toutefois, ce n’est pas simplement le profit qui l’a motivé.
« Il s’agit d’aider mon peuple et c’est une façon de créer des opportunités d’emploi »,
dit-il.
« Il y a une crise, à Hébron, et il y a beaucoup de chômeurs. »
Zaghir a voyagé à travers la ville, demandant des conseils dans des ateliers de couture et auprès de pharmaciens.
Finalement, il a découvert qu’il existait en ville une machine capable de plier les masques sans avoir à les repasser.
Pour modérer les effets de la haute température (400 degrés Celsius), il a alors enfermé les masques en sandwich entre des couches de papier. Et l’expérience a réussi.
« Le premier jour, je ne suis parvenu qu’à fabriquer 500 masques »,
dit-il.
« Le lendemain, j’en ai fait 1 000 de plus. J’ai alors engagé 20 travailleurs pour augmenter la production. »
Le nom de l’entreprise est Zaghir, ce qui signifie « petit », en arabe.
Et, alors que l’usine même peut en effet être petite, elle est devenue la première et unique entreprise en son genre en Palestine, et elle manufacture entre 7 000 et 9 000 masques par jour.
Zaghir n’est pas satisfait des quantités, toutefois.
Dès la semaine prochaine, il a prévu d’acroître un peu plus la production afin de pouvoir suivre la demande. Il a déjà trouvé un atelier vide, dans lequel il va très bientôt installer du personnel, ajoute-t-il.
Les masques se sont vendus bien mieux que des petits pains, explique Zaghir.
Il les vend aux employés du gouvernement, aux hôpitaux et même à la police palestinienne ; ce seul samedi, il a fourni 5 000 masques à la police de Naplouse.
Pour ces institutions officielles, il vend les masques à un prix symbolique de 1,50 NIS (0,38 €) – un prix déterminé par le gouverneur de Hébron. Pour les pharmacies et les autres vendeurs, le prix est différent.
« J’ai commencé par recevoir des demandes de Jordanie, du Koweït, des pays du Golfe et du Canada », dit-il.
« Même des vendeurs israéliens se sont adressés à moi pour acheter mes masques, mais je n’ai pas assez d’ouvriers. J’espère pouvoir livrer à tout le monde. »
Le matériau utilisé par Zaghir va bientôt faire défaut, cependant. Il en a déjà commandé davantage, mais les pays ont fermé leurs frontières afin d’endiguer la propagation du coronavirus.
La pandémie a également touché la Turquie, d’où le matériau doit être exporté.
Mais il en faut plus pour perturber Zaghir.
« J’ai confiance : Je parviendrai à faire entrer les matériaux. J’ai contacté la Chambre palestinienne de commerce qui, à son tour, a appelé la Chambre israélienne de commerce, qui a alors contacté les douanes et les autres autorités à propos de cette question »,
dit-il.
« C’est une crise de la santé, une pandémie mondiale, un état d’urgence. Ce ne sont pas simplement les affaires, comme d’habitude, et c’est pourquoi j’ai confiance : Ils me laisseront importer les marchandises. »
Zaghir croit que, dans une semaine, il sera à même de produire quelque 100 000 masques par jour.
« Aujourd’hui, j’ai essayé une nouvelle technique de couture qui s’est avérée efficace, et nous avons fabriqué 15 000 masques. C’est le plus gros chiffre depuis que nous avons débuté la production »,
dit-il.
« Mon masque est unique, il ne ressemble à aucun autre masque dans le monde. Toute personne qui tombera sur ce masque saura immédiatement qu’il a été fabriqué à al-Khalil (Hébron) »,
ajoute-t-il.
Publié le 23 mars 2020 sur +972magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal
Suha Arraf (1969) est directrice, scénariste et productrice. Elle écrit sur la société arabe, la culture palestinienne et le féminisme.