Un nouveau projet de loi va faire l’objet d’un débat à la Knesset israélienne : le service civil obligatoire pour tous les citoyens, y compris les Palestiniens et les Juifs ultra-orthodoxes, les deux groupes qui en étaient exemptés. Si le projet est adopté, il obligera tout citoyen âgé de 18 ans et exempté de service militaire à servir dans une autre institution publique et ce, durant une période d’un à deux ans.
Dernièrement, la commission désignée par le gouvernement pour discuter la question a suggéré le service civil pour tous. Quant à savoir si la chose sera obligatoire, on en décidera probablement cette semaine. En 2008, quelque 250.000 citoyens palestiniens d’Israël avaient signé une pétition rejetant le service civil obligatoire. Il s’agissait de la plus importante pétition de l’histoire et une large coalition de groupements de jeunes et d’organisations de la société civile avait fait campagne contre le service sous le slogan : « Nous ne servirons pas notre oppresseur. »
En tant que Palestiniens et en tant que citoyens, nous avons toutes les raisons de nous révolter contre l’État. Nos instruments dans l’arène internationale restent limités. Depuis les accords d’Oslo, l’OLP a cessé de défendre les droits des citoyens palestiniens d’Israël et la communauté internationale reste incapable de défier les « affaires internes » d’Israël.
Depuis des décennies, nous menons notre combat nous-mêmes pour les droits de notre peuple : l’égalité, la liberté et le retour. Nous manifestons, exerçons des pressions, menons des campagnes, signons des pétitions, allons en appel dans les tribunaux israéliens et publions des rapports. Dans le passé, nous avons défié certaines mesures particulières au sein d’un système dont nous n’avons jamais cru qu’il nous traiterait dans l’égalité. Le projet de loi sur le service civil pourrait être une occasion de défier l’ensemble du système.
Israël diffuse de petits slogans vides de sens sur la question : « Assumer une part égale du fardeau de l’État » ou « Les citoyens devraient se porter volontaires ». Mais notre opposition implique notre relation avec l’État depuis sa création, notre Nakba de 1948.
Malgré 64 années de tentatives israéliennes de nous rayer de la carte, de détruite et de falsifier notre identité, de gommer l’histoire du pays, nous sommes parvenus à rester, à garder notre identité, à faire revivre notre histoire vécue, notre culture et notre unité. Il n’est guère étonnant que ces efforts aient toujours été perçus comme une menace par le gouvernement israélien.
Le service civil obligatoire pour les Palestiniens constitue une continuation de notre lutte de longue haleine. Il s’agit d’une nouvelle tentative de séparer les jeunes de leur identité, de les rapprocher du système et, à long terme, de la doctrine militaire. Gabi Ashknazi, l’ancien chef de l’armée israélienne, expliquait en 2010 qu’il voulait voir « tous les citoyens âgés de 18 ans se rendre dans une salle » où l’armée aurait la priorité de choisir qui allait convenir pour l’armée et qui ne conviendrait pas. Ceux qui ne feraient pas l’affaire seraient obligés d’accomplir d’autres genres de service civil.
Israël a l’intention de recourir à ce projet pour escamoter la discussion à propos de sa responsabilité dans la garantie de l’égalité pour tous les citoyens. Il entend justifier son système raciste en justifiant l’obligation des 64 années de discrimination contre les Palestiniens par le fait que ces derniers ne remplissaient pas leurs obligations à l’égard de l’État.
Toutefois, deux questions défient cette prétention depuis très longtemps : Comment le gouvernement expliquerait-il que les gens de la communauté druze en Israël font son service militaire mais ne jouissent pas de la pleine égalité avec leurs « camarades » juifs de l’armée ? Et pourquoi les Juifs ultra-orthodoxes ont-ils été exemptés du service militaire et du service civil tout en recevant malgré tout des subventions du gouvernement ?
Selon la conception démocratique libérale de la citoyenneté, les droits des citoyens sont absolus. En fonction de la même conception, les obligations concernent principalement le paiement des taxes et le respect des lois. Les Palestiniens remplissent ces obligations. Toutefois, Israël tente pour l’instant de ramener ces droits à un seul et unique devoir : le service civil.
Au cours de cette discussion sur le service civil, la communauté palestinienne n’a été ni consultée ni impliquée dans le processus décisionnel autour d’une question qui affecte pourtant ses droits fondamentaux et alors que la chose est pourtant exigée par la législation internationale.
Dans un même temps, la campagne en faveur du service civil a tenté de présenter les Palestiniens comme des citoyens passifs qui ne veulent pas se porter volontaires ni servir nos communautés.
Pourtant, nombreux sont les jeunes Palestiniens qui font du volontariat dans bien des organisations de la société civile, lesquelles les accueillent non pas en fonction de tests de loyauté mais sur base de tout un éventail de valeurs universelles. Les défis auxquels nous sommes confrontés en faisant la promotion du volontarisme chez les jeunes sont semblables à ceux de la plupart des sociétés et ce, particulièrement à une époque de consumérisme sauvage et d’« ONG-isation » de la société civile.
L’attitude condescendante d’Israël lorsqu’il prétend savoir ce qui convient le mieux et sa prétention à vouloir prendre soin des intérêts de la minorité palestinienne sont ridicules, à la lueur de la discrimination permanente qu’il applique dans tous les aspects de l’existence. Israël ferait beaucoup mieux d’investir l’énorme budget de son administration du service civil dans notre système d’éducation, de construire les 8.000 locaux de classe manquants dans les écoles arabes, ainsi qu’investir dans des zones industrielles dans les villes arabes et développer les 45 villages non reconnus dans le Néguev. Et la liste est loin de s’arrêter là.
Pour la plupart des Palestiniens, le service civil obligatoire n’a pas un seul aspect positif. En nous appuyant sur notre longue et douloureuse expérience avec l’État, nous avons toutes les raisons de refuser cette attitude condescendante. Si le projet de loi est adopté, il constituera une opportunité historique pour une désobéissance civile collective défiant tout un système. Le service civil n’en serait pas la cause ; il serait la paille qui brise l’échine du chapeau.
Publié sur The National – 11 juillet 2012.
Traduction pour ce site : Jean-Marie Flémal
Abir Kopty est une ancienne conseillère de la municipalité de Nazareth et elle a également été porte-parole du Mossawa, un centre de défense des citoyens palestiniens en Israël.
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