Dans la réalité palestinienne, chaque jour est une Journée de la Terre

Dans la réalité palestinienne, chaque jour est une Journée de la Terre.
Le 30 mars, nous répétons ce que le poète palestinien et l’une des voix majeures des protestations de 1976, Tawfik Zayyad, avait exprimé :  

À Lidda, à Ramla, en Galilée,
nous resterons comme un mur sur vos poitrines,
et dans votre gorge comme un éclat de verre, une épine de cactus,
et dans vos yeux comme une tempête de sable.
Nous resterons comme un mur sur vos poitrines.

Des jeunes Palestiniennes lancent des slogans durant la Marche annuelle pendant le Jour de la Terre de Sakhnin à Deir Hanna, en Galilée, le 30 mars 2017 (Haidi Motola/Activestills.org)

Des jeunes Palestiniennes lancent des slogans durant la Marche annuelle pendant le Jour de la Terre de Sakhnin à Deir Hanna, en Galilée, le 30 mars 2017 (Haidi Motola/Activestills.org)

Aseel AlBajeh, 30 mars 20

Le 30 mars 1976, la police israélienne tuait six citoyens palestiniens d’Israël alors qu’ils protestaient contre l’expropriation par Israël de milliers de dounams (un dounam = 1 000 mètres carrés, NdT) de terre palestinienne en Galilée. En dépit des tentatives israéliennes de déporter, déposséder et dominer les citoyens palestiniens d’Israël dans l’État nouvellement créé sous 18 années d’un pouvoir militaire brutal et en dépit également des tentatives qui suivirent de judaïser la Galilée et d’affronter ses « Arabes radicalisés » (1), les protestations de 1976 constituèrent une action collective de masse des citoyens palestiniens d’Israël incarnant la détermination et la résistance infatigable du peuple palestinien contre le régime colonial d’implantation d’Israël et affirmant le caractère inséparable du peuple palestinien dans son ensemble, et ce, malgré les tentatives d’Israël de les fragmenter systématiquement dans le cadre de son régime d’apartheid.

Depuis lors, le 30 mars est célébré comme Journée de la Terre, une date incontournable dans la mémoire collective palestinienne. Le souvenir des dépossessions de terre en 1976 et de la brutalité de la réponse israélienne à la résistance palestinienne est un écho de la réalité palestinienne avant et après cette date. Depuis l’inauguration du projet colonial d’implantation sioniste il y a plus d’un siècle, le peuple palestinien a subi, sans cesser de lui résister, ce projet impitoyable visant à dominer toute la terre de la Palestine historique en y gardant le moins possible de population autochtone palestinienne.  

Lee vol historique et actuel des terres palestiniennes

Avant 1976, contrôler la terre palestinienne en y gardant le moins possible de population autochtone revêtit la forme d’une déportation de masse par la force et d’une dépossession de 85 pour 100 des Palestiniens autochtones : ce fut la Nakba de 1948. (2)  Dans le sillage immédiat de sa création en tant qu’État, Israël plaça ses 160 000 citoyens palestiniens restants sous une

« structure d’exception de 18 ans dans son système quotidien de gouvernance, les décrétant ainsi hors la loi en racialisant leur présence comme une menace ». (3)

Le pouvoir martial fut un outil afin de dominer et d’endiguer les Palestiniens et, par-dessus tout, de les déporter et de les déposséder massivement de leurs terres. Par exemple, la très discriminatoire Loi sur la propriété des absents, de 1950, a rendu les propriétés des réfugiés palestiniens à qui Israël a refusé le droit au retour de même que les propriétés des personnes intérieurement déplacées, susceptibles d’être confisquées et placées sous la possession de l’État.

Après avoir perpétré une autre vague de déportations et de dépossessions en 1967 et s’être assuré le contrôle du peuple palestinien dans son ensemble et de tout le territoire de la Palestine, Israël allait transférer son pouvoir martial et sa politique d’expropriation des terres dans les territoires occupés et dessiner un environnement coercitif discriminatoire censé accélérer encore les déportations de Palestiniens, de faire venir de plus en plus de colons illégaux, tout en condensant les Palestiniens dans cette prison en plein air qu’est devenue la bande de Gaza et dans les bantoustans de Cisjordanie.

En commémorant cette année la Journée de la Terre en pleine pandémie de coronavirus, le peuple palestinien continuer à affronter la Nakba toujours en cours et exemplifiée dans le refus qui leur est imposé de rentrer dans leurs foyers et dans les déportations en cours des deux côtés de la Ligne verte. Rendre les Palestiniens sans foyer au cours d’une pandémie n’arrête pas Israël dans l’expansion de son projet colonial d’implantation. Alors qu’Israël continue de manquer aux obligations que lui imposent les lois internationales de fournir des vaccins aux Palestiniens des territoires occupés, hormis Jérusalem, dans le cadre de son régime institutionnalisé d’oppression raciale et de domination, il continue de les soumettre à la menace toujours en cours de déportation.

En un an, depuis l’apparition du coronavirus le 5 mars 20920 en Palestine, Al-Haq a répertorié 362 démolitions par Israël de structures palestiniennes, dont 267 logements, ce qui s’est traduit par la déportation de 1 112 Palestiniens, dont 541 enfants et 132 réfugiés. Depuis novembre 2020, Humsa al-Fawqa, une communauté palestinienne de la vallée du Jourdain, a été démolie six fois par les autorités israéliennes d’occupation, après quoi les 11 familles de cette communauté ont été déplacées de force alors qu’on est dans une pandémie d’une ampleur mondiale.

Protestations à Berlin. On peut lire sur la banderole : « De Berlin à Umm Al-Fahem et au quartier de Sheikh Jarrah. Nous continuons. Nous sommes déterminés. » (Photo : Al-Haq)

Protestations à Berlin. On peut lire sur la banderole : « De Berlin à Umm Al-Fahem et au quartier de Sheikh Jarrah. Nous continuons. Nous sommes déterminés. » (Photo : Al-Haq)

À Jérusalem, 15 familles de la ville, totalisant environ 195 Palestiniens dans les quartiers de Sheikh Jarrah et de Batn Al-Hawa à Silwan, risquent actuellement d’être expulsées de force du jour au lendemain, suite aux décisions des tribunaux israéliens répondant favorablement aux procès intentés par des organisations de colons. (4) Le nombre total de résidents palestiniens de ces quartiers est d’environ 900, la plupart sont des réfugiés et ils risquent eux aussi d’être confrontés à des déportations et dépossessions en raison des lois israéliennes discriminatoires qui donnent aux Juifs israéliens le droit exclusif de faire valoir des revendications de propriété prétendant qu’ils avaient déjà été propriétaires à Jérusalem avant l’instauration de l’État colonial d’implantation d’Israël.

Muna El-Kurd, résidente de Sheikh Jarrah et l’une des dirigeantes de la « Campagne Sauvez le quartier de Sheikh Jarrah ». (Photo : Al-Haq)

Muna El-Kurd, résidente de Sheikh Jarrah et l’une des dirigeantes de la « Campagne Sauvez le quartier de Sheikh Jarrah ». (Photo : Al-Haq)

La répression historique et toujours en cours de la résistance palestinienne

Autant Israël persiste à mener à bien sa tentative de vider la Palestine de sa population autochtone et de contrôler ses terres, autant le peuple palestinien est de plus en plus déterminé à résister à ces tentatives coloniales d’implantation. Les protestations de 1976 servent à mettre l’accent sur la robustesse de la résilience palestinienne et sur la répression typiquement brutale exercée par Israël contre tout effort palestinien de résister à son pouvoir colonial.

Dissimulant sa politique et ses pratiques derrière une supposée menace contre la sécurité de l’État, Israël a tenté de réprimer la volonté du peuple palestinien de résister à son pouvoir colonial, de façon à préserver et à étendre son projet colonial d’implantation, en recourant à des procès militaires de détention arbitraire et administrative, à la torture, à l’usage excessif de la force, à la restriction d’espace pour les défenseurs des droits de l’homme,  et aux punitions collectives sous forme de démolitions de maisons, de révocations de résidence, de rétention de corps palestiniens, de couvre-feux et d’interdictions de passage. 

La Grande Marche du Retour 

Dans la bande de Gaza, Israël a puni collectivement toute la population sous le couvert de la sécurité, confinant depuis 2007 les 2 millions de Palestiniens dans une zone d’une superficie de 365 km². Il continue de parquer les habitants de Gaza dans une prison en plein air, les dépeint comme des terroristes, les réprime économiquement, assassine la population de façon absolument injustifiable et détruit les communautés au moyen d’agressions militaires successives, rendant ainsi Gaza impropre à la vie humaine, comme l’ont dit à maintes reprises les Nations unies dans leurs mises en garde.

En 2018, les Palestiniens de la bande de Gaza occupée ont choisi la Journée de la Terre pour lancer la Grande Marche du Retour. Comme 75 pour 100 de la population palestinienne de la bande de Gaza sont des réfugiés, (5) des centaines de milliers de Palestiniens ont participé à ces marches et ont installé tout le long de la clôture de Gaza des tentes avec les noms des endroits d’où ils avaient été déportés, réclamant la concrétisation de leur droit au retour dans leurs foyers ainsi que la fin du blocus illégal imposé à la bande de Gaza.

La Grande Marche du Retour le 30 mars 2018 (Photo Oren Ziv, Activestills)

La Grande Marche du Retour le 30 mars 2018 (Photo Oren Ziv, Activestills)

Les manifestations de masse ont été organisées sur base hebdomadaire au cours d’une année entière, et les Forces d’occupation israélienne (FOI) y ont répondu brutalement, en réprimant la Marche, en recourant systématiquement, délibérément et avec excès à la force et à des moyens meurtriers, tuant 204 manifestants palestiniens, dont 43 enfants, neuf personnes handicapées, trois membres du personnel médical et deux journalistes et blessant également plus de 9 000 Palestiniens. (6)

Le meurtre d’Atef Yousef Hanysheh

Le 19 mars 2021, juste dix jours avant que les Palestiniens ne commémorent la Journée de la Terre, les Forces d’occupation israéliennes ont tué Atef Yousef Hanysheh alors qu’il protestait contre des expropriations de terres dans son village, Beit Dajan, dans le gouvernorat de Naplouse. Atef, 47 ans, muezzin à la mosquée, marié et père de trois enfants, a été abattu d’une balle réelle dans la tête, tirée à une distance de 10 à 15 mètres, lors de la manifestation, selon Al-Haq.  

Atef protestait contre les expropriations de terres dans le cadre des protestations hebdomadaires du vendredi à Beit Dajan, et ce, depuis décembre 2020. Les gens protestent également contre la poursuite de l’expansion des colonies dans leur village. Chaque semaine, les manifestants sont confrontés aux forces d’occupation israéliennes qui leur envoient des grenades lacrymogènes ou leur tirent dessus à coups de balles en acier enrobées de caoutchouc, ou même de balles réelles.

Atef Yousef Hanysheh, 47 ans, quelques instants avant d’être abattu par un soldat des forces d’occupation israéliennes, alors qu’il manifestait contre les expropriations de terres dans son village, Beit Dajan, près de Naplouse, le 19 mars 2021. (Photo : Al-Haq)

Atef Yousef Hanysheh, 47 ans, quelques instants avant d’être abattu par un soldat des forces d’occupation israéliennes, alors qu’il manifestait contre les expropriations de terres dans son village, Beit Dajan, près de Naplouse, le 19 mars 2021. (Photo : Al-Haq)

Après la confiscation par Israël de 200 dounams (20 hectares, NdT) dans les années 1970, dans le village de Beit Dajan, en vue d’établir les colonies illégales d’Al-Hamra et de Mekhora, (7) des tentatives récentes des colons illégaux d’exproprier d’autres terres du village menacent depuis octobre 2020 les résidents locaux d’une poursuite de la colonisation.  

Alors que le 30 mars est une journée qui commémore l’assassinat de Palestiniens en 1976, suite aux brutalités israéliennes, parce qu’ils protestaient contre les expropriations de leurs terres, c’est également une journée qui met l’accent sur les expropriations massives, historiques et actuelles, de terres par Israël en tant qu’outil en vue de concrétiser le projet colonial d’implantation. La Journée de la Terre sert aussi à rappeler au monde le rejet et la répression par Israël de la résistance des Palestiniens et de leur droit à l’autodétermination est une politique qui vise à écraser la volonté du peuple palestinien et de le dominer en vue de continuer à développer le colonialisme d’implantation d’Israël.


Publié le 30 mars 2021 sur Al Haq
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Notes
(1)Yara Hawari, « Remembering Palestinian Land Day under lockdown » (The New Arab, 30 mars 2020) <https://english.alaraby.co.uk/english/indepth/2020/3/30/remembering-palestinian-land-day-under-lockdown> consulté de 29 mars 2021.

(2)Salman Abu-Sitta, « The Right of Return : Sacred, Legal and Possible » dans Naseer Aruri (réd.), Palestinian Refugees : The Right of Return (Pluto Press 2001), p. 195.

(3)Noura Erakat, Justice for Some (Stanford University Press 2019), p. 54.

(4)Al-Haq, « 14 Palestinian and Regional Organisations Send Joint Urgent Appeal to UN Special Procedures on Forced Evictions in East Jerusalem » (16 mars 2021), consulté le 20 mars 2021.

(5)UNRWA, « Where we Work » (31 décembre 2019), consulté le 20 mars 2021.

(6)Al-Haq, « Q&A : The Great Return March : One Year On » (25 mai 2019), consulté le 20 mars 2021.

(7)The Applied Research Institute – Jerusalem, « Beit Dajan Village Profile », consulté le 20 mars 2021.

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