«Être la fille d’un ancien prisonnier m’a insufflé une détermination irrésistible »
Tamam Abusala
Les prisonniers palestiniens de tout l’échiquier politique se sont engagés à rallier une grève de la faim dirigée par le dirigeant emprisonné du Fatah, Marwan Bargouthi, et dont le début est prévu pour aujourd’hui, la Journée des prisonniers palestiniens.
Les prisonniers affiliés au Parti du peuple palestinien ont annoncé qu’ils entreprendraient ce qu’on a appelé la grève « de la fierté et de la dignité ».
Les revendications des grévistes portent surtout sur les conditions de détention, avec des visites plus fréquentes de la famille ou l’accès à de meilleurs soins de santé.
Dans le présent article, Tamam Abusalama – qui écrit pour WeAreNotNumbers.org – rappelle la grève de la faim historique de son père.
« J’étais un garçon normal et j’ai grandi en étant témoin de l’oppression et de la persécution de l’occupation israélienne. C’est ce qui m’a motivé à faire mon devoir de Palestinien, c’est-à-dire défendre mon pays de toutes les manières possibles. »
Voilà comment mon père résumait ses années d’enfance à Jabalya, le plus grand camp de réfugiés de Gaza.
« Faire son devoir », pour un Palestinien, cela signifie résister à l’oppression du régime israélien qui a chassé ses ancêtres de leurs foyers en 1948 et qui n’a toujours pas cessé de le faire aujourd’hui.
Pour mon père, il en résulta un total de quinze années de prison.
La première fois que mon père a mis les pieds dans une prison israélienne, il avait dix-sept ans.
Il venait de participer à une manifestation dans le camp, en 1967, l’année où Israël avait envahi la Cisjordanie et Jérusalem-Est et en avait pris le contrôle.
Il avait été libéré après deux mois d’interrogatoire, mais arrêté de nouveau pendant quelques mois, en 1968, puis une nouvelle fois en 1970, alors qu’à cette époque, il était devenu un membre actif et influent du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).
Il est fier du fait qu’en dépit des techniques de torture utilisées par ses ravisseurs (dont il n’aime pas parler), ils n’étaient pas parvenus à lui soutirer la moindre information.
Puis il y a eu novembre 1972. D’autres Palestiniens capturés par les Israéliens n’ont pas été aussi forts et ont reconnu son implication dans des actions politiques.
« J’ai été condamné à sept fois la perpétuité plus dix ans. J’étais en colère uniquement à cause de ma mère, qui prenait de l’âge et qui faisait de son mieux pour retenir ses larmes, même si je savais très bien que son cœur tombait en morceaux »,
rappelait-il quand je lui demandais de me raconter une fois encore cette histoire.
Je lui disais que je serais devenue folle si j’avais été à sa place, mais il répondait simplement que nous, les Palestiniens, n’avons pas d’autre choix que de résister, et à n’importe quel prix.
Le fait de réfléchir profondément aux mots de mon père et d’essayer d’imaginer les pensées et les sentiments d’une mère qui apprend qu’elle sera privée du droit de voir son fils et de l’embrasser pour le restant de ses jours me liait la langue.
Papa essayait de combler mon silence et de calmer les émotions qui faisaient surface en décrivant son nouveau « foyer », à la prison de Beit Lid, en Israël.
« Vingt hommes devaient vivre entassés dans une pièce de 3,5 mètres sur 3,5 seulement, avec une tinette et un évier.
Chacun d’entre nous disposait d’un espace d’à peine 30 centimètres pour dormir, à même le sol. »
Je répondais en plaisantant : « Tu dois avoir vraiment souffert pour dormir, vu ta taille ! » (Il fait pas loin de 2 mètres – 6 pieds 5 pouces, en fait, ou 1,95 mètre !).
Il riait et ajoutait que ses amis lui cédaient une partie de leur espace pour résoudre son problème de sommeil.
Je m’arrêtais une nouvelle fois pour me mettre dans ses souliers et lui demandais comment ils passaient leur temps.
Il me dit que les livres que leur envoyait la Croix-Rouge constituaient le remède à leurs souffrances.
Je m’étais demandé le nombre de livres qu’il avait lus durant ses années d’emprisonnement, et c’était donc une bonne occasion de lui poser la question.
« On ne pourrait pas les compter. Nous n’avions rien d’autre à faire que de lire des livres. Au minimum, nous lisions trois livres par semaine »,
répondit-il.
Pour créer un sentiment d’instabilité parmi leurs prisonniers, les forces israéliennes d’occupation les déplaçaient d’une prison à l’autre.
En 1973, mon père a été emmené à la prison de Beir Saba’a [Beersheva] et incarcéré en compagnie de droits communs israéliens.
Les conditions étaient particulièrement dures : nourriture infecte, surpeuplement extrême, et uniquement de très courtes pauses à l’extérieur.
Ils ont protesté contre cette situation en refusant pendant neuf mois de recevoir des visiteurs, de se raser, de changer de vêtements et de prendre leurs pauses.
« Nous n’avons même pas vu le soleil une seule fois », rappelait-il, la voix encore toute tremblante.
Pourant, bien que les Israéliens n’eussent pas tardé à répondre aux revendications des prisonniers quand ils s’étaient mis en grève, « cela n’allait durer qu’un mois ou deux avant qu’ils ne nous ramènent ensuite au niveau zéro. »
L’une des prisons dans lesquelles il a été transféré était celle de Nafha, qu’il a toujours décrite comme une période différente de sa vie.
Je n’avais jamais été consciente de la raison exacte de cela, mais tout s’est éclairci quand il s’est mis à parler de sa participation à une grève de la faim de 33 jours, en 1982.
Cette grève, connue comme la première et la plus longue des grèves de la faim de l’histoire du mouvement des prisonniers à l’époque, avait été lancée en réaction aux traitements très pénibles et à la privation des droits les plus élémentaires.
« J’ai survécu 18 jours uniquement avec de l’eau et du sel, jusqu’au moment où un soldat israélien m’a nourri de force en faisant entrer du lait dans mon estomac par un tube introduit dans mon nez et passant par mon œsophage »,
dit-il.
Trois des grévistes, tous des amis à lui, étaient morts.
Ç’aurait été tout ce qu’il fallait savoir de la vie de mon père qu’il n’y avait eu Ahmed Jabril, le commandant général du FPLP, qui s’arrangea pour négocier un marché d’échange avec Israël à la suite duquel mon père fut libéré en 1985.
Il déborda de bonheur en apprenant cette nouvelle, mais ce fut un bonheur incomplet.
« Il n’y a rien de plus précieux que la liberté, mais nous laissions des camarades derrière nous. Nombre d’entre eux sont toujours détenus aujourd’hui dans des prisons israéliennes »,
dit-il, et la tristesse que j’avais perçue m’avait contrainte à garder à nouveau le silence.
Le processus de réadaptation à la vie normale, une fois libéré, a été difficile et très long.
Cependant, sa vie a considérablement changé pour le mieux qund il a rencontré ma mère. Je pouvais entendre le rire heureux de maman au téléphone quand il exprimait son amour pour elle.
Ce bonheur fut mis à l’épreuve à maintes reprises. En, effet, mon père fut arrêté trois fois après son mariage.
« Les moments les plus durs ont été quand je n’ai pu être aux côtés de ta maman quand elle a donné naissance à Majed et Majd (mes frère et sœur aînés) »,
dit-il.
« Shahd n’avait que vingt jours quand les forces israéliennes ont fait irruption chez nous et m’ont de nouveau emmené à la prison. »
Je puis dire qu’il retenait ses larmes.
En pendant aux récits sur la naissance de mes frère et sœurs, j’ai compris à quel point j’avais de la chance.
Je n’aurais jamais débarqué sur cette planète s’il avait été détenu plus longtemps.
Être la fille d’un ancien prisonnier m’a insufflé une détermination irrésistible afin de briser toutes les frontières et limites.
L’histoire de la famille n’est qu’une histoire parmi des milliers.
Papa considère que la quinzaine d’années qu’il a passées derrière les barreaux de l’occupation ne sont rien si on les compare au calvaire d’autres prisonniers.
Trente-deux ans ont passé depuis sa dernière incarcération, mais rien n’a changé. Israël continue à nous priver de nos droits même les plus élémentaires en tant qu’êtres humains.
Et la résistance en tout genre est toujours aussi sévèrement punie.
Aujourd’hui, il y a 6 300 prisonniers politiques palestiniens dans les prisons israéliennes, et chacun a une histoire douloureuse à raconter.
Mon père a toujours été le personnage clé de ma vie.
J’ai toujours été fière d’être la fille de mon père.
Sa lutte, sa détermination, sa force et son savoir ont contribué pour une part importante à ma personnalité.
Être la fille d’un ancien prisonnier m’a insufflé une détermination irrésistible afin de briser toutes les frontières et limites.
Je lutte contre tout ce qui viole ma liberté et celle de mon peuple.
Publié le 17 avril 2017 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal
Tamam Abusalama est une blogueuse palestinienne, née et élevée dans la bande de Gaza. Elle vit actuellement en exil en Belgique. Ses origines se situent au village palestinien de Bayt-Jirja, complètement détruit par les forces israéliennes en 1948.
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Photo à la une : une peinture du père de Tamam Abusalama, réalisée par sa soeur, Shahd.