Droit au retour : la clé légale pour défaire la conquête sioniste
L’une des caractéristiques les plus ironiques du sionisme et de l’État d’Israël est la manière centrale dont le concept de « droit au retour » éclaire leur idéologie et leurs politiques.
Le projet colonial du sionisme s’articulait autour de l’affirmation que les Juifs européens contemporains étaient les descendants des anciens hébreux de Palestine, et que leur plan de colonisation n’était rien d’autre qu’une stratégie pour « ramener » les juifs au pays de leurs ancêtres présumés après une absence de deux millénaires.
Ainsi, le concept de « droit au retour » était, et demeure, la pierre angulaire idéologique du sionisme et de l’Etat d’Israël.
Dans la Déclaration de l’établissement de l’État d’Israël, publiée en mai 1948, les fondateurs de la colonie de peuplement ont affirmé :
« Après avoir été exilé de force de leur terre, le peuple [juif] a gardé foi en elle tout au long de sa Dispersion et n’a jamais cessé de prier et d’espérer son retour et la restauration de sa liberté politique (…). Au cours des dernières décennies, ils sont revenus en masses (…). L’Etat d’Israël sera ouvert à l’immigration juive et au Rassemblement des Exilés ».
Résolution 194 de l’ONU
Israël a garanti cet engagement par la promulgation de la Loi du retour de 1950, qui garantit à tout juif du monde entier le droit « de venir dans ce pays en tant qu’oleh [immigrant]« .
Pendant ce temps, les milices sionistes expulsèrent le peuple palestinien de sa patrie, à partir de la fin de 1947.
A la fin de 1948, année de la création d’Israël, plus de 750.000 Palestiniens avaient été expulsés.
Cela a contraint les Nations Unies à adopter la résolution 194 en décembre 1948, stipulant que
« les réfugiés qui souhaitent rentrer chez eux et vivre en paix avec leurs voisins devraient être autorisés à le faire dès que possible, et qu’une indemnisation devrait être versée pour les biens de ceux qui choisissent de ne pas revenir et pour les pertes ou dommages matériels qui, selon les principes du droit international ou en équité, devraient être réparés par les gouvernements ou autorités responsables ».
Le gouvernement israélien a toujours rejeté la résolution 194. Afin de contester le droit au retour des Palestiniens, Israël a publié sa loi sur le retour des Juifs un an et demi après la résolution de l’ONU.
L’ironie n’est pas qu’Israël ne reconnaisse pas le droit des réfugiés de revenir dans leur patrie ; Israël reconnaît seulement le droit des Juifs – dont il prétend, sur la base de ses mythes religieux et coloniaux, qu’ils sont des réfugiés de Palestine qui ont vécu en exil pendant 2.000 ans – de « rentrer », alors qu’il nie ce droit aux Palestiniens, qu’il reconnaît comme ayant été déplacés de Palestine.
La base de ce décalage n’est pas une affirmation israélienne que les Juifs ont été exilés, mais que les Palestiniens ne l’ont pas été, ou que les Palestiniens ne sont pas originaires de Palestine, comme il le prétend pour les Juifs.
Au contraire, l’enjeu essentiel pour Israël est qu’il comprend parfaitement que le droit international et la garantie par l’ONU du droit au retour des Palestiniens expulsés nient le droit au retour qu’Israël accorde aux Juifs du monde entier, et donc le droit des Juifs à coloniser la patrie des Palestiniens.
Retour en tant que colonisation
Bien que Theodor Herzl n’ait pas parlé d’un « retour » des Juifs dans son pamphlet de 1896 L’Etat des Juifs, dans son roman de 1902 Old-New Land [Le pays ancien-nouveau], il a souligné le concept de « retour », qu’il a explicitement associé à la colonisation.
Cette conception du retour en tant que colonisation et expulsion des indigènes a toujours été explicite et n’a jamais été dissimulée par les premiers sionistes, qui écrivaient, après tout, pendant l’apogée du colonialisme européen.
Dans son roman, la pensée d’Hertzl est d’abord exprimée par un personnage fictif d’Europe de l’Est : « le Dr Weiss, un simple rabbin d’une ville de province en Moravie ». Weiss déclare :
« Un nouveau mouvement est apparu au cours des dernières années, qui s’appelle le sionisme. Son but est de résoudre le problème juif par une colonisation à grande échelle. Tous ceux qui ne peuvent plus supporter leur sort actuel retourneront dans notre ancienne maison, en Palestine. »
En 1923, Vladimir Jabotinsky, le leader du sionisme révisionniste, avait exposé le couplage sioniste dans son manifeste, Le mur de fer, en écrivant que
« lorsque le monde civilisé tout entier aura reconnu que les Juifs ont le droit de retourner en Palestine, ce qui signifie que les Juifs sont, en principe, aussi des « citoyens » et des « habitants » de Palestine, mais qu’ils en ont été chassés, et que leur retour doit être un long processus, il est faux de prétendre qu’entre-temps la population locale a le droit de refuser de leur permettre de revenir…. La Palestine se compose de deux groupes nationaux, le groupe local et ceux qui ont été chassés, et le second groupe est le plus nombreux.”
Jabotinsky, comme Herzl, avaient compris que le soi-disant « retour » des Juifs en Palestine n’était que colonisation :
« Il ne peut y avoir d’accord volontaire entre nous et les Arabes palestiniens… il est absolument impossible d’obtenir le consentement volontaire des Arabes palestiniens pour convertir la « Palestine » d’un pays arabe en un pays à majorité juive… Je suggère que [mes lecteurs] considèrent tous les précédents qu’ils connaissent et voient s’il y a un seul exemple de colonisation menée avec le consentement de la population locale. Il n’existe aucun précédent de ce genre. »
« Les populations indigènes, civilisées ou non, ont toujours résisté obstinément aux colonisateurs, qu’ils soient civilisés ou sauvages. »
Défaire le système raciste d’Israël
Contrairement aux Palestiniens, dont le droit au retour est affirmé dans le droit international et les résolutions de l’ONU, il n’existe aucun document ou loi internationale qui garantisse un « droit au retour » juif en Palestine ou en Israël.
Ni la Déclaration de Balfour de 1917 ni le Plan de Partition des Nations Unies de 1947 ne parlaient du droit des Juifs à « revenir » en Palestine. Seules les revendications idéologiques israéliennes et la loi israélienne leur accordent un tel droit.
C’est la raison pour laquelle les deux droits au retour ne sont pas symétriques dans l’argumentation israélienne, pas plus qu’ils ne le sont dans le droit international.
C’est précisément parce que le « droit » des Juifs européens à retourner dans leur prétendue « patrie » ne pouvait être réalisé que par la colonisation de la patrie des Palestiniens, et que la colonisation juive des terres palestiniennes ne pouvait être réalisée que par l’expulsion des Palestiniens indigènes et leur incapacité à jamais rentrer chez eux, qu’un droit au retour palestinien annulerait tout le projet sioniste, qui est fondé sur leur expulsion.
L’exercice du droit au retour internationalement reconnu des Palestiniens annule le « droit » juif israélien de coloniser la Palestine et annule la loi israélienne sur le retour.
Israël comprend très bien que le retour des réfugiés palestiniens et de leurs descendants ne signifie rien de moins que la décolonisation et la disparition du statut spécial raciste qu’Israël accorde exclusivement aux Juifs.
La conception du droit international des droits des réfugiés inclut le droit de leurs descendants au retour, ce qu‘Israël et les forces pro-israéliennes considèrent comme illégitime.
Or, la conception israélienne du retour des juifs, telle que modifiée ultérieurement dans sa loi de retour, le permet non seulement à ceux qui sont reconnus comme juifs de « revenir » en Israël, mais aussi à un
« enfant et un petit-enfant non juif d’un juif, l’époux d’un juif, l’époux d’un enfant d’un juif et l’épouse de l’un des enfants d’un juif, sauf pour celui qui a été juif et qui a changé volontairement de religion ».
Cet amendement est conforme à la conception initiale et permanente du sionisme selon laquelle le « droit exclusif au retour » juif signifie le droit juif de coloniser la Palestine.
Le cas bosniaque
Les affirmations israéliennes, cependant, ne sont pas partagées par l’ONU ou le droit international.
Outre les réaffirmations répétées du droit au retour des réfugiés palestiniens par l‘ONU, le droit au retour des personnes déplacées a été respecté dans son principe et dans sa pratique après la guerre de Bosnie.
Environ un demi-million de réfugiés et de personnes déplacées sont rentrés chez eux, avec l’aide internationale, après l’Accord de Dayton de 1995, en Bosnie, un pays de 3,5 millions d’habitants dominé sur les plans démographique et politique par les membres d’une autre communauté ethnique.
Comme le cas bosniaque le démontre clairement, le droit au retour des réfugiés l’emporte sur les politiques raciales séparatistes des autorités locales, qui cherchent à continuer à contrôler les terres des réfugiés déplacés et à les peupler démographiquement avec leur propre groupe ethnique, au détriment des réfugiés.
L’application internationale du droit au retour des réfugiés bosniaques était fondée sur le droit au retour bien établi des réfugiés dans le droit international et les résolutions des Nations Unies.
Le séparatisme démographique et racial n’a aucune valeur morale ou juridique pour faire respecter le droit au retour des réfugiés.
C’est toujours le cas aujourd’hui, avec le droit des réfugiés somaliens et de leurs descendants de revenir dans leur pays.
C’est ce droit établi que l’administration Trump cherche à défaire par ses tentatives continues de détruire l’UNRWA, l’agence des Nations Unies qui aide les réfugiés palestiniens, et de redéfinir qui est ou non un réfugié.
Les Palestiniens étant aujourd’hui plus nombreux que les Juifs dans toute la Palestine occupée par Israël, l’adoption par Israël de la loi sur l’État-nation en juillet 2018 a été conçue pour assurer la suprématie raciale juive dans le pays, après l’échec d’Israël à assurer la suprématie démographique juive.
Colonisation de peuplement
La conception israélienne des droits n’est pas universelle, mais toujours particulière – en fait, toujours spécifique aux Juifs.
C’est ce particularisme qu’Israël cherche à rendre compatible avec l’universalisme du droit international.
Si l’universalisme du droit au retour des Palestiniens, fondé sur le droit international et les résolutions de l’ONU, est défait au profit du particularisme israélien d’un « droit au retour » juif imposé par le diktat américain et israélien comme nouvelle base du droit international, alors la menace d’un retour palestinien serait neutralisée et le droit à la continuation de la colonisation juive de Palestine serait garanti.
La récente décision de l’administration Trump affirmant que les colonies coloniales juives à Jérusalem, en Cisjordanie et sur le plateau du Golan ne sont pas contraires au droit international, est le résultat logique des efforts antérieurs d’Israël et des États-Unis pour refuser aux Palestiniens le droit au retour en redéfinissant qui est ou non un réfugié.
La colonisation sioniste de la Palestine était basée sur un droit juif particulariste de retour, de colonisation et d’expulsion des Palestiniens ; en bref, elle était basée sur la suprématie raciale, qui justifiait ce droit présumé.
La lutte palestinienne d’aujourd’hui ne doit donc pas hésiter sur la mise en œuvre du droit au retour des Palestiniens, car ce droit est la clé légale pour défaire la conquête sioniste de la Palestine dans son ensemble.
Israël et son allié américain le comprennent très bien, c’est pourquoi ils se battent de toutes leurs forces pour le défaire.
Publié le 4 décembre sur Middle East Eye
Traduction : MR pour ISM