Film : « It must be Heaven » d’Elia Suleiman (Palestine)

Mon film tente de présenter le monde comme un microcosme de la Palestine, affirme Elia Sumeiman.

Absence de dialogues, mais un silence bruissant de non-dits , un personnage faussement candide (qui rappelle le Persan de Montesquieu), une succession de « saynètes » – une cinquantaine – souvent chorégraphiées comme autant de micro-observations  – proches des  microfictions au sens littéraire?  -, Elia Sumeiman entraîne le spectateur dans son parcours de cinéaste nomade de Nazareth à Paris, de Paris à New York avant de revenir à Nazareth. En fuyant sa terre natale, il va à la rencontre d’autres pays réputés plus paradisiaques et plus « pacifiques » mais qui hélas vont bien vite se révéler ghettoïsés  « palestinisés » (?)

Mon film tente de présenter le monde comme un microcosme de la Palestine, affirme-t-il.

C’est qu’on assiste à « une mondialisation de la sécurité », que partout sévissent les contrôles. Les checkpoints se retrouvent dans tous les aéroports et centres commerciaux de tous les pays. Dès lors quand un producteur lui refuse un projet de film au prétexte qu’il n’est pas assez « palestinien » (il pourrait se passer n’importe où ) éclate au grand jour la méprise sur les intentions du réalisateur…

D’un balcon surgit -telle une marionnette des spectacles de Guignol – un chapeau, puis un visage au regard à la fois narquois et étonné, c’est ES ;  il regarde le voisin israélien qui, dans son propre jardin cueille des citrons, mais … certifie ne pas les voler…. à la fin, le voisin arrose les anciens et nouveaux citronniers comme si le citronnier ne pouvait grandir survivre que sur son PROPRE terrain…MAIS le voisin l’accapare…(métaphore de ce que  l’on appelle par euphémisme « conflit israélo-palestinien »?)

Paris. ES est attablé seul à une terrasse : son regard se promène de droite à gauche, de haut en bas, de gauche à droite, de bas en haut : c’est que les passantes filmées au ralenti ressemblent étrangement à des mannequins – en écho tourne en boucle sur un écran télévisé un défilé de mode que le même ES peut apercevoir, en profondeur de champ depuis son appartement parisien, dans un studio situé en face…. (réalité et fantasmes)

Paris une capitale déserte ? C’est le 14 juillet et voici que des chars envahissent  les rues, menaçants…. Des policiers traquent des délinquants ? : ES les voit de sa fenêtre en plongée, interloqué par  cette course en mono-roue électrique chorégraphiée;  mais la critique sous-jacente n’en reste pas moins cinglante tout comme celle de ces policiers Outre Atlantique pourchassant un ange qui réclame Free Palestine.  On peut sourire de certaines outrances -voyez tous ces clients portant une arme automatique dans une grande surface, à la veille d’Halloween – mais non de leur  vérité implicite !

Le réalisateur interprétant son propre rôle a choisi le silence , préférant à la parole la puissance de l’image ; – nous entendrons sa voix au moment où il décline son identité à un chauffeur de taxi à New York ; lequel, ébahi, freine avec brusquerie, « Ah vous êtes Palestinien ?, je n’ai jamais vu de Palestinien ! Je vous offre la course… »

À la fin d’un voyage désenchanté, le retour en Palestine est marqué par l’exultation -exaltation de l’espoir?- : dans une boîte de nuit, ES contemple presque émerveillé, tous ces  jeunes  qui offrent à la musique leurs corps libres, libérés même provisoirement de tous les jougs, ivres de l’instant partagé.  Et si s’accomplissait la prédiction du  cartomancien consulté à New York ? Ou du moins en seraient-ce les prémices?

Un film qui, pour évoquer le chaos contemporain,  fait la part belle à la poésie,  à l’ironie, à l’étrangeté.


Publié le 13 décembre 2019 sur le blog de Colette Lallement-Duchoze sur Mediapart

Vous aimerez aussi...