Le Shabak arrête une Palestinienne travaillant dans l’aide humanitaire

Richard Silverstein, 15 mars 2020

Vidéo Libérez Aya Khatib

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Durant les longues années où j’ai écrit sur la police secrète israélienne – appelée également le Shabak ou le Shin Bet – et dénoncé ses déprédations, j’ai rarement vu une arrestation aussi ridicule que celle à laquelle elle a procédé le mois dernier.

Hier, j’ai écrit qu’elle avait arrêté une Palestinienne travaillant dans l’aide humanitaire, Aya Khatib.

Hier, donc, cette femme a comparu au tribunal, mais aucune accusation n’a été formulée publiquement contre elle.

Son travail en tant qu’activiste du bien-être social consistait à collecter des fonds parmi les Palestiniens israéliens afin d’aider les nécessiteux et les sans-abri de Gaza.

En cette qualité, elle voyageait souvent entre Israël et Gaza pour apporter de l’aide aux familles qui en avaient besoin.

Aujourd’hui, moins de 24 heures après avoir publié son nom et sa photographie, donc en violation de l’obligation de silence, le Shabak s’est senti obligé de publier une déclaration publique mettant en évidence les crimes supposés d’Aya Khatib.

Nous apprenons qu’elle a 31 ans, qu’elle est mariée et qu’elle a deux enfants.

Le Shabak accuse Aya Khatib de se servir de sa position pour s'engager dans des actes de terrorisme contre Israël

Aya Khatib, Palestinienne détenue en secret

La formulation précise du communiqué était « mariée 2+ ». Cela évite de devoir dire qu’elle est une maman et cela transforme en même temps ses enfants en vulgaires numéros.

Elle a été arrêtée le 17 février et a été soumise à tout moment à des interrogatoires et à des tortures physiques, sans pouvoir avoir le moindre contact avec un conseiller juridique.

Le Shabak l’accuse d’être une terroriste financière et une « agente secrète » au service de l’aile militaire du Hamas.

Elle est supposée avoir siphonné « des centaines de milliers de shekels », des fonds qu’elle collectait pour faire la charité et qu’elle transférait aux militants du Hamas, qui les consacraient à leur tour à la construction des « tunnels de la terreur » (le terme sous lequel Israël les désigne) et à la planification d’attentats terroristes.

Elle est également accusée d’avoir fait entrer à Gaza des « équipements sensibles » et leurs composantes, qui pouvaient ensuite être utilisés dans des opérations similaires ainsi que dans le repérage des positions des FDI le long de la « frontière » non démarquée.

La déclaration du Shabak prétendait également de façon on ne peut plus éhontée que, pour monter cette opération, le Hamas « exploitait cyniquement la souffrance » des Gazaouis à son propre profit, alors qu’en vérité, la souffrance des Gazaouis est de la faute et de la responsabilité d’une partie et d’une seule : Israël.

S’il n’y avait pas de siège, il n’y aurait pas de souffrance. Il n’y aurait pas besoin d’aide humanitaire.

De la sorte, Israël peut faire main basse sur le beurre et sur l’argent du beurre : il peut imposer un siège excessif et illégal à Gaza et utiliser ensuite la souffrance ainsi engendrée pour criminaliser encore plus ces Palestiniens qui cherchent à améliorer leur sort.

Il s’agit d’une méthode diabolique, mais absolument typique d’Israël, afin de causer des souffrances et les amplifier ensuite.

Les médias israéliens accepteront sans aucun doute avec crédulité cette histoire qui n’a en aucun cas été vérifiée, et il est même possible qu’ils affirment faussement que Khatib a « confessé » ou « reconnu » ses crimes.

Ici, dans les commentaires, un hasbariste a recouru à ce genre de fausse description.

En fait, même la déclaration du Shabak ne prétend pas qu’elle a avoué, mais plutôt que l’interrogatoire a « révélé » qu’elle avait commis ces crimes.

En analysant les activités et les allégations du Shabak, il est important de remarquer ces nuances dans le langage. Vous pouvez dissimuler un tas de mensonges, dans des phrases aussi vagues que celles-là.

Je ne crois pas du tout à ces accusations pour un certain nombre de raisons.

Primo, une femme de 31 ans, mère de deux enfants, ne s’engage pas à contribuer à mettre sur pied des attentats terroristes ;
secundo, une collaboratrice de l’aide humanitaire ne s’impliquera pas dans l’élaboration de violents attentats terroristes ;
tertio (et c’est le plus important), le Shabak a un long passé de fausses accusations de conspirations terroristes, quasi identiques, à l’encontre de collaborateurs humanitaires palestiniens.

Voici environ un an, il a arrêté et accusé une personne de ce genre – qui travaillait pour une organisation internationale d’aide financée par le gouvernement australien – d’avoir détourné des fonds pour les transférer ensuite au Hamas dans le même but.

Il y avait un grave problème, avec les accusations formulées par le Shabak : L’organisation d’aide a pris la défense de son employé, a affirmé qu’il n’avait jamais eu accès au montant des fonds que le Shabak l’accusait d’avoir volés.

Qu’il n’y avait pas de fonds qui n’aient fait l’objet de comptes, qu’elle avait passé les accusations au peigne fin et avait fini par innocenter son employé de toute malversation.

De même, le gouvernement australien avait lancé sa propre enquête pour s’assurer que ses fonds avaient été utilisés à bon escient. Lui non plus n’avait pu confirmer les accusations de la Shabak et les avait par conséquent déclarées fausses.

Le discours sous-jacent, ici, et que vous ne lirez jamais dans aucune publication israélienne ou étrangère, c’est qu’Israël entend bel et bien étrangler Gaza.

Il veut que les Gazaouis souffrent un maximum.

Il croit d’une certaine façon qu’agir de la sorte va desserrer l’étreinte du Hamas sur l’enclave ; ou entraver sa capacité à s’engager dans la résistance organisée contre Israël.

Il est également très important de bloquer tout soutien extérieur à Gaza, soit de la part d’associations humanitaires, soit de gouvernements étrangers.

À plus long terme, Israël cherche à détruire la possibilité pour les Gazaouis d’être perçus comme des réfugiés auxquels est dû un statut juridique de protection.

Agir de la sorte absout Israël de toute obligation à long terme, soit de les aider, soit de les réaccepter finalement dans leurs anciens foyers et communautés, comme le veut le Droit au Retour.

À cette fin, il est d’une grande importance que le Shabak criminalise l’aide à Gaza.

Qu’il calomnie à la fois les bénévoles de l’aide et leurs employeurs en les accusant d’aider et d’entretenir le terrorisme.

C’est pourquoi Israël s’est engagé dans une campagne aussi virulente de dénigrement de l’UNRWA, et que la raison pour laquelle les Etats-Unis ont laissé tomber l’organisation en la privant de leur soutien financier et en rejetant la désignation internationale des Gazaouis en tant que réfugiés sous les protocoles des Nations unies revêt une telle importance.

L’ironie finale, ici, c’est que le Shabak accuse une bénévole palestinienne de l’aide de se servir de sa position pour s’engager dans des actes de terrorisme contre Israël.

Remontez une année plus tôt seulement et vous verrez que l’unité des opérations spéciales des FDI, le Sayeret Matkal, a élaboré une opération similaire.

Il a infiltré une unité de commandement de Gaza en se faisant passer pour une organisation d’aide humanitaire.

Sous cette couverture, il a pu voyager un peu partout dans l’enclave et installer des appareils de surveillance sophistiqués afin de contrôler les communications du Hamas.

En utilisant une telle couverture, les FDI mettaient en danger les véritables et légitimes bénévoles de l’aide humanitaire en même temps que leurs activités.

Sans parler de la vingtaine de Gazaouis assassinés que les commandos avaient laissé derrière eux pour s’enfuir, lorsque le Hamas a découvert l’opération israélienne.

Que peut prétendre une telle nation à propos de quelqu’un comme Khatib, alors qu’elle fait la même chose, voire pire encore, dans la poursuite de ses propres intérêts ?

Voilà un bel exemple d’hypocrisie des plus infâmes !


Publié le 15 mars 2020 sur Tikun Olam
Traduction : Jean-Marie Flémal

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