Pourquoi ? Des questions et un couvre-feu… Mazin Qumsiyeh

Rues désertes à Behthléem et dans tout le district (Photo : Reuters)

Mazin Qumsiyeh, 19 mars 2020

Depuis hier soir, notre Beit Sahour (ville palestinienne à l’est de Bethléem, ndlr) est sous couvre-feu complet. Même sortir pour acheter de la nourriture est interdit.
Le comité d’urgence a déclaré que nous pouvions téléphoner aux magasins pour qu’ils nous livrent à domicile.

Toutefois, je ne suis pas sûr de la façon dont cela pourrait fonctionner puisque la plupart des gens ont besoin d’argent et ils n’en ont pas. 
Et, s’ils en ont quand même à la banque, il leur faudrait se rendre à un ATM (distributeur automatique de billets), ce qui est tout aussi interdit.

De plus, les banques sont fermées dans le district de Bethléem, de sorte qu’elles ne peuvent réapprovisionner ces mêmes ATM.

J’aimerais aussi m’occuper de gens dans le besoin et les aider, mais je dois réfléchir à la façon dont nous allons bien pouvoir nous y prendre alors que nous sommes sous couvre-feu complet. Les gens de l’équipe (du Musée, ndlr) sont tous à la maison et nous essayons de faire notre travail, bien que ce soit éprouvant sur le plan psychologique. Mais nous devons garder le moral.

L’Autorité palestinienne (AP) fait certaines choses positives mais, comme tous les autres dirigeants politiques, elle n’est pas exempte de certaines considérations politiques et, comme elle dispose d’une liberté de mouvement ainsi que d’un tas de ressources, elle peut ne pas comprendre tout à fait les besoins des gens.

De plus, les coordinations avec nos oppresseurs de l’apartheid se sont considérablement accrues.

Israël tire parti de cette occasion pour appliquer les dernières touches de son plan d’hégémonie totale, d’épuration ethnique et d’apartheid.

Photo : Quds Network

Son armée d’occupation est même entrée à Bethléem (équipée de protections complètes anti-corona) et elle est allée arrêter trois personnes chez elles.

Il est vraiment écœurant que tout ce que fait l’AP consiste uniquement à sortir des déclarations. J’ai donc des questions à poser :

Pourquoi l’Autorité palestinienne n’a-t-elle pas la dignité d’utiliser cette crise pour enfin renoncer à Oslo et cesser de servir l’occupation. Elle pourrait se libérer ainsi de sa responsabilité dans la santé et l’éducation des Palestiniens occupés au lieu de s’endetter et de dépendre de l’argent de la charité ?

Pourquoi utilisent-ils des haut-parleurs et font-ils des discours sur les couvre-feux ou la « distanciation sociale », mais sans expliquer aux gens ordinaires comment se débrouiller, comment survivre sans revenu, comment avoir des « connexions sociales » (et s’aider les uns les autres tout en maintenant la « distanciation physique ») ?

Pourquoi nos priorités financières dévient-elles toujours en faveur de l’armée et des élites et qu’il n’y en a jamais qu’une infime fraction qui va à la santé, l’agriculture, l’éducation et la recherche ?
Par exemple, l’AP a dépensé plus de 40 pour 100 de son budget dans la sécurité et si peu dans les domaines qui auraient pu nous aider à contrer cette crise.

Si les gouvernements ont des pouvoirs d’urgence, pourquoi ne s’en servent-ils pas pour taxer les nantis, disons de 5 pour 100 de leur richesse, au lieu d’accumuler les dettes ? S’ils pratiquaient de la sorte avec la seule classe des milliardaires, ils récupéreraient des centaines de milliards !!

Pourquoi les ministres, y compris aux gouvernements locaux et à la santé (et pas seulement en Palestine) ne lancent-ils pas des appels pour qu’on envoie des experts dans les zones où c’est le plus nécessaire (comme en éducation santé communautaire, en épidémiologue, en nutrition, etc.) ?

Pourquoi sont-ce Cuba et la Chine qui aident le monde alors que le pays considéré comme le plus riche de la planète – les États-Unis – a en fait puni ces mêmes pays (sanctions contre l’Iran, Cuba, le Venezuela, le Yémen, la Syrie, etc., blocus financier contre la Chine et la Russie, et Trump qui parle sans arrêt de « virus chinois ») ?

Pourquoi ne proclame-t-on pas une situation de pandémie pour les 25 000 personnes qui meurent quotidiennement de faim, les plus de 10 000 autres qui meurent chaque jour de maladies aisément évitables, comme la malaria, ou des centaines encore qui meurent quotidiennement, victimes d’un blocus (par exemple, à Gaza, au Venezuela, en Iran) ?

Pourquoi les hommes politiques ne seraient-ils pas tenus responsables de ne pas tenir compte de nos mises en garde (et quantités de travaux publiés) en tant qu’hommes de sciences disant que des telles pandémies étaient inévitables ?

Pourquoi les gens laissent-ils leurs gouvernements accumuler des pouvoirs qu’ils utilisent à leur profit politique en restreignant les droits du peuple quand il y a une crise, alors que ces mêmes personnes savent que, une fois la crise passée, les gouvernements ne rendront pas ces droits au peuple (comme, par exemple, la Loi PATRIOT, qui n’a jamais été abrogée depuis 2001 !) ?

Pourquoi les pays occidentaux grossiraient-ils la dette de leur gouvernement (lisez : de leur peuple) pour aider les gens riches et les sociétés à survivre, mais pas les gens (plus de 400 milliards en Grande-Bretagne, plus de 1 000 milliards aux États-Unis) ?
Les gens ordinaires (les contribuables) s’appauvrissent et les gens riches continuent de s’enrichir plus encore.

Pourquoi les gens font-ils confiance en leurs gouvernements, alors qu’il est clair qu’ils leur ont menti à maintes reprises ? Pourquoi permettons-nous à de tels États de continuer à nous donner le choix entre, par exemple, Clinton contre Trump ou Biden contre Trump ou encore Abbas contre Haniya et Netanyahu contre Gantz ? La crise fera-t-elle vraiment en sorte que ce genre de personnages changent leurs habitudes ?

Je ne sais qu’une chose, c’est que nous tous, nous avons besoin de creuser au plus profond de notre cœur pour trouver des réponses et, plus important encore, pour imaginer des actions.

Il y a 19 ans, j’avais rédigé un article au lendemain de la crise du 11 septembre 2001 pour expliquer les deux choix auquels nous étions confrontés (collectivement) : Ou bien nous gardons nos vieilles habitudes (rapacité, capitalisme rampant et mourir tous ensemble), ou nous prenons soin les uns des autres ainsi que de notre planète.

Notre santé et la santé de la planète sont en jeu, ici. Et il est d’une importance primordiale de le rappeler. Espérons que nous ferons les bons choix en exerçant des pressions sur les hommes politiques et en choisissant la vie. Nous ne pouvons agir comme des lemmings se dirigeant vers une falaise.


Publié le 19 mars sur Popular Resistance
Traduction : Jean-Marie Flémal

  

 

Mazin Qumsiyeh est l’auteur de « Sharing the Land of Canaan » et de « Une histoire populaire de la Résistance palestinienne».
Il enseigne au sein de l’université de Bethléem et de Bir Zeit et dirige le Musée Palestine d’Histoire Naturelle et l’Institut palestinien de biodiversité et durabilité

Trouvez ici d’autres articles de Mazin Qumsiyeh, ou parlant de lui, publiés sur ce site

 

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...