Après Wadie Haddad : La «guerre contre la terreur» et la résistance
L’article que voici, rédigé par Charlotte Kates, coordinatrice internationale de Samidoun, a été publié une première fois en traduction arabe dans le magazine Al-Adab, le 28 mars 2017, dans le cadre d’un dossier d’évaluation de la vie et de l’héritage de Wadie Haddad.
Haddad, confondateur du Mouvement nationaliste arabe avec Georges Habache et, plus tard, du Front populaire pour la libération de la Palestine, était bien connu pour ses « opérations externes », qui avaient pour but de montrer aux yeux du monde la situation critique et la lutte du peuple palestinien, et particulièrement les détournements d’avions du début des années 1970.
Sa devise, « Derrière l’ennemi, partout », reflétait la nature internationale de la lutte pour la Palesine.
Le 28 mars 1978, Haddad mourait de la leucémie en République démocratique allemande. Certains ont accusé le Mossad de l’avoir assassiné, comme il avait tenté maintes fois de le faire dans le passé.
Plus de quarante ans après sa mort, il est resté un symbole de la lutte militante pour la libération de la Palestine, depuis le fleuve jusqu’à la mer.
Si cet article a été initialement écrit et publié voici trois ans déjà, les sujets qu’il traite restent pertinents dans les défis auxquels notre mouvement est confronté aujourd’hui.
Après Wadie Haddad : La « guerre contre la terreur » et la résistance
Par Charlotte Kates
L’héritage et l’histoire de Wadie Haddad ont toujours des échos aujourd’hui, tant pour le mouvement palestinien de libération nationale (et d’autres mouvements de ce genre) que pour ses ennemis.
La préoccupation du « terrorisme » et la désignation, sous le vocable « terrorisme », de toute forme de résistance à la domination impériale totale sont devenues la communication première des principaux médias.
Des structures et cadres juridiques entiers et une « guerre » métaphorique au coût physique sérieux sont orientés sur la liquidation de ce « terrorisme ».
À bien des égards, les opérations de Haddad étaient destinées à aller perturber gravement l’équilibre du pouvoir et la présence dominante des armées et de la puissance économique des États-Unis et d’Israël.
Avec des actions physiques, visuelles et médiatiques dramatiques et des cibles bien précises, le but de ces opérations n’était pas de provoquer la « terreur » via massacres et blessures, mais de renverser le cadre dans lequel les opprimés sont en permanence vulnérables à toutes formes d’agression, de dépossession et de destruction dans le même temps que l’oppresseur a tout loisir de rester assis confortablement, sans crainte de voir sa propre société confrontée à la panique ou à la moindre perturbation.
Bien sûr, les opérations de Haddad n’étaient pas individuelles de nature, mais plutôt des expressions d’une organisation révolutionnaire collective, avec des motivations politiques et sociales bien évidentes pour guider ses actions d’aussi claire façon qu’elles guidaient l’organisation des masses ou les interventions politiques.
Plutôt qu’un héros individualiste, Haddad représentait un bras révolutionnaire du mouvement palestinien de libération.
Bien des gens font remarquer que les détournements d’avions du début des années 1970 ont soumis la crise politique du peuple palestinien à l’attention internationale.
Ils l’ont fait en plein mouvement mondial de décolonisation, après que l’Algérie avait expulsé le colonialisme français et que le Vietnam avait battu les forces américaines. Des nombres croissants de jeunes révolutionnaires, tant en Europe qu’aux États-Unis, désiraient porter la lutte dans les rues de leurs propres pays.
Le mouvement palestinien, à l’instar de ces autres mouvements, était envahi par le débat intellectuel et politique et la discussion sur les tactiques de lutte et sur la signification et les implications des « opérations externes », un débat qui reflétait la profondeur intellectuelle de cette question parmi le mouvement révolutionnaire palestinien en plein devenir.
Pendant ce temps, les Palestiniens étaient bien décidés à rejeter la classification de leur lutte comme simplement ou essentiellement humanitaire, et privée de son propre contexte politique.
L’affirmation du caractère politique et de son existence par le biais de la violence révolutionnaire, accompagnée qu’elle était d’un programme et de revendications politiques et révolutionnaires clairs, tranforma la représentation et l’image du peuple palestinien.
Le terme « terroriste » fut appliqué librement et fréquemment. En opposition à ce terme « terroriste », bien d’autres termes furent développés par la résistance et la révolution : « fedayin », « violence révolutionnaire », « guérilla ».
Dans notre situation actuelle, toutefois, ces derniers termes sont devenus presque invisibles, alors que le premier a été appliqué de façon itérative et à l’échelle mondiale à tout, apparemment, depuis les organisations les plus réactionnaires jusqu’aux mouvements révolutionnaires de libération.
En revenant près de cinquante ans plus tard, nous avons assisté, en particulier au cours des trente années écoulées, à une tentative d’effacer et d’éradiquer entièrement ces concepts.
Après le démantèlement de l’Union soviétique, l’affirmation de la victoire américaine et « la fin de l’histoire », brièvement suivie par l’ère de la « guerre contre le terrorisme », les révolutionnaires et les mouvements de libération nationale ont été confrontés à une idéologie de monopole étatique de la violence peut-être plus profondément enracinée ces dernières années qu’à tout autre moment de l’histoire.
L’ère du « bâton et de la carotte », à l’époque où les attaques virulentes contre les forces révolutionnaires s’accompagnaient d’une tactique d’apaisement des nations et communautés plus larges, a été remplacée désormais par celle du « bâton » uniquement et ce, pour des populations entières.
La seule « carotte » qu’on trouve encore, c’est en cas de concession complète.
Au temps des débuts de la révolution palestinienne, on ne s’inquiétait guère de ce que les « opérations externes » de la gauche révolutionnaire palestinienne n’entraînent une interdiction massive de déplacement pour les Palestiniens ou des mesures de répression contre toutes les communautés palestiniennes en exil.
À l’époque de la « guerre contre le terrorisme », par contre, des communautés entières font régulièrement l’objet de surveillance, d’incursions et d’autres opérations répressives se caractérisant par des châtiments collectifs.
L’une des armes les plus puissantes et efficaces utilisées actuellement par les puissances impérialistes pour séparer la diaspora et les communautés en exil de leurs mouvements de libération nationale et pour recentrer vers une conception élargie du « peuple » la solidarité initialement prévue avec les mouvements et organisations existants, consiste en la liste des « organisations désignées comme terroristes ».
Depuis le milieu des années 1990 et plus encore après le 11 septembre 2001, les listes de ce genre ont proliféré, passant des États-Unis au Canada, à l’Union européenne et à d’autres États encore (1).
La liste américaine des « organisations terroristes étrangères » est à bien des égards le précurseur de ces listes qui prolifèrent, se modifient et ne cessent de s’allonger.
Alors que la liste actuelle est un pot-pourri d’organisations et de noms, de représentants révolutionnaires des luttes de libération ou d’autres groupes ultraréactionnaires au long et compliqué passé d’alliances et de scissions avec le pouvoir américain même, la liste américaine a été établie pour la première fois en 1995, lorsque l’Ordre exécutif du président de l’époque, Bill Clinton, avait interdit les transactions financières avec les « organisations désignées » par la liste (2).
L’ordre exécutif avait d’abord été conçu explicitement comme un soutien au « processus de paix » d’Oslo alors en cours en Palestine et comme un moyen de priver les groupes d’opposition de financement et de soutien afin d’imposer plus efficacement au peuple palestinien l’Autorité palestinienne même et ses concessions.
La liste des « terroristes spécialement désignés » comprenait les gens et organisations qui « menaçaient de perturber le processus de paix au Moyen-Orient (3) ».
Par conséquent, pour qu’Oslo continue à imposer une solution permanente et une absence de droits au peuple palestinien, il importait avant tout de priver de moyens et de droits ces organisaitons mêmes qui résistaient au processus et poursuivaient leur lutte contre l’occupation israélienne et le colonialisme d’implantation.
Depuis 1995, les « listes du terrorisme » américaines, européennes, canadiennes et britanniques se sont développées à partir d’un cadre imposé spécifiquement et précisément afin de dissuader toute résistance palestinienne à un « processus de paix » imposé.
Du fait qu’elles avaient été publiées dans l’après-guerre du Golfe, dans l’ère post-soviétique, ces « listes du terrorisme » ont tenté de créer un cadre inattaquable d’autorité juridique, politique, voire morale dans lequel la résistance armée à l’agression impérialiste et sioniste n’était pas seulement « terroriste », mais également criminelle et sujette à une condamnation universelle (4).
Il est clair que les puissances qui créent de telles listes ne rechignent aucunement à la violence ; les conséquences des guerres, invasions et processus de déstabilisation déclenchés par les États-Unis et/ou l’Otan dans le monde entier montrent clairement la terreur et les destructions massives infligées aux peuples de l’Irak, de la Libye, de la Somalie, de l’Afghanistan, de Haïti, du Yémen et d’ailleurs.
Ce n’est certainement pas en vertu de l’un ou l’autre impératif moral contre la violence qu’existe la liste des terroristes ; ce n’est que la violence des opprimés qui s’y trouve désignée, aussi légère et minuscule qu’elle puisse être si on la compare aux machines militaires des puissances même qui la désignent.
Le mouvement révolutionnaire palestinien a toujours été la base de la création de l’industrie de la « guerre contre le terrorisme », laquelle a été construite au sommet d’une structure de répression du rejet et du refus par les Palestiniens du processus d’Oslo et de la liquidation de la cause palestinienne.
Et, du point de vue interne des États-Unis, la première étape de cette répression a été la tentative de bloquer le transfert des fonds en provenance de l’importante communauté palestinienne en exil aux États-Unis vers les organisations politiques qui représentaient ce défi, dont le Front populaire pour la libération de la Palestine, le Hamas et le Djihad islamique palestinien.
De ce fait, l’épithète « terroriste », appliquée par toute force au pouvoir à tout groupe ou population qui a défié ou contesté sa domination au fil des années, y compris – ou peut-être en particulier – les peuples autochtones des pays en question, n’est pas seulement une désignation politique ou un rejet insultant, mais une catégorie juridique destinée à créer un cadre pénal spécial pour ceux qui osent défier l’impérialisme et le racisme.
Malgré leurs apparences légales, ces désignations mêmes sont en réalité de nature absolument politique et peuvent faire l’objet à tout moment de modifications, d’annulations ou d’ajouts.
Un an après la création de la Liste spéciale des terroristes, en 1995, les États-Unis de Bill Clinton ont promulgué la Loi de 1996 portant sur l’antiterrorisme et la peine de mort effective (ADEPA), laquelle a engendré la liste du département d’État des « organisations terroristes étrangères », qui est toujours en vigueur à ce jour (5).
Dans le processus de transformation de la liste – de sanctions économiques en poursuites légales – cette même liste était également étrangère au contexte palestinien, y compris les organisations d’une série de pays et reflétant ainsi la nature passablement éclectique de la liste.
Alors que certains ajouts reflétaient le même cadre idéologique qu’en Palestine, comme celui relatif aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) ou l’ajout ultérieur du Parti communiste des Philippines et de sa Nouvelle Armée populaire (PCP/NAP), d’autres ajouts ultérieurs, tel Aum Shinrikyo, le culte japonais devenu un nouveau mouvement religieux, ou encore Al-Qaïda, reflètent une variété de priorités pour la politique étrangères des États-Unis (6).
Surtout validées après le 11 septembre 2001, des « listes terroristes » similaires ont été créées dans d’autres nations en s’appuyant sur le modèle américain.
Une chose qui a distingué la validation de la liste américaine des organisations terroristes, c’est la création d’une nouvelle catégorie d’activités criminelles, c’est le « soutien matériel » à l’une ou l’autre des organisations figurant sur la liste.
Ce soutien matériel comprend toute une série d’activités ne se limitant pas au soutien financier ou à la livraison d’armes, ni même à un soutien direct de l’organisation citée.
Aux États-Unis, des travailleurs caritatifs palestiniens purgent des peines de 65 ans de prison pour ce qui constituait incontestablement une collecte et une livraison de fonds à des œuvres de charité (7).
Toutefois, le but des statuts de « soutien matériel » n’est pas de rassembler de nombreuses personnes et de les envoyer en prison.
Le but de ces lois est de diffuser leur propre version de la crainte et de la terreur et d’immobiliser toute forme de soutien – matériel, moral et politique – à ces organisations si dévouées.
L’exemple de quelques affaires judiciaires très connues – par exemple, la condamnation massive infligée aux travailleurs caritatifs de Holy Land Five (les Cinq de Terre sainte) ou les poursuites à l’encontre de l’ancienne prisonnière politique palestinienne, rescapée de la torture et activiste communautaire, Rasmea Odeh – peuvent suffire à dissuader d’importantes sections de la communauté palestinienne en exil de s’engager dans le type de travail politique confronté à ce niveau de surveillance, de contrôle et de répression de la part de l’État (8).
Pire encore, l’impératif de rester dans les limites de la loi reste contraignant, même si la loi même change sans arrêt.
Par conséquent, la définition du « soutien matériel » a elle-même évolué et est passée du contexte traditionnel de la fourniture directe d’argent à un travail caritatif pouvant y être relié et, dans la décision honteuse à tous égards de la Cour suprême des États-Unis, en 2010 – dans l’affaire Holder vs HLP, elle aurait même pu être potentiellement étendue à une « démarche juridique coordonnée » (9).
Avec leurs « lois antiterroristes », les États-Unis disposent de l’arsenal pénal et juridique le plus sévère et le mieux organisé de toutes les puissances impérialistes occidentales et cela reflète bien leur rôle en tant que pilier central de l’impérialisme.
Aux États-Unis, la création et la mise en application de ces lois, parallèlement à de lourdes mesures de surveillance et d’infiltration, à la création de faux comptes gérés par des agents des renseignements nationaux et à plusieurs affaires retentissantes et particulièrement pénibles, ont instauré avec succès un climat interne dans lequel l’engouement public vis-à-vis du soutien aux organisations reprises sur la liste antiterroriste, dont le Front populaire pour la libération de la Palestine, le Djihad islamique palestinien, le Hamas, le Hezbollah et d’autres encore, a été considérablement restreint, découragé et plongé dans un lourd environnement de terreur.
En lieu et place, les associations de solidarité sont orientées vers des « alternatives sûres », c’est-à-dire des organisations non gouvernementales créées dans le cadre du processus d‘Oslo – simultanément à la mise au point de la liste antiterroriste – censées opérer en tant que représentantes du peuple palestinien.
Et ces ONG elles-mêmes font l’objet d’une surveillance permanente, de rappels à l’ordre constants, d’attaques et de ciblages, surtout si elles refusent de céder aux conditions politiques qui leur interdisent d’entrer en contact avec des organisations politiques palestiniennes ou de s’engager dans l’organisation directe contre l’apartheid sioniste et le colonialisme d’implantation.
Sous la menace de se voir coller l’épithète de « terroriste », la gauche internationale est maintenue dans un carcan de crainte la poussant à rompre ses liens avec les organisations palestiniennes de gauche comme le FPLP, à chercher un substitut politique afin de rester « dans la légalité », même si ce n’est pas au sein même de la direction de la résistance ou de la gauche révolutionnaire.
Dans un même temps, la collecte de fonds retombe considérablement ou n’est plus destinée qu’à des œuvres louables, sans doute, mais humanitaires et surtout apolitiques.
En attendant, les poursuites contre le « terrorisme » et la création de listes de terroristes, via des renseignements partagés entre autres entre l’État israélien, les puissances européennes, les États-Unis et, de temps à autre, les pays arabes aussi, ont servi de tentatives pour placer ces organisations – en fait, des mouvements de libérations importants et bien en place – au-dela de la norme et en dehors du cadre de la politique, autrement dit dans l’univers des criminels et des hors-la-loi.
Alors que la violence révolutionnaire de Wadie Haddad et de ses camarades poussait la cause palestinienne vers le domaine de la politique tout en l’extrayant de celui des platitudes humanitaires au beau milieu de la défaite et de la dépossession, le rôle des listes terroristes et des États qui les créent consiste à forcer ces organisations à se retrouver dans les prisons d’une catégorie spéciale de criminalité supérieure, illégitime au-delà de toutes limites et condamnée à raison à la non-existence.
On présume que « toutes les personnes décentes » seront d’accord avec la condamnation ; des principes fondamentaux apparents, tels les droits des peuples à résister à la colonisation par tous les moyens nécessaires et à constituer des organisations et des mouvements afin de mener à bien cette résistance populaire, sont niés dès que la « communauté internationale » exprime ses inquiétudes à propos de « l’incitation » en approuvant la répression via les prisons, les invasions et les bombardements.
De la sorte, l’expression politique de ces organisations est gommée et réprimée, et remplacée totalement par de vagues allusions à la « haine ».
Alors que les organisations de résistance palestininennes et autres publient de grandes quantités de textes sur leur politique et leurs points de vue, ces derniers sont largement ignorés dans les grands médias, ou considérés comme secondaires par rapport aux « préoccupations » concernant la « sécurité d’Israël » ou l’« immoralité de la violence ».
En lieu et place, les organisations politiques et révolutionnaires sont examinées pour leurs animosités prétendument incompréhensibles, plutôt que pour leur relation avec le projet de colonialisme d’implantation imposé à leur pays.
Les organisations engagées dans la violence révolutionnaire ou la résistance sont cataloguées comme haineuses et irrationnelles.
Au lieu, on imagine une société internationale dans laquelle il est possible d’en arriver à la justice et à la libération en déposant apparemment les papelards qui conviennent au bon endroit et au bon moment et, par conséquent, toute perturbation dans le processus de la soumission à l’oppression devient une expression de haine plutôt que de résistance naturelles.
Pire encore, le cadre du « contre-terrorisme » tente d’éliminer la possibilité d’une réponse politique rationnelle incluant la violence révolutionnaire en criminalisant et en ciblant ces organisations même qui montrent clairement qu’elles constituent non seulement une possibilité, mais également un moyen nécessaire pour mener à bien une lutte de libération.
La chose est également visible dans l’arrestation et l’emprisonnement des prisonniers palestiniens.
Dans le contexte palestinien, la « liste du terrorisme » international se rapproche très fort, au point même d’en être le reflet, de la liste israélienne des organisations interdites ou hostiles, en fonction de laquelle des milliers de Palestiniens sont emprisonnés pour des activités telles que participer à des réunions, agiter des drapeaux et des bannières et participer à des événements publics.
Chaque année, les élections estudiantines sur les campus palestiniens font l’objet de nombreux raids, agressions et invasions par les forces israéliennes d’occupation.
Des étudiants sont arrêtés, des sièges de conseils estudiantins sont envahis et mis à sac, des événements sont interrompus par une puissance militaire occupante (10).
Tout cela se passe au mieux dans un silence officiel international et, bien trop fréquemment, dans des campagnes de pression dirigées contre des universités internationales afin qu’elles n’adhèrent pas au boycott des institutions académiques israéliennes comme le leur demandent les facultés et les étudiants dotés de concience, mais qu’en lieu et place elles rompent leurs liens avec les universités paletiniennes, puisque les étudiants palestiniens votent pour des « organisations terroristes » ou organisent des activités avec des blocs estudiantins partageant les lignes de pensée politique des forces politiques palestiniennes majeures (11).
Prendre la défense des prisonniers palestiniens est confronté à des exigences en vue de prouver que les Palestiniens persécutés sont « innocents » des charges retenues contre eux, autrement dit, qu’ils n’ont pas participé à la résistance.
Les organisations internationales demandent instamment que les Palestiniens emprisonnés sans procès en détention administrative soient « accusés ou libérés », et qu’importe si ces accusations portent sur des « délits » imaginaires, comme l’affiliation à une organisations interdite ou l’« incitation ».
Le contrôle et le démantèlement de la vie politique palestinienne sont donc présentés comme normaux, même s’ils sont parfois excessifs ou s’ils « vont trop loin », plutôt que de représenter les interminables tentatives d’un projet colonial en vue de détruire et d’éradiquer toute résistance indigène.
L’inclusion dans la « liste du terrorisme » d’organisations réactionnaires largement responsables de la violence sectaire et d’extrême droite contre des communautés opprimées également ciblées par l’impérialisme, comme al-Qaïda, l’État islamique et leurs multiples variantes, contribue à la fois à obscurcir la nature de la liste en tant qu’outil destiné avant tout à perpétuer directement la politique étrangère et l’hégémonie des États-Unis dans la région et à entretenir une menace directe à l’égard de la lutte indigène et de la souveraineté nationale.
Elle est également utilisée – bien que l’inclusion d’une organisation dans la liste ne reflète rien de plus que l’opinion politique des grandes puissances – pour assimiler ces forces réactionnaires aux mouvements de libération avec lesquelles elles se trouvent sur la liste et pour faire passer le discours de Nethanyahou et de ses partenaires disant que l‘EI est l’équivalent du Hamas lui-même l’équivalent du Hezbollah lui-même l’équivalent du FPLP, en effaçant et en rendant invisible la politique et les engagements qui sous-tendent la violence révolutionnaire des mouvements de libération.
Le fourre-tout que constitue cette liste même est utilisé comme un outil politique afin de créer la confusion et le trouble entre des tendances et intérêts qui sont non seulement très dissemblables, en réalité, mais en outre profondément opposés.
Le but des « listes du terrorisme » à l’ère de la « guerre contre le terrorisme » est en effet de perpétuer cette même destruction et de faire du monde un endroit sûr pour le capitalisme, le sionisme, le racisme et l’impérialisme, tout en rendant impossibles et impénétrables la résistance politique et militaire et la violence révolutionnaire, en en faisant une politique inacceptable, une moralité répugnante et une criminalité tombant sous le coup de la loi.
Mais, pire encore, ces listes dressent des barrières entre les communautés en exil et leurs mouvements de libération, interdits par la loi et, via le poids du pouvoir d’État, les empêche de s’engager avec les organisations révolutionnaires qui représentent ces mouvements, forçant ainsi l’émergence d’une créativité terrible pour pouvoir s’ingénier en permanence à contourner les législations répressives les plus récentes.
Elles tentent de placer la résistance et les gens qui luttent au sein de cette même résistance hors des cadres et lignes directrices de la solidarité et des « droits humains ».
Elles mettent sur un même pied opprimés et oppresseur, puisque les institutions de l’ONU débattent de la possibilité de culpabilité de « crimes de guerre » des organisations palestiniennes de résistance, pour avoir utilisé leur armement limité dans un combat contre leur colonisateur puissamment armé (12).
De plus, en créant des blocus juridiques, politiques et économiques en même temps qu’une puissance militaire et une hégémonie mondiale des entreprises et de la finance, le cadre de la « guerre contre le terrorisme » tente d’éradiquer les mouvements révolutionnaires et leurs analyses et perspectives politiques en tant que dirigeants du mouvement de libération.
Il tente d’empêcher la résurgence de l’ère de Wadie Haddad et du rôle mondial prépondérant de la révolution palestinienne dans le combat anticolonial en recourant au pouvoir total, exprimé tant sous sa forme « douce » que sa forme « dure », en affirmant itérativement qu’il n’y a pas d’alternative aux processus et structures créés par les États-Unis, l’État israélien, les puissances européennes et leurs régimes arabes alliés, et que ceux qui tenteront de créer ce genre d’alternative seront durement châtiés.
Prenons, par exemple, le cas de Georges Ibrahim Abdallah, un communiste libanais, combattant pour la Palestine, emprisonné dans les geôles françaises depuis plus de 35 ans.
Au fil des années, il a refusé de revenir sur ses principes politiques, ce qui a contribué à coup sûr à ce qu’il ne soit jamais libéré ni même déporté vers le Liban (13).
Parmi d’autres figures importantes de la résistance, Ahmad Sa’adat, le secrétaire général du Front populaire pour la libération de la Palestine, a été catégoriquement exclu par l’État israélien des échanges de prisonniers avec la résistance palestinienne (après que lui et ses camarades avaient été kidnappés dans une prison de l’Autorité palestinienne placée sous surveillance américaine et britannique, suite à des craintes supposées de les voir libérés) (14).
Tout cela n’a rien d’un simple accident, mais reflète bien leur refus de modifier ou revoir leurs positions politiques à leur avantage personnel.
Au niveau organisationnel, les « listes de terroristes » reflètent la même politique ; une organisation restera sur la liste jusqu’au moment où son virage politique permettra de ne plus la percevoir « comme une menace » ou à moins que son pouvoir et sa force ne soient trop grands pour la rejeter simplement au moyen de la liste.
Le but de la liste est de générer un changement politique au profit de l’impérialisme et de ses partenaires sionistes à l’intérieur et à l’extérieur des organisations citées.
Le premier exemple peut être rencontré dans le cas du Front démocratique pour la libération de la Palestine, qui figurait initialement sur la « liste des terroristes » en tant qu’opposant au processus d’Oslo ; il a été retiré en 1999, suite à des garanties prétendument reçues par les États-Unis par l’entremise du président de l’AP Arafat, dans le cadre des pourparlers en cours, garanties selon lesquelles le FDLP était désormais disposé à revoir sonapproche politique d’Oslo, de l’Autorité palestinienne et de l’État israélien (15).
Ainsi donc, dans le cas des organisations palestiniennes et de la liste des terroristes, la possibilité de retrait de cette liste reste envisageable en cas de concessions politiques, alors que tout refus de faire de telles concessions exposera ces mêmes organisations à des poursuites permanentes.
La devise de l’époque de Wadie Haddad et de ses camarades, « Derrière l’ennemi, partout », est confrontée à une réponse intensifiée, entre autres par la technologie, disant « L’ennemi derrière le peuple, partout », dans les nombreuses « opérations externes » de l’impérialisme et du sionisme.
Depuis les attaques visibles des invasions, des bombes et des frappes de drones jusqu’à la surveillance des communautés, l’emprisonnement des activistes et le recours au pouvoir politique, économique et militaire contre les mouvements de libération, la « guerre contre le terrorisme » a été une autre représentation, dotée d’un nouveau nom, de la contradiction classique qu’est « l’impérialisme contre le peuple ».
La résistance même, ciblée par la « guerre contre le terrorisme » et les attaques actuelles des forces impérialistes et sionistes, est on ne peut mieux placée pour définir ses tactiques à tout moment en vue d’atteindre ses objectifs du retour et de la libération ; dans le cadre de cette lutte, le potentiel de violence révolutionnaire, que ce soit en Palestine ou à l’extérieur de ses frontières, peut être déterminé par cette résistance, dans le but de renverser cette situation, comme l’ont fait ces combattants palestiniens il y a près de cinquante ans.
Pour le mouvement dans son ensemble, revendiquer l’histoire et l’héritage de Wadie Hadad et de ses camarades n’est pas seulement une question de choix, mais aussi une nécessité, sans crainte et sans excuse.
C’est une histoire qui situe solidement la lutte palestinienne parmi les mouvements anticolonialistes et anticapitalistes de l’époque. De Che Guevara à Assata Shakur, de Hô Chi Minh à Wadie Haddad, les leçons de cette époque restent disposibles pour les combattants d’aujourd’hui, quelles que soient les tactiques qu’ils peuvent utiliser dans leurs luttes pour la libération.
La négation de cette histoire ou son rejet dans l’ombre sous l’étiquette de « terrorisme » ne sert qu’à obscurcir l’histoire de la lutte palestinienne et à la séparer des mouvements révolutionnaires des peuples du monde entier et de leurs luttes pour la libération.
Le récupération de cette histoire et l’apprentissage de ses leçons peuvent entamer l’élaboration du défi au cadre de la « guerre contre le terrorisme » et à la domination des puissances impérialistes, vers une incarnation nouvelle d’une « guerre populaire contre le terrorisme impérialiste / étatique ».
Publié le 28 mars 2020 sur Samidoun
Traduction : Jean-Marie Flémal
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Lisez aussi, à propos de Wadi Haddad : La génération de la Nakba
Notes
(1)Statewatch, « Comparative analysis of US, EU, UN, UK terrorist lists » (Analyse comparative des listes de terroristes des EU, de l’UE, de l’ONU et de la GB », http://www.statewatch.org/
(2)U.S. Federal Register, Executive Order 12947—Prohibiting Transactions With Terrorists Who Threaten To Disrupt the Middle East Peace Process (Registre fédéral des EU, Ordre exécutif 12947 – Interdiction des transactions avec des terroristes menaçant de perurber le processus de paix au Moyen-Orient), https://www.treasury.gov/
(3)Ibid.
(4)Eileen M. Decker, « The enemies list: the foreign terrorist organization list and its role in defining terrorism » (La liste des ennemis : liste des organisations terroristes étrangères et leur rôle dans la définition du terrorisme),
http://calhoun.nps.edu/
(5)Legal Information Institute, Cornell University Law School, « Anti-Terrorism and Effective Death Penalty Act of 1996 », (Institut d’information jurique, École de droit de l’Université de Cornell, « Loi de 1996 portant sur l’antiterrorisme et la peine de mort effective), https://www.law.cornell.edu/
(6)US Department of State, « Foreign Terrorist Organizations » (Département d’État des EU, « Les organisations terroristes étrangètres »),
https://www.state.gov/j/ct/
(7)Ceci fait référence à l’affaire des « Cinq de la Terre sainte », Shukri Abu Baker, Mohammad El-Mezain, Ghassan Elashi, Mufid Abdulqader et Abdulrahman Odeh. Pour plus d’informations, voir le documentaire d’Al Jazeera World,
(8)Nadine Naber, « Organizing after the Odeh Verdict » (Organisation après le verdict d’Odeh), Jacobin Magazine. https://www.jacobinmag.com/
(9)Holder v. Humanitarian Law Project. US Supreme Court, 561 U.S. ___ (2010), Holder vs. Projet de loi humanitaire. Cour suprême des EU),
https://supreme.justia.com/
(10)Voir, par exemple, « Hamas Activists Arrested after Palestinian Student Elections » (Des activistes du Hamas arrêtés après les élections estudiantines palestiniennes), Palestine Chronicle, http://www.palestinechronicle.
(11)Voir Richard Silverstein, « Bard College Reaffirms Relationship with Al Quds University » (Le Collège Bard réaffirme ses relations avec l’Université Al-Quds), https://www.
http://www.brandeis.edu/now/
(12)Ali Abunimah, The Electronic Intifada, « »Balance » in UN Gaza report can’t hide massive Israeli war crimes » (L’« équilibre » affiché dans le rapport de l’ONU sur Gaza ne peut masquer les crimes de guerre massifs d’Israël),
(13)Charlotte Silver, The Electronic Intifada, « Why is Georges Abdallah still in prison ? » (Pourquoi GA est-il toujours en prison »?),
https://electronicintifada.
http://freegeorges.samizdat.
(14)The Guardian, « Gilad Shalit exchange for Palestinian prisoners – as it happened » (L’échange entre Gilad Shalit et les prisonniers palestiniens – comment les choses se sont passées), https://www.theguardian.com/
(15)C’est ce que voulaient les EU, relayant en cela le rapport du Service de recherche du Congrès, « The Palestinian Factions » (Les facitons palestiniennes), par Aaron D. Pina, le 8 avril 2005. https://fas.org/sgp/crs/