Bientôt un logiciel espion israélien dans nos téléphones portables ?
Ali Abunimah, 13 avril 2020
La pandémie du coronavirus est une opportunité en or massif, pour les gouvernements et firmes de surveillance désireux d’accroître leurs possibilités d’intrusion dans l’existence des gens.
Les autorités de la santé publique disent qu’un suivi efficace des contacts serait d’une importance cruciale pour mettre un terme aux confinements étendus et pour faucher rapidement l’herbe sous le pied de nouvelles épidémies du virus, du moins en attendant qu’un vaccin soit mis au point.
Cela signifie que des technologies de surveillance garantissant l’identification rapide de toute personne exposée au virus pourraient effectivement trouver un débouché à l’échelle mondiale. Le danger, c’est que ce genre de surveillance passablement intrusive devienne permanente.
Une firme des plus intéressées dans la capitalisation de cette opportunité n’est autre que la tristement célèbre société israélienne NSO Group.
Cette société produit entre autres un malware (logiciel malveillant) appelé Pegasus, qui peut être inséré subrepticement dans le mobilophone d’une personne que l’on veut cibler.
Il peut alors être utilisé pour renvoyer quasiment toute information privée chez les gens qui se chargent de la surveillance, y compris enregistrements, captures d’écran, mots de passe, courriels et autres posts.
L’industrie technologique tant vantée d’Israël a des liens profonds avec l’appareil militaire et les renseignements israéliens, qui se servent des Palestiniens sous occupation militaire comme de cobayes afin de tester des systèmes qui sont ensuite écoulés sur les marchés d’autres pays.
Il s’avère désormais que les gouvernements européens sont disposés à adopter le fruit de cette structure particulièrement grossière et oppressive sous le prétexte de vouloir combattre la pandémie.
Le malware Pegasus, mis au point par NSO Group, n’est vendu qu’à des gouvernements et il a déjà été utilisé abusivement contre des journalistes et des activistes des droits de l’homme dans des dizaines de pays.
Parmi les utilisateurs soupçonnés figurent le Maroc, le Mexique, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Kazakhstan.
Pegasus a également été impliqué dans l’assassinat de Jamal Khashoggi, le journaliste saoudien trompeusement attiré au consulat de son pays à Istanbul et ensuite sauvagement assassiné avant d’être finalement dépecé.
Amnesty International, dont le personnel a été ciblé par le malware de NSO Group, a intenté un procès à la société afin qu’elle mette un terme à sa surveillance abusive.
Facebook aussi intente un procès à NSO Group qui compromettrait sa plate-forme de messagerie WhattsApp afin d’aider des gouvernements à espionner quelque 1.400 personnes sur quatre continents.
« Une tentative cynique »
Désormais les spécialistes de la vie privée et des droits de l’homme s’inquiètent du fait que NSO Group est aux premières loges d’une tentative de surveillance du coronavirus sponsorisé par le gouvernement israélien et qui pourrait être adoptée par d’autres pays.
Le mois dernier, le ministre israélien de la Défense, Naftali Bennett, s’est vanté de ce que son ministère et l’armée israélienne avaient coopéré avec NSO Group afin de mettre au point un système qui permettrait aux Israéliens de connaître leur taux de probabilité d’infection au nouveau coronavirus.
Selon la revue d’affaires israélienne Globes,
« le système collectera des informations sur les Israéliens, les mettra à jour en temps réel et attribuera à chaque Israélien un ”taux d’infection” sur une échelle allant de 1 à 10 ».
De son côté, la revue Vice a pu avoir un aperçu de la technologie de NSO Group.
La publication décrit le système développé par NSO Group, ainsi qu’un autre, similaire, de la firme italienne Cy4Gate, comme des
« outils essentiellement destinés à la surveillance massive et qui aideraient les gouvernements et services de santé à garder la trace des mouvements de chaque citoyen et de ses contacts ».
À cette fin, selon Vice, NSO Group a
« adapté l’interface de l’utilisateur et l’outil analytique qu’il avait déjà développé en vue d’être utilisé simultanément avec son malware puissant, connu sous l’appellation de Pegasus, qui peut infecter des mobilophones et en extraire des données telles que photos, messages ainsi que les appels téléphoniques reçus ».
Le nouveau système, baptisé Fleming,
« permet aux analystes de pister les endroits où se rendent les gens, qui ils rencontrent, pendant combien de temps et où. »
Dans le cadre de la protection de leur vie privée, les individus sont censés se voir attribuer au hasard des numéros de carte d’identité généralisés, mais une source de NSO Group a déclaré dans Vice que le gouvernement pouvait « désanonymiser » l’information « si nécessaire ».
En effet, il s’agit bien de pistage en temps réel de chaque individu.
« Il s’agit d’une tentative extrêmement cynique de la part d’une célèbre firme de spyware (logiciel espion) d’étendre ses activités à la surveillance de masse »,
a déclaré dans Vice John Scott-Railton, un responsable de la recherche au Citizen Lab (Laboratoire citoyen) de l’Université de Toronto (Canada).
Le Citizen Lab a joué un rôle médico-légal crucial dans la dénonciation de la manière dont le spyware de NSO a été abusivement utilisé dans le monde entier.
« Tout citoyen du monde veut un retour à la normale dès que possible. La ruée vers la technologie de surveillance pourrait aisément signifier qu’il existe une attente normale sur le plan de la vie privée et que cela va demander beaucoup de temps d’y revenir »,
a ajouté Scott-Railton.
Comme le fait remarquer Vice, les compagnies de téléphone mobile dans nombre de pays (dont l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, la Belgique et le Royaume-Uni)
« partagent déjà la localisatiuon de leurs clients avec leurs gouvernements respectifs et ce, dans un effort de suivre à la trace la propagation du virus ».
L’enthousiasme européen
Alors qu’il n’est mentionné nulle part que ces gouvernements recourent à des systèmes de NSO Group, il y a toutefois des signes troublants indiquant que, sous le prétexte de vouloir combattre le Covid-19, l’UE et ses États membres cherchent à adopter la technologie israélienne de surveillance de masse.
Lundi (le 13 avril), l’ambassade des Pays-Bas à Tel-Aviv a tweeté qu’elle était
« à la recherche de sociétés hollandaises désireuses de s’associer à un partenariat israélien afin de proposer une offre unique pour des solutions digitales intelligentes (du style « apps ») au corona, destinées au ministère hollandais de la Santé »
Looking for 🇳🇱 companies that want to team up with an 🇮🇱 partner to apply for a unique tender for smart digital solutions for corona (like📱apps) by the Dutch Ministry of Health.
Deadline is 14 April so contact our Innovation Attaché @RacheliInnovate now: racheli@nost.org.il— Dutch Embassy Israel (@NLinIsrael) April 13, 2020
Et, de son côté, Emanuele Giaufret, l’ambassadeur de l’UE à Tel-Aviv, a publié dans The Jerusalem Post un op-ed vantant la façon dont le bloc des 27 « engage à fond sa recherche scientifique et technologique afin de combattre le Covid-19 », un effort qui inclut des « projets en coopération avec Israël ».
The 🇪🇺 European Union is spearheading the int’l response to the #coronavirus pandemic
Read the Op-ed by #EU 🇪🇺 Ambassador @EGiaufretEU 👇👇https://t.co/sqVRAYiNR4
— EU in Israel 🇪🇺🇮🇱 (@EUinIsrael) April 13, 2020
Selon Giaufret, l’UE a affecté quelque 150 millions de USD de son programme scientifique Horizon 2020
« pour financer des équipes scientifiques de l’Europe entière ainsi que de pays partenaires, y compris Israël, et les aider à mettre rapidement au point un vaccin contre le Covid-19 ».
Il ajoute que le but de cet effort
« est d’améliorer le diagnostic, l’état de préparation, la gestion clinique et le traitement ».
Ces activités sont assez larges pour inclure le financement d’efforts de surveillance, d’autant qu’Horizon 2020 a déjà été utilisé, ces dernières années, pour acheminer de l’argent vers Elbit Systems, une importante société israélienne spécialisée dans l’industrie de guerre.
Elbit, qui est toujours prêt à saisir la balle au bond, se profile actuellement sur le marché comme fournisseur de technologies destinées à combattre la pandémie.
Le ministre israélien de la Défense, Bennett, a fait entendre clairement qu’il désirait exporter le système de contrôle du coronavirus de NSO Group.
Et Sky News a rapporté au début de ce mois que NSO Group
« s’était adressé à un certain nombre de pays occidentaux pour leur proposer son logiciel de dépistage du coronavirus ».
Testé sur les Palestiniens
Les mauvais traitements infligés par Israël aux Palestiniens, y compris lorsqu’ils sont citoyens israéliens, au cours de la pandémie, ont imité le même modèle de racisme, de violence et de négligence que celui des fondements de l’État.
Les travailleurs palestiniens venus de Cisjordanie occupée n’ont guère d’autre choix que d’aller travailler pour des patrons israéliens, s’ils veulent nourrir leurs familles.
Une fois en Israël, ils sont confrontés à une exposition au virus qu’ils risquent ensuite de ramener dans leurs propres communautés.
Mais le mépris systématique d’Israël pour la santé et la sécurité des Palestiniens ne l’a pas empêché de forcer ces derniers à se muer en sujets d’expérimentation pour ses technologies de contrôle et de surveillance.
« Les Palestiniens désireux de vérifier si leur permis de séjour en Israël est toujours valable ont été avisés par Israël qu’ils devaient télécharger une application permettant l’accès de l’armée à leurs téléphones cellulaires »,
rapportait la semaine dernière Haaretz, le quotidien de Tel- Aviv.
« L’application permettrait à l’armée de repérer l’endroit où se trouvent les téléphones cellulaires des Palestiniens, ainsi que les notifications d’accès qu’ils reçoivent, les fichiers qu’ils téléchargent et sauvegardent, ainsi que la caméra de l’appareil. »
Haaretz n’explique pas comment un accès aussi intrusif a quelque chose à voir avec la lutte contre le virus, pas plus qu’il n’indique qui a fabriqué cette application particulière.
Mais les médias israéliens ont confirmé que le service de guerre cybernétique d’Israël, Unit 8200, était impliqué dans le projet de dépistage du coronavirus de NSO Group.
En 2014, des vétérans de Unit 8200 ont révélé que
« la population palestinienne sous pouvoir militaire est complètement exposée aux opérations d’espionnage et de surveillance des renseignements israéliens ».
Les agents israéliens ont admis que les informations qu’ils contribuent à collecter et à engranger « font du tort à des personnes innocentes ».
« Ces informations sont utilisées à des fins de poursuites politiques ainsi que pour créer des divisions au sein de la société palestinienne, et ce, en recrutant des collaborateurs et certaines sections de la société palestinienne pour agir contre cette dernière »,
ont-ils ajouté.
Désormais, c’est le reste du monde qui va pouvoir bénéficier du même traitement que les Palestiniens.
« Ce qui se passe en Palestine ne reste pas confiné à la Palestine », fait remarquer le lanceur d’alerte Who Profits sur une nouvelle page Internet consacrée au contrôle de la façon dont la crise du Covid-19 opère dans le contexte de l’occupation israélienne.
« Une raison importante pour laquelle Israël cherche en permanence à diversifier son arsenal de répression est qu’il peut ensuite le proposer à l’extérieur afin d’en tirer des bénéfices économiques et des gains politiques. »
La pandémie du coronavirus constitue la parfaite opportunité pour Israël de commercialiser de la sorte ses techniques d’espionnage.
Et tout indique que l’UE – sans cesser de verser dans la complicité – est disposée à aider Israël à étendre sa surveillance sur pratiquement tous les habitants de la planète.
Publié le 13 avril 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
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