L’agenda de l’UE : Réduire le soutien aux Palestiniens une clause à la fois

Le message de l’UE est clair : Acceptez notre agenda ou vous n’aurez plus d’argent.

Amaya Al-Orzza, 2 juillet 2020

La résistance, ce n'est pas du terrorisme

Le 12 juin, après un échange épistolaire traîné en longueur, l’Union européenne informait l’organisation palestinienne des droits de l’homme, BADIL, qu’elle annulait leur projet commun portant sur 1,7 million d’euros et intitulé « Mobiliser pour la justice à Jérusalem ».

Pour quelle raison ce programme en trois ans a-t-il été annulé ? BADIL a refusé de signer la prétendue clause « antiterroriste » ajoutée aux conditions imposées au projet de l’UE.

BADIL n’est pas la seule organisation à rejeter ces conditions. En décembre dernier, suite à la décision de l’UE d’adjoindre cette clause à toutes ses subventions, 230 groupes palestiniens ont lancé une campagne nationale afin de rejeter toute forme de financement soumise à des conditions politiques.

Parmi ces groupes figurent des organisations artistiques comme l’Ecole palestinienne du cirque ou le Théâtre de la Liberté, et des groupes médiatiques comme le Centre de l’information alternative. En tant que chercheuse juridique pour BADIL durant six ans, j’ai suivi cette question de près.

Une grande majorité des organisations non marchandes palestiniennes ont rejeté la clause parce qu’elle permet d’étiqueter les partis politiques et mouvement de résistance locaux comme des organisations terroristes. De même, elle impose aux Palestiniens, qui doivent l’accepter, la définition du terrorisme telle que la perçoit l’UE.

Effectivement, s’ils désirent recevoir des fonds européens, elle les force à admettre que leurs voisins, amis ou proches sont des « terroristes ». Qui plus est, il existe un élément participatif par lequel il serait demandé aux organisations de contrôler toutes les personnes et groupes impliqués dans les projets financés, qu’ils soient membres du personnel, participants à des ateliers ou bénéficiaires de l’aide. Cela créerait un processus d’utilisation des groupes de la société civile afin de décider qui est un « bon » ou un « mauvais » palestinien en s’appuyant sur les critères européens et israéliens.

Cela ignore complètement le contexte politique dans lequel opèrent les organisations de la société civile. Catégorisé comme peuple « sous domination coloniale et étrangère » par les Nations unies, les Palestiniens ont un droit reconnu de résister à l’occupation israélienne par tous les moyens nécessaires, y compris la lutte armée.

La criminalisation non vérifiée de la résistance palestinienne, présentée comme une condition essentielle pour recevoir des fonds européens, ignore la cause fondamentale de ces mouvements de résistance : la dépossession toujours en cours de leur terre.

Les organisations participant à la campagne ont demandé collectivement à l’UE que soit mise sur pied une rencontre qui permettra de parler de ces conditions, mais la réponse de l’UE a été que le sujet n’était pas ouvert à la discussion.

Un responsable de l’UE a alors affirmé que la clause concernait toutes les bénéficiaires de subventions européennes, et pas seulement les Palestiniens.

La campagne a toutefois découvert que l’UE avait finalisé des contrats avec d’autres organisations à l’intérieur d’Israël et de la société civile sans appliquer cette clause, y compris certaines organisations d’Israël et de pays arabes voisins.

La campagne a également découvert que l’UE avait négocié des conditions de contrat dans d’autres pays. En dépit de ces financements, l’UE est restée inflexible dans sa décision d’imposer ces nouvelles conditions antiterroristes aux bénéficiaires palestiniens de ses subventions.

La clause, officiellement connue comme « Article 1.5 (bis) ou Annexe II des conditions générales », est applicable à toutes les subventions européennes accordées en juillet 2019 ou plus tard.

Les nouvelles conditions requièrent des bénéficiaires de

« s’assurer qu’il n’y a pas trace de sous-traitants, de personnes physiques, y compris des participants à des ateliers et/ou à des formations, ni de bénéficiaires de soutien financier de la part de parties tierces, dans les listes des mesures restrictives de l’UE ».

Alors qu’elles peuvent sembler inoffensives aux yeux d’une personne étrangère, des conditions de ce genre ont une intentionnalité spécifique et ne sont pas nouvelles, pour les Palestiniens.

Elles représentent une longue série de donateurs internationaux qui conditionnent la société civile palestinienne afin qu’elle provoque une division d’avec la société politique.

Les donateurs occidentaux ne veulent pas que les ONG palestiniennes s’engagent dans quoi que ce soit qui pourrait ressembler à de la politique nationale.

A la suite des accords d’Oslo, les groupes palestiniens ont été exposés à un barrage de restrictions sur les financements qui ont « encouragé » les organisations palestiniennes à détourner leur attention première de la libération nationale pour la reporter sur le processus de paix.

Quelques années plus tard, en 2002, l’USAID a introduit une clause « antiterroriste », qui a eu pour conséquence que de nombreuses organisations palestiniennes ont rejeté l’aide américaine. D’autres donateurs internationaux ont fait pareil. La clause antiterroriste introduite par l’UE est le dernier avatar de cette tendance.

Etant donné que l’administration Trump a mis un terme à la quasi-totalité des financements américains accordés aux Palestiniens, le financement alternatif en provenance de l’UE et d’ailleurs est devenu essentiel pour promouvoir le développement de base et l’entretien des institutions.

L’UE alloue environ 390 millions de USD par an, ce qui fait d’elle l’une des principales donatrices de la société civile palestinienne et, en tant que telle, a ruée vers cette manne a des conséquences très tangibles sur le terrain.

Avec l’imminence de l’annexion de la Cisjordanie, les organisations de la société civile palestinienne qui se concentrent sur la surveillance et la dénonciation des crimes israéliens se retrouveront affaiblies ou s’effondreront par la même occasion. Cette suppression de fonds rend l’UE complice des vols de terre par Israël.

Bien des gens considèrent la nouvelle clause comme étant sans nul doute le résultat des pressions israéliennes sur les gouvernements européens.

En janvier dernier, peu après le lancement de la Campagne nationale palestinienne pour le rejet du financement conditionnel, le ministre israélien des Affaires stratégiques, Gilad Erdan, s’est adressé au nouveau ministre des Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, en l’invitant instamment à imposer des conditions plus strictes sur les subventions ou à cesser de financer des organisations palestiniennes.

Erdan prétendait que les groupes dont font partie des députés palestiniens en détention administrative ou emprisonnés sans accusation avaient des liens avec le terrorisme.

Par ailleurs, les diplomates et hauts fonctionnaires de l’UE ont remarqué la présence particulièrement visible de lobbyistes israéliens à Bruxelles – depuis 2003, dix nouveaux lobbys ont ouvert des bureaux dans cette ville. Les activités de lobbying se sont concentrées extensivement sur la mise sous pression des pays européens afin qu’ils réduisent ou cessent leur soutien à la société civile palestinienne.

Alors qu’elle pourrait jouir d’une réputation moins contestable, l’UE suit aujourd’hui la ligne des Etats-Unis, quand il s’agit des Palestiniens.

Bien que l’Europe n’ait pas soutenu à haute voix l’administration de Benjamin Netanyahou, son incapacité à opposer une contestation intelligente à l’annexion et le fait qu’elle impose des conditions politiques à la société civile palestinienne débouchent sur une complicité évidente dans les crimes sur le terrain.

Criminaliser la résistance palestinienne pendant qu’Israël commet quotidiennement des crimes de guerre en territoire occupé, montre bien l’extrême échec de l’Europe dans son appui à la législation internationale et aux droits fondamentaux du peuple palestinien.

Le message de l’UE est clair : Acceptez notre agenda ou vous n’aurez plus d’argent.


Publié le 2 juillet 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

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