Ronnie Barkan, interviewé par la journaliste slovène Kristina Božič

Ronnie Barkan : Nous faisons partie d’un combat mondial pour les droits humains et la pleine égalité au niveau global. C’est tout simplement la chose à faire si vous vous considérez comme un antiraciste et que vous êtes opposé à la suprématie blanche ou ethnique.

Ronnie Barkan

Ronnie Barkan

Cofondateur du collectif israélien Boycott From Within (Boycott depuis l’intérieur), il est l’un des trois activistes BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) poursuivis actuellement en Allemagne et connus sous le nom de « Humboldt3 ».

Il explique pourquoi, en compagnie de Stavit Sinai et de Majed Abusalama, il comparaîtra de nouveau devant un tribunal allemand en août et pourquoi il en tire une certaine fierté.

La solidarité entre Black Lives Matter, d’autres mouvements et BDS se fait de façon logique et organique, dit-il, puisque ces mouvements font tous partie du combat mondial contre les idées suprémacistes d’un groupe de personnes exerçant leur pouvoir sur un autre groupe.

Près de dix ans se sont écoulés depuis votre première visite en Slovénie, au cours de laquelle vous aviez rencontré des personnages officiels du ministère des Affaires étrangères. Ils semblaient avoir compris l’ampleur de l’apartheid israélien à l’encontre des Palestiniens, et pourtant l’Etat ne se manifeste pas.

Le 23 juin, six parlementaires slovènes seulement ont signé une lettre – assez mitigée – émanant de 1080 députés des divers pays d’Europe, exprimant leur crainte d’une future annexion officielle de la Cisjordanie par Israël.

Comment devrions-nous comprendre et réagir à cette passivité et inaction d’un monde politique pourtant informé, face à la perpétration de tels crimes internationaux ?

Ronnie Barkan. Les Etats européens ont des obligations juridiques qu’ils semblent oublier. Par conséquent, nous devons exiger qu’ils les remplissent. Cette tendance à l’oubli est particulièrement apparente quand ils parlent de la situation en Palestine, connue également sous le nom d’Israël.

Lors de ma première visite en Slovénie, nous avions discuté de l’accord associatif entre l’UE et Israël, dont il est à nouveau beaucoup question.

D’éminents juristes disent clairement que l’Article 2 de l’accord est juridiquement contraignant, en faisant reposer l’accord sur le respect des droits humains et des principes démocratiques qui en constituent un élément essentiel.

Cela signifie que, dans le cas de violations des droits humains par une partie, la totalité de l’accord est nulle et non avenue. L’UE n’a pas le droit de continuer à faire du commerce comme d’habitude avec Israël.

Elle peut sanctionner Israël, elle peut geler l’accord, elle peut prendre toutes sortes de mesures correctives mais, juridiquement, elle n’a pas le droit de continuer à faire du commerce comme si de rien n’était.

Et pourtant, elle le fait. L’UE vient tout juste de signer un nouvel accord sur l’aviation entre l’EU et Israël…

Ronnie Barkan. C’est vrai. Et c’est grotesque. Israël reçoit ainsi le feu vert pour ses violations des droits de l’’homme, même si elles équivalent à des crimes contre l’humanité. Ainsi, je félicite les parlementaires qui ont signé la lettre de critique, mais c’est trop peu et trop tard. Ce ne peut être que la première étape nécessaire.

Je demande que ces parlementaires se conforment aux lois internationales et européennes – et ils sont là pour le faire.

L’UE et ses membres les plus puissants, dont l’Allemagne, soutiennent totalement Israël à tous points de vue et cela doit changer. Et les choses changent, effectivement. Le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire de Baldassi et autres contre la France, un verdict qui a préservé les droits des activistes appelant au boycott d’Israël, est important.

Il est vrai que, par ailleurs, nous entendons des expressions de plus en plus effrontées de la part des hommes politiques, mais, en fait, elles révèlent le visage réel de la situation actuelle.

Quand l’Etat racial d’Israël est heureux de s’aligner avec d’impénitents dirigeants racistes et fascistes du monde entier, il se fait aussi que ces liens dérangeants forcent certains hommes politiques à reconsidérer leur propre position.

Cette dernière semaine, il y a eu des appels du Parti travailliste britannique et d’un ancien politicien conservateur en vue d’imposer une interdiction aux produits d’Israël en cas d’annexion.

Les autorités slovènes en matière de taxes évitent les questions portant sur un étiquetage clair et sur un contrôle des traitements préférentiels en recourant à des explications tirées en longueur concernant le formalisme des procédures bureaucratiques.

Des mesures plus respectueuses des principes ont pris forme en Irlande, mais elles manquent toujours douloureusement d’ambition. Une interdiction se rapproche-t-elle ?

Ronnie Barkan. Le mercantilisme des colonies illégales et de l’occupation fait apparaître à nouveau les obligations qui découlent de l’accord associatif entre l’UE et Israël. La loi est claire, concernant ce que les Etats membres de l’UE pourraient et devraient faire. Ils peuvent être neutres s’ils le souhaitent, mais la neutralité signifie qu’ils ne doivent pas soutenir les gens qui violent les lois. Et leur position actuelle n’est pas neutre – l’UE et les Etats européens doivent agir en conformité avec leurs propres lois et réglementations.

Une directive européenne en vigueur dit que les produits des colonies illégales ne peuvent se voir octroyer le même tarif israélien de traitement préférentiel.

La réponse d’Israël consiste à mélanger les produits en provenance des colonies illégales, ceux provenant de la Palestine occupée en 1967, avec les produits de la Palestine de 1948, connue également sous le nom d’Israël, en fait. Cela n’enlève pas la souillure de l’occupation mais cela entache plutôt tous les produits, puisqu’aucun d’eux, en fin de compte, ne devrait bénéficier d’un tarif préférentiel.

Les hommes politiques européens semblent déterminés à être les derniers à changer leurs habitudes, en dépit de certains revirements remarquables.

La pression monte et elle vient surtout des citoyens ordinaires. En Norvège, la plus importante confédération syndicale, la LO, qui compte près d’un million de membres dans un pays d’à peine cinq millions d’habitants, a voté son soutien à un boycott complet et à des sanctions contre Israël.

C’est impressionnant. Le mouvement BDS est soutenu par les populations autochtones et les opprimés du monde entier, y compris Black Lives Matter. Il existe de nombreuses organisations de masse qui s’expriment à propos des crimes d’Israël. Ce sont de bonnes raisons de faire preuve d’optimisme.  

Avec les hommes politiques que nous entendons le plus, les Jair Bolsonaro, Viktor Orban, Donald Trump et autres Benjamin Netanyahou, nous assistons à la mondialisation d’un discours raciste et même fasciste.

Toutefois, c’est aussi une opportunité pour la mondialisation des voix antiracistes et antifascistes. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous avons nos chances.

Il y a trois ans, avec Stavit Sinai et Majed Abusalama, vous avez protesté contre une conférence d’une représentante de la Knesset, Aliza Lavie, à l’Université Humboldt. Pour cette raison, vous subissez des poursuites en Allemagne. Est-ce un signe que la pression est en hausse sur l’apartheid israélien ?

Ronnie Barkan. Bien sûr. La preuve, c’est également la panique qui a saisi le ministère israélien des Affaires stratégiques. C’est un ministère qui n’existe que pour combattre BDS.

Le nom du ministère en hébreu inclut le terme « hasbara », qui est un euphémisme pour désigner la propagande sioniste, de sorte qu’on peut en référer aussi comme au ministère de la Propagande.

Et c’est exactement ce qu’Aliza Lavie et sa délégation du parti politique Yesh Atid faisaient en Allemagne. La délégation y avait été envoyée pour une mission explicite de hasbara anti-BDS, qui distribuait les brochures anti-BDS publiées par ce même parti Yesh Atid.

Aliza Lavie était à l’époque la responsable du lobby anti-BDS à la Knesset, elle était membre du Comité de la Défense et des Affaires étrangères qui avait supervisé le massacre de Gaza en 2014, au cours duquel 550 enfants avaient perdu la vie et 89 familles palestiniennes avaient été complètement anéanties, et elle était la responsable de la Mission israélienne au Conseil européen, où elle avait défendu la torture par les Israéliens des enfants palestiniens et le massacre des manifestants non  armés le long de la clôture de Gaza.

Elle avait parlé pendant quelques minutes en insistant pour dire à quel point Israël était bienveillant avec les gens de la mouvance LGBTQ+ et se demander comment on pouvait prétendre qu’il s’agissait d’une sorte de blanchiment de l’apartheid.

Je me suis levé et lui ai demandé pourquoi Israël menaçait les Palestiniens homos de les expulser s’ils ne coopéraient pas avec le régime et j’ai expliqué aussi pourquoi je croyais qu’elle était une représentante illégitime d’un régime criminel d’apartheid, en citant des extraits du rapport de l’ONU sur l’apartheid israélien, que je lui avais ensuite tendu au moment où l’on m’avait emmené vers la sortie, et je lui avais demandé en hébreu de le lire.

Quelques minutes plus tard, une camarade dissidente israélienne, Stavit, s’était levée et avait dit à Aliza Lavie qu’elle avait sur les mains du sang des enfants de Gaza. Elle avait été expulsée avec une grande brutalité, puisqu’elle avait reçu des coups de poing au visage.

Le dernier à protester avait été Majed, qui est de Gaza, et il avait attendu la session des questions et réponses pour poser une question et quitter ensuite la salle. Tous trois, nous avions été accusés plus tard d’intrusion et d’agression, même s’il s’agissait d’un événement public et que personne ne s’était plaint d’avoir été agressé.

Je dois insister pour dire que notre affaire n’est que l’un des nombreux cas où les Etats israélien et allemand tentent de nous réduire au silence, nous et d’autres personnes qui soutiennent aussi BDS.

Nous avons subi une campagne concertée de diffamation dans les médias allemands et israéliens. Des premiers rapports avaient prétendu que 20 activistes BDS avaient agressé un survivant de l’Holocauste et, même si la chose était reprise sur une vidéo, prouvant qu’il s’agissait d’un mensonge, cela resta le discours mis en épingle par la propagande sioniste jusqu’à ce jour.

Aucun journal n’a publié notre déclaration intitulée « S’exprimer en des temps d’apartheid », personne n’a mentionné que deux d’entre nous sont des Juifs israéliens et des descendants de survivants de l’Holocauste.

Pourtant, un peu plus tard cette même année, nos protestations ont été mentionnées dans un rapport annuel des renseignements berlinois, dans un chapitre spécial consacré à l’antisémitisme dans la ville.

Dans le discours que vous avez tenu l’an dernier au tribunal, vous avez insisté sur le fait que vous étiez fier d’être du bon côté de l’histoire et vous avez invité le juge à tenir Israël pour responsable du crime d’apartheid.

Ronnie Barkan. Oui. Je suis fier d’être traîné devant un tribunal pour de telles activités. Et j’ai dit au juge qu’aucun verdict ne m’empêcherait de m’opposer à nouveau à l’apartheid israélien. Ce sera le legs que je laisserai et, désormais, le tribunal doit décider quel sera le sien, de legs : s’opposer aux crimes contre l’humanité ou se contenter de regarder ailleurs.

Les deux auteurs du rapport de l’ONU sur l’apartheid israélien nous ont soutenus et le professeur Richard Falk est venu à Berlin, où il a déclaré que nos actions devaient être perçues comme des actes de patriotisme allemand, en ce sens qu’ils libéraient l’Allemagne de son propre passé des plus sombres.

Il a déclaré que si nous voulions nous débarrasser de l’antisémitisme, nous devions commencer par prendre la criminalité au sérieux partout où elle se manifestait.

Ces poursuites nous ont donné l’occasion de nous exprimer sur des questions à propos desquelles, en d’autres temps, on impose le silence.

Dans l’Allemagne post-nazie, il existe la notion de raison d’Etat, qui est au-dessus de toute loi, disant que la légitimité même de l’Etat allemand réside dans la protection de l’existence de l’Etat d’Israël, quoi qu’il advienne.

Et ceci est grandement problématique, puisqu’Israël a été créé comme un Etat racial, sur base de l’épuration ethnique et de la ségrégation ethnique. Il applique une différenciation de nature ethnique entre ce qu’il perçoit comme les ubermenschen et les untermenschen, entre les surhommes et les sous-hommes.

Par conséquent, le soutien inconditionnel de l’Allemagne à Israël prouve simplement qu’elle n’a absolument rien appris de son sombre passé. Si ç’avait été le cas, elle serait aux avant-postes pour s’opposer à l’apartheid et à tout autre Etat racial qui repose sur une différenciation entre des gens en s’appuyant sur des caractéristiques ethnico-raciales.

La juge, lors de votre procès, a déclaré qu’elle n’avait pas le temps pour de telles affaires…

Ronnie Barkan. Et, après deux audiences, elle n’a pas trouvé le temps et il n’y a pas eu de verdict. Par conséquent, nous allons subir un nouveau procès au début du mois d’août.

Quelque chose qui a fait partie du procès, c’est le rapport de l’ONU sur l’apartheid israélien et nous avons prévu que, durant la troisième audience, le professeur Richard Falk se présenterait comme témoin. Nous avons également soumis une preuve sur vidéo montrant que la délégation sioniste et ses témoins avaient menti. Nous verrons ce qui se passera cette fois autour de tout cela.

Le rapport de l’ONU sur l’apartheid israélien, par les professeurs Richard Falk et Virginia Tilley, a été publié en 2017. Il décrit la façon dont l’apartheid israélien est imposé non seulement aux Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et à l’intérieur d’Israël même, mais aussi aux réfugiés palestiniens à qui l’on ne permet pas de retourner dans leurs foyers.

Une grande attention est désormais consacrée à la possibilité d’annexion par Israël de certaines parties de la Cisjordanie. Quelle sera l’ampleur du changement que cela va provoquer réellement sur le terrain et à quel point la normalisation du régime criminel instauré depuis tant d’années déjà est-elle simplement dangereuse ?

Ronnie Barkan. L’occupation israélienne de 1967 n’est certainement pas le principal problème, ce n’est qu’un symptôme des crimes sionistes, y compris l’occupation belligérante, le nettoyage ethnique, le colonialisme et l’apartheid.

L’occupation et l’apartheid ont débuté au plus tard en 1948, après que le pays avait été ethniquement nettoyé de la majeure partie de sa population autochtone.

Jusqu’en 1966, il y a eu un pouvoir militaire israélien sur les Palestiniens, c’est-à-dire sur ceux qui n’avaient pas encore été chassés de leur terre et envoyés en exil forcé.

Ensuite, le pouvoir militaire avait cessé et les mêmes pratiques exactement avaient été exportées un an plus tard vers les territoires nouvellement occupés de 1967.

C’est pourquoi le discours des cinquante ans de l’occupation n’est rien de plus que de la propagande libérale sioniste.

Elle oublie intentionnellement les précédentes années d’occupation israélienne et, fait plus important encore, l’installation d’un nouvel Etat en débarrassant un territoire de la majeure partie de ses habitants.

L’importance de ce rapport de l’ONU ne consiste pas qu’à expliquer comment l’apartheid est un crime systémique qui a ses racines dans la fondation de l’Etat d’Israël, mais c’est un argument disant que ceux affectés par l’apartheid aujourd’hui comprennent non seulement les personnes vivant sur cette terre mais aussi les millions de réfugiés qui ont vécu en exil forcé durant les sept dernières décennies.

Pour réaliser ce système qui différencie, pratique la ségrégation et refuse les droits d’un peuple en s’appuyant sur un contexte ethnique, afin d’accorder des droits supérieurs au peuple de l’ethnicité choisie à laquelle j’appartiens, un acte prémédité de nettoyage ethnique de la population autochtone était nécessaire.

Et le nettoyage ethnique est toujours en cours et prend encore de l’extension. Par conséquent, la perpétration du crime de l’apartheid signifie que ceux qui ont été chassés de leur terre se voient refuser à ce jour le droit au retour chez eux.

Ils souffrent pour une seule et unique raison et c’est leur crime : appartenir à une « mauvaise » ethnicité.

Il importe de comprendre qu’il n’y a pas de conflit israélo-palestinien. Il n’y a pas de conflit. Ce qu’il y a, c’est un système criminel d’oppression et de terreur imposé par un groupe ethnique à tous les autres qui se trouvent sur son chemin. Ce système doit être aboli.

Après l’occupation de 1967, le système de la différenciation sur base ethnique dans ce territoire a été mis en place en appliquant la loi martiale à certaines personnes et la loi civile aux autres.

C’est un cas évident de politique d’apartheid et Hébron est souvent proposé comme exemple où, sur un même territoire, il existe deux systèmes juridiques différents pour deux groupes différents de personnes.

Mais l’infrastructure juridique de l’Etat d’Israël a été construite à partir de ses fondations afin de pratiquer l’apartheid aussi parmi les citoyens.

Un système juridique à deux articulations a été mis en place et il s’appuie sur la différenciation juridique entre la nationalité et la citoyenneté.

Au vu de la chose, Israël accorde les mêmes droits à tous ses citoyens, mais les droits de citoyenneté signifient très peu de chose puisque l’Etat n’accorde les droits et privilèges précieux qu’aux gens appartenant à l’ethnicité choisie et qui sont juridiquement définis comme détenteurs de la nationalité juive.

Comprendre ceci est important afin d’analyser la perspective de l’annexion.

Il n’y a absolument rien de neuf, là. Il y a deux ans, la Loi de l’Etat-nation juif a été adoptée avec succès comme loi fondamentale.

Une loi fondamentale ressemble à une constitution, dans un endroit qui ne peut se permettre d’avoir l’égalité mais a besoin de préserver certaines lois.

L’Etat d’Israël ne reconnaît pas sa propre nationalité, puisque reconnaître une nationalité israélienne s’appliquerait à tous ses citoyens et cela présenterait une base pour l’égalité, ce qui pourrait signifier la fin de l’apartheid.

La Loi de l’Etat-nation juif a été lourdement commentée mais, à la fin, cela n’a fait qu’occulter un peu son principal but.

Oui, bien sûr, cela a rendu la politique de l’apartheid explicite, mais il n’y avait rien de nouveau, là.

Son but n’était pas de modifier la moindre loi mais de préserver les lois par l’entremise d’une loi fondamentale, par souci de l’avenir. En agissant de la sorte, la loi résout le prétendu « problème démographique ».

Comment ?

Ronnie Barkan. Cette loi fondamentale dit que tous les citoyens auront les droits de citoyenneté mais que seuls les Juifs auront les droits de nationalité.

Cela est conforme avec l’objectif de l’apartheid de l’Etat israélien.

En utilisant ces deux niveaux de citoyenneté et de nationalité, l’apartheid israélien est parvenu à créer une forme bien plus sophistiquée d’apartheid que celle de son homologue sud-africain, qui fut également instaurée en 1948.

Alors que le cas de l’Afrique du Sud était littéralement une affaire de blancs et de noirs, Israël s’est arrangé pour créer une façade de démocratie en utilisant son système à deux articulations, qui existe spécifiquement pour refuser tout principe démocratique – il refuse l’égalité, la protection des minorités et le multiculturalisme à tous ceux qui ne possèdent pas la nationalité juive.

Le plan d’annexion de Trump est une continuation directe de la Loi de l’Etat-nation juif.

Dès le moment où la loi a été adoptée, les sionistes n’ont plus eu besoin de maintenir artificiellement leur propre majorité. Ils peuvent annexer la Zone C, voire la totalité de la Cisjordanie, en même temps que tous ses habitants, tout en faisant savoir clairement que nous et nous seuls sommes les maîtres de cette terre.

En théorie, ils peuvent même permettre aux réfugiés palestiniens de rentrer chez eux, encore qu’ils ne le feraient jamais. Néanmoins, cela n’affecterait pas l’Etat juif israélien, puisque son régime d’apartheid a été officialisé dans une loi fondamentale.

Est-ce une formalisation, une officialisation de l’apartheid dans la loi ?

Ronnie Barkan. Oui. Certains disent maintenant qu’Israël devient un Etat d’apartheid. C’est complètement faux. Il l’a toujours été et il a été construit de cette façon. Aujourd’hui, il n’y a d’explicite que ce qui, pour certains, jusqu’ici, a toujours été implicite.

Quand il commente l’apartheid à l’intérieur de ce qui est considéré comme Israël, le rapport de l’ONU cite l’exemple de la loi électorale, qui s’intitule « Loi fondamentale : la Knesset ».

Selon la loi, une personne ne peut se présenter aux élections si elle rejette le caractère ethno-suprémaciste de l’Etat. Les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël peuvent en effet participer aux élections israéliennes, mais la loi leur interdit de transformer le pays en démocratie.

Le rapport de l’ONU dit que cela équivaut à un système dans lequel les esclaves ont le droit de voter, mais pas contre l’esclavage.

Pour les activistes pour la Palestine en Israël , quelle est la perception de la perspective d’annexion ? Les gens sont-ils surtout fatigués, désillusionnés ?

Ronnie Barkan. Ces toutes dernières années, sinon depuis une décennie, il y a eu une lassitude croissante parmi les activistes, mais aussi au sein du public général.

Parmi les activistes propalestiniens, les énergies sont actuellement à un niveau très bas, mais il y a des raisons d’être optimiste, puisque des changements ont lieu et qu’il se produit bien des choses en dessous de la surface.

Dans mon entourage immédiat, je vois des gens se lasser de ce qu’Israël est devenu. On peut prétendre que ç’a été le cas depuis toujours mais, avec Netanyahou, il y a une désillusion et une déception croissantes chez tous ceux qui ne font pas partie de ses ardents supporters.

J’ai conversé avec un père qui m’a dit qu’il était effrayé d’élever ses enfants en cet endroit. On a l’impression qu’on est en chute libre et que le racisme et le fascisme deviennent de plus en plus explicites.

Fondamentalement, je ne suis vraiment conscient que de deux types de sionistes.

Ceux qui sont explicitement racistes et le sont sans honte, voire en sont même fiers. Puis il y a les sionistes qui se perçoivent comme des « progressistes » (liberal), puisqu’ils parlent le langage de la paix et des droits de l’homme tout en étant tout aussi racistes et suprémacistes que ceux du premier type.

Ce sont ceux qui sentent qu’ils sont en train de perdre la bataille, au fur et à mesure qu’Israël dévoile davantage son visage d’apartheid aux yeux du monde. Ils se sentent épuisés parce que cela pulvérise toute leur façade et toute leur propre auto-perception.

Ils sont les « progressistes » (liberal) qui prétendent soutenir un Etat palestinien, mais pour toutes sortes de mauvaises raisons.

Pour reprendre les mots du « peacenik » Ami Ayalon, le concept de démocratie juive requiert notre majorité de façon que nous ayons le droit de commander et la chose est conditionnée par un « Etat palestinien qui soit de l’autre côté de la frontière ».

Il a dit ceci en 2010 :

« Non pas parce qu’ils le méritent. Non pas parce que nous les aimons. Mais parce que c’est existentiel, pour nous ! Si nous ne le faisons pas – il n’y aura pas de sionisme. »  

Il poursuivait en disant que nous pouvions créer une nouvelle réalité à deux Etats même sans partenaire palestinien. Mais sa ligne rouge, c’est qu’aucun Palestinien ne remette jamais les pieds dans l’Etat d’Israël.

Vous avez fait état de la solidarité entre Black Lives Matter et le mouvement BDS.

Y a-t-il une reconnaissance de ce que les deux mouvements, de même que d’autres encore, luttent en fait contre le suprémacisme en tant que tel, contre la supériorité d’un être humain sur l’autre, qu’il s’agisse de suprématie blanche en Amérique, de pluralisme ethnique des groupes Generation Identity en Europe ou de l’apartheid israélien ?

Jeff Halper a écrit sur le know-how israélien qui se répandait dans le monde entier, mais quel rôle l’Etat israélien d’apartheid joue-t-il aujourd’hui et quel exemple donne-t-il au niveau mondial ?

Ronnie Barkan. Je mentionnerais le travail du juriste israélien Eitay Mack, qui parle de bon nombre de ces choses et qui se concentre sur le très prospère commerce d’armes d’Israël avec les pires régimes de la planète, y compris ceux qui commettent des massacres et des génocides, et même avec certains groupes explicitement néonazis.

Israël exporte ses armes, ses outils et son savoir-faire afin de contrôler et d’opprimer des populations. C’est un commerce très florissant ou, comme le dit l’actuel ministre de l’Education, lui aussi un criminel de guerre qui a orchestré le massacre de Gaza en 2008 : « L’astuce permettant de transformer du sang en argent. » 

Ainsi, donc, oui, la solidarité avec Black Lives Matter existe. Il est correct de voir des parallèles entre les régimes d’apartheid sud-africain et israélien, mais il y a également des parallèles avec l’histoire américaine de l’esclavage, son génocide des peuples autochtones et tout particulièrement la suprématie blanche qui a connu sa naissance là-bas et qui est toujours bien vivante et active.

En comparaison, l’Etat d’Israël a été bien plus inspiré en dissimulant sa véritable nature, en rendant son apartheid bien plus sophistiqué que celui de l’ancien régime d’apartheid de l’Afrique du Sud.

Quand la plupart des gens lisent les mots « démocratie israélienne » dans une gazette, ils n’éclatent pas de rire alors que c’est ce qu’ils devraient faire. L’Etat sioniste est aussi opposé aux valeurs démocratiques qu’il est possible de l’être.

Aux Etats-Unis, aujourd’hui, les idées du Ku Klux Klan sont inacceptables dans le discours traditionnel mais, en Israël, c’est le discours traditionnel.

Israël est un Etat qui a été créé selon exactement les mêmes idées que celles du KKK.

Richard Spencer, une figure bien connue de la suprématie blanche en Amérique, a dit qu’il était un sioniste blanc. Spencer comprend le sionisme bien mieux que la plupart des Israéliens qui ont grandi en lui, et plus particulièrement les sionistes autoproclamés « progressistes » (liberal).

Il parle d’apprendre et de puiser son inspiration dans l’Etat sioniste. Il le dit à haute voix parce qu’il n’est en aucun cas honteux de sa propre suprématie blanche.

Les gens ont besoin de réévaluer la façon dont ils perçoivent l’Etat sioniste d’Israël.

Pendant ce temps, la solidarité entre BDS et Black Lives Matter est inévitable de la même façon que l’est celle entre les activistes sud-africains et palestiniens. Je reviendrai aux mots du professeur Falk quand il explique comment la lutte pour les droits palestiniens va bien au-delà de la Palestine.

Le régime israélien et sa pratique de l’apartheid vont bien au-delà du territoire de la Palestine, puisque ses réfugiés sont disséminés sur toute l’étendue de la planète.

Mais le mouvement BDS est aujourd’hui devenu un mouvement mondial de conscientisation, semblable à Black Lives Matter dans sa lutte pour l’égalité, la liberté et la justice qui va bien au-delà de la terre de Palestine.

C’est beau. Nous faisons partie d’un combat mondial pour les droits humains et la pleine égalité au niveau global. C’est tout simplement la chose à faire si vous vous considérez comme un antiraciste et que vous êtes opposé à la suprématie blanche ou ethnique.

Vous parlez de la façon dont votre position de Juif israélien blanc, que vous qualifiez de privilégiée, n’est pas quelque chose qui devrait vous suggérer de la culpabilité mais plutôt un plus grand sentiment de responsabilité.

Vous dites qu’au lieu de la crainte, nous devrions faire naître le courage. A quoi le moment présent appelle-t-il ?

Ronnie Barkan. Il est important de se préparer à se faire calomnier par des propagandistes soutenus par l’Etat. Nous avons vu l’efficacité de ces derniers au Royaume-Uni contre Jeremy Corbyn et le Parti travailliste. J’apprécie grandement Corbyn mais ses réponses où il s’excusait ont été une grande erreur.

Nous devons apprendre à ne pas nous excuser de faire des choses qui doivent être faites et de dire des choses qui doivent être dites.

Je ne dis pas qu’il est mauvais de s’excuser, mais nous n’avons pas besoin de le faire à propos de choses que nous cautionnons totalement.

Quand on nous accuse faussement d’antisémitisme ou d’autres espèces d’absurdités grotesques, nous devons les réfuter dans leur totalité et nous concentrer sur ce qui constitue réellement le principal problème.

Je nie également toute confusion entre le sionisme et le judaïsme. Le sionisme n’a précisément rien à voir avec le judaïsme et j’ai déjà écrit sur la question. Il se fait que chaque fois que les sionistes utilisent – et l’utilisent à mauvais escient – le judaïsme afin d’assurer la légitimité de leurs actions criminelles, ils se montrent en soi grossièrement antisémites.

La deuxième chose que je remarque, c’est que les gens confèrent trop d’importance aux mots, qu’ils leur témoignent une confiance aveugle ou qu’ils les considèrent selon leur sens strict sans envisager ou examiner la logique qui sous-tend le mélange de mots qu’on leur présente, que ce soit dans un discours ou dans un article.

Pour moi, c’était le plus manifeste dans le cas de Barack Obama, dont l’héritage monstrueux comprend la plus grande persécution de semeurs d’alerte et une promotion sans précédent de la torture et des exécutions extrajudiciaires.

Mais, jusqu’à ce jour, la plupart des gens le perçoivent comme un humaniste. Il nous faut décidément faire mieux ! Nous montrer plus sérieux à propos de ce qui se dit réellement et ne pas nous laisser manipuler aussi facilement par le style et l’éloquence de tel ou tel homme politique ou journaliste.


Publié sur Palestina.si
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez aussi : Activistes BDS traduits en justice – Soutenez les Humboldt3
 
 

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