35 ans après l’assassinat d’Alex Odeh, un activiste palestino-américain en Californie
Baruch Ben-Yosef, né Andy Green aux États-Unis, et Keith « Israel » Fuchs ont été cités comme suspects immédiatement après l’assassinat d’Alex Odeh, en 1985. Ils vivent maintenant au grand jour en Israël.
David Sheen, 6 février 2020
Alex Odeh était né en 1944 en Palestine sous mandat britannique dans une famille chrétienne du village cisjordanien de Jifna, près de Ramallah, quatre ans exactement avant la création d’Israël. En 1972, il avait émigré aux États-Unis, où il était devenu le porte-parole de la communauté arabo-américaine, remettant ainsi en question les descriptions négatives des gens du Moyen-Orient et des musulmans, en fait aussi habituelles à l’époque qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Odeh, directeur régional pour la Californie du Sud du Comité arabo-américain contre la discrimination (ADC) était connu pour ses efforts en vue de bâtir des ponts entre Juifs et Arabes, mais son rayonnement était rejeté par les éléments nationalistes de la communauté juive, qui voyaient en lui une menace émergente.
L’ADC était devenu une cible de la droite juive après qu’il avait contesté le consensus pro-israélien aux États-Unis en organisant des manifestations contre l’invasion du Liban par Israël en 1982. En 1984, des membres de l’ADC recevaient régulièrement des appels téléphoniques menaçants de la part d’un ou de plusieurs individus se faisant passer pour des responsables de la Ligue juive de défense (JDL), un mouvement anti-arabe dirigé par le rabbin Meir Kahane. Les agressions physiques débutaient l’année suivante, après que l’ADC s’était mis à faire publier des encarts dans le Washington Post pour tenter de convaincre les électeurs et responsables publics américains de ce qu’Israël ne devrait plus recevoir des dotations annuelles de plusieurs millions de dollars dans le cadre de l’aide américaine à l’étranger.
Le 11 octobre 1985, il était prévu qu’Odeh prenne la parole à la Congregation B’nai Tzedek, une synagogue réformiste. Toutefois, au moment où il entrait au bureau de l’ADC à Santa Ana, en Californie, une bombe explosait. Odeh décédait deux heures plus tard sur la table d’opération. C’était le second attentat à la bombe contre l’ADC en quelques mois à peine.
Quelques heures après la mort d’Odeh, son exécution était justifiée par la Ligue juive de défense. « Je n’ai pas de larmes pour M. Odeh », déclarait Irv Rubin, à l’époque secrétaire national de la LDJ. « Il a eu exactement ce qu’il méritait. »
Il n’y eut pas d’arrestations. En avril 1994, au moment où Odeh aurait fêté son 50e anniversaire, la municipalité de Santa Ana érigea une statue à son effigie afin de commémorer sa vie et son œuvre. Deux ans plus tard, la statue était défigurée et, quelques mois plus tard, elle était de nouveau profanée par des vandales qui l’aspergeaient de seaux de peinture rouge sang.
La même année, le FBI annonça une récompense d’un million de dollars pour des informations aboutissant à l’arrestation et à la condamnation des assassins d’Odeh. À ce jour, personne n’a encore revendiqué la récompense.
Soustraction à la justice
Baruch Ben-Yosef, 60 ans, vit dans une colonie réservée exclusivement aux Juifs et située au sud de Bethléem. Il exerce le droit en tant que membre du barreau israélien depuis un quart de siècle, additionnant en quatre décennies des dizaines d’apparitions devant la Cour suprême israélienne – en tant que client, avocat, plaignant et accusé. Durant tout ce temps, il a également intenté des procès contre plusieurs Premiers ministres israéliens, y compris l’actuel, Benjamin Netanyahou.
Après avoir immigré en Israël une fois terminées ses études secondaires dans le Bronx, Ben-Yosef fut parmi les premiers Juifs à s’installer dans les territoires palestiniens occupés par Israël en juin 1967. Quelques mois après son arrivée, Ben-Yosef s’engagea dans les forces armées israéliennes, servant dans une unité de commando aujourd’hui dissoute, Sayeret Shaked, et il continua à effectuer un service de réserve régulier jusqu’à plus de 30 ans. Toutefois, après la signature par Israël de l’accord d’Oslo avec l’Organisation de libération de la Palestine, Ben-Yosef refusa désormais de poursuivre son service de réserviste à l’armée.
Ben-Yosef est aussi l’un de pères fondateurs du mouvement dominioniste moderne du Temple, en Israël, qui cherche à remplacer le dôme du Rocher de Jérusalem – un sanctuaire vénéré par les musulmans et qui fait partie des plus beaux monuments du pays – par un temple hébraïque.
Aux États-Unis, où Ben-Yosef a grandi et est retourné au début des années 1980, il fut impliqué dans la Ligue juive de défense (JDL), le groupe raciste violent fondé par Kahane. Ben-Yosef fut également actif au sein du mouvement de Kahane en Israël, à la suite de quoi il fut l’un des très rares citoyens juifs soumis à la détention administrative par l’État israélien, une mesure draconienne utilisée presque exclusivement contre les Palestiniens. En 1980, il fut emprisonné pendant six mois en compagnie de Kahane lui-même pour avoir comploté en vue de faire sauter le dôme du Rocher. Ben-Yosef fut emprisonné durant six autres mois en 1994, en même temps que le reste de la direction du mouvement ultranationaliste Kach, un parti politique fondé par Kahane, après que le gouvernement israélien avait rendu illégale l’appartenance à des groupes kahanistes.
Un autre membre de la JDL était Keith Israel Fuchs, qui avait été élevé à Brooklyn, New York, avant de déménager pour Santa Monica, en Californie. Après ses études secondaires, Fuchs alla s’installer dans la colonie de Kiryat Arba, en Cisjordanie, où le rabbin Meir Kahane et ses disciples avaient créé une communauté kahaniste au sein même de la communauté juive.
Lors de la fête juive de Pourim, en février 1983, Fuchs tira plusieurs coups à l’aide d’une carabine Kalachnikov sur une voiture palestinienne qui passait sur la route, à l’extérieur de Kiryat Arba. Le New York Times rapporta que Fuchs avait été arrêté pour « avoir tiré sur une automobile arabe qui l’avait éclaboussé en roulant dans une flaque d’eau ».
Un rapport de l’attorney général adjoint d’Israël, Yehudit Karp, publié l’année précédente, faisait remarquer que les colons juifs avaient longtemps fait preuve de violence contre les Palestiniens locaux sans qu’il y ait eu de répercussions, mais les agressions commises par Fuchs et d’autres colons la même semaine avaient grandement perturbé les hauts responsables israéliens du fait qu’elles avaient impliqué le recours à des armes à feu.
Par conséquent, le nouveau ministre israélien de la Défense, Moshe Arens, ordonna la démolition des nouvelles installations kahanistes et Fuchs fut condamné à 39 mois de prison, ce qui, d’après un rapport de presse, fut à l’époque « la condamnation la plus longue jamais prononcée contre un paramilitaire juif ». Finalement, la sentence fut ramenée à 22 mois, à condition que Fuchs passe le reste de sa peine originale en dehors d’Israël.
En décembre 1984, Fuchs retourna aux États-Unis dans le cadre de sa libération conditionnelle. Il y resta jusqu’en septembre 1986 – soit environ un an après l’assassinat d’Odeh.
Près de 35 ans plus tard, ni lui ni Ben-Yosef n’ont été confrontés à des accusations pour un crime qu’au moins trois responsables du maintien de l’ordre les soupçonnent d’avoir commis aux États-Unis : l’assassinat d’Alex Odeh.
Double identité
Ben-Yosef est né Andy Green aux États-Unis et il a longtemps été recherché par le FBI afin d’être interrogé à propos de l’assassinat d’Odeh.
Ben-Yosef et Fuchs (connu en Israël sous son nom hébreu, Israel) ont été identifiés comme suspects dans le sillage immédiat de l’assassinat d’Odeh, selon trois représentants de l’ordre, aujourd’hui retraités, qui travaillaient sur l’affaire et qui furent interviewés par The Intercept, ainsi que d’après plusieurs rapports de presse de l’époque. Les représentants de l’ordre – membres de la police locale, dont deux avaient travaillé au sein de la Joint Terrorism Task Force (Unité auxiliaire contre le terrorisme) du FBI – ont parlé à The Intercept sous l’anonymat, du fait que l’enquête est toujours en cours depuis les faits.
« C’est une affaire toujours en cours. Nous avions des tas d’affaires de meurtre et autres en cours. Mais celle-ci était frustrante, parce que nous avions désigné des suspects »,
a raconté un policier retraité qui a travaillé sur l’affaire Odeh pendant plus de dix ans, et de citer Ben-Yosef comme suspect, ainsi que deux autres individus disciples de Kahane : Keith Israel Fuchs et Robert Manning.
« Nous savons qui a fait le coup. Nous savons où ils vivaient. Nous savons pourquoi ils l’ont fait, et comment ils l’ont fait. »
Au cours des décennies qui ont suivi l’assassinat d’Odeh, des preuves abondantes sont apparues dans le domaine public pour établir que Andy Green, né américain, était la même personne que le citoyen israélien Baruch Ben-Yosef. Quatre journaux israéliens parlant de son arrestation en 1980 faisaient allusion à lui en tant que Baruch Green Ben-Yosef. Il est identifié sous les deux noms dans des rapports de 1994 émanant de la Knesset et du Sénat des États-Unis. Un article du Wall Street Journal publié le 18 mai 1994 et inséré dans le Volume 140, n° 62 des archives du Congrès, inclut un reportage sur les activités au sein du mouvement du Temple de Keith Fuchs et de « Baruch Ben-Yosef, né Andy Green ». Le Wall Street Journal a également rapporté que Fuchs avait
« fait l’objet d’une enquête du FBI, mais sans jamais avoir été accusé, en relation avec plusieurs attentats à la bombe aux États-Unis, y compris la mort d’un activiste arabo-américain et d’un homme soupçonné d’être un criminel de guerre nazi ».
Dans des rapports de presse américains et israéliens sur les mêmes événements, comme son arrestation en Israël en 1983 et l’assassinat d’Odeh, Fuchs avait été identifié comme Keith Fuchs, Israel « Keith » Fuchs, Yisrael Fuchs et Israel Fox.
Il y a un quart de siècle, Ben-Yosef a lui-même admis lors d’une rencontre entre partisans de la création de colonies que le FBI le recherchait à propos de l’assassinat d’Alex Odeh, rapportait le Jerusalem Post en janvier 1973. Selon le quotidien, Ben-Yosef avait dit que le FBI s’était mis en quête de Manning à tort pour l’assassinat d’Odeh ainsi que celui d’un criminel de guerre nazi supposé en 1985, et Ben-Yosef avait continué à prétendre que Manning était innocent. L’article poursuivait :
« Ben-Yosef a déclaré que lui aussi était recherché par le FBI » à propos de ces assassinats et qu’il avait été « malmené » par un agent du FBI aux États-Unis. Le Post faisait également remarquer que Ben-Yosef était « connu aux États-Unis sous le nom d’Andy Green ».
Selon un rapport de la Jewish Telegraphic Agency (JTA) publié la même année, Ben-Yosef a reconnu en public qu’il avait été recherché par les forces de l’ordre américaines, bien que ses commentaires n’aient pas fait référence explicitement à l’assassinet d’Odeh.
« Ben-Yosef, directeur exécutif de la Yeshiva du Mont du Temple, et figure centrale de l’organisation Kach, a admis qu’il était recherché par le FBI aux États-Unis pour son implication au sein de la JDL militante dans les années 1970 et 1980 »,
rapportait la JTA en 1993, après que Ben-Yosef et Fuchs avaient été arrêtés en Israël sur des soupçons de préparation d’attentats contre des Palestiniens.
Ben-Yosef/Green, Fuchs et Manning ont été identifiés comme suspects dans l’assassinat d’Odeh par le journaliste Robert Friedman, qui écrivait dans le Village Voice en 1988 et dans le Los Angeles Times en 1990. En 1994, un portrait fouillé de Ben-Yosef publié dans le Jerusalem Post ressortait les même allégations contre sa personne.
D’après l’article de Friedman publié dans le Los Angeles Times, le FBI avait identifié Fuchs, Ben-Yosef/Green et Manning comme principaux suspects dans l’exécution d’Odeh, avant même que la destruction des bureaux de l’ADC n’ait été élucidée.
« Les noms de Fuchs, Green et Manning furent déjà mentionnés comme étant les poseurs de bombe alors que nous étions encore en face de l’immeuble détruit »,
déclara un responsable de la police californienne dans le LA Times en 1990.
Manning fut extradé vers les États-Unis en 1994 pour un autre meurtre qui n’était pas directement en rapport avec des activités d’extrême droite ou avec la polique de pouvoir juive et il purge pour l’instant une détention à perpétuité pour ce crime dans un pénitencier fédéral de l’Arizona. Pendant ce temps, Fuchs conserve un profil bas depuis un quart de siècle, mais The Intercept a confirmé qu’il vivait dans une petite colonie au sud de Bethléem et qu’il continuait à participer à des réunions politiques privées de l’extrême droite israélienne. La rue où il vit est la seule du pays à porter le nom du village de Jifna, où Alex Odeh était né et avait grandi
« On croit que les parties responsables se sont réfugiées en Israël »
En 1986, Ben-Yosef et Fuchs quittèrent les États-Unis pour Israël et, l’année suivante, le département de la Justice demanda au gouvernement israélien de l’aider dans l’enquête sur l’assassinat d’Odeh. Vingt ans après la mort d’Odeh, le département de la Justice continuait à suivre la même piste. En 2006, le ministre américain de la Justice de l’époque, Alberto Gonzales se rendit à Tel-Aviv et demanda à son homologue israélien, le ministre de la Justice d’alors, Haim Ramon, de l’aider dans cette affaire.
« On croit que les parties responsables se sont réfugiées en Israël. Une requête d’assistance mutuelle – une procédure qui permet l’échange d’informations au cours d’une enquête criminelle – a été soumise au GOI [Government of Israel], et l’absence de réponse reste un sujet d’inquiétude pour le FBI »,
faisait remarquer un câble diplomatique deux jours après la réunion du 28 juin.
La câble, publié par WikiLeaks en 2011, fait remarquer de Ramon s’était engagé
« à examiner l’affaire d’Alex Odeh ».
Ramon démissionna de son poste environ deux mois après sa rencontre avec Gonzales, et on n’est pas du tout sûr de ce qui est advenu de l’enquête en Israël par la suite. Dans une interview récente, Ramon a expliqué à The Intercept qu’il ne se souvenait de rien concernant l’affaire Odeh.
« C’est une des questions dans laquelle je n’étais vraiment pas trop impliqué »,
a-t-il déclaré,
« et je ne puis répondre, et je ne sais pas ce qu’il est advenu de cette affaire. »
Gonzales, de son côté, a décliné tout commentaire.
Les déclarations de Ben-Yosef lui-même sur des vidéos placées sur YouTube ces dernières années par un activiste kahaniste indiquent également qu’il est Andy Green. L’enregistrement de Ben-Yosef décrivant lui-même sa propre arrestation est à mettre en parallèle avec la narration des mêmes incidents par le journaliste Robert Freedman, qui les attribue à Andy Green dans sa biographie de Kahane, Le faux prophète.
Un porte-parole du Santa Ana Police Department a expliqué à The Intercept que les dossiers du département concernant l’affaire toujours en cours avaient été transférés au FBI, l’agence qui les traite, désormais. Le FBI n’a pas répondu à des requêtes de commentaire sur le statut de l’enquête concernant l’assassinat d’Odeh. Invité à faire un commentaire sur les conclusions de l’enquête de The Intercept, Ben-Yosef a déclaré :
« Je nie catégoriquement toute connexion avec les questions mentionnées dans votre lettre »,
et il n’a pas répondu à de nouvelles questions. Contacté par téléphone pour un commentaire, Fuchs a déclaré à The Intercept qu’il ne donnait pas d’interview. Plus tard, il confirma la réception d’un questionnaire détaillé qu’on lui avait envoyé via WhatsApp, mais il ne répondit pas aux questions.
Malgré la documentation substantielle publiée dans la presse israélienne, l’une des principales agences mondiales de renseignement a permis à Ben-Yosef et Fuchs de s’encourir librement et d’échapper ainsi aux autorités américaines.
« Notre politique consiste à coopérer pleinement avec les assassins »
Au cours des années qui ont directement suivi l’assassinat d’Odeh, les appels persistants du gouvernement américain aux autorités judiciaires américaines pour qu’elles l’aident à conclure l’affaire ont tourné court. En 1987, Floyd Clarke, à l’époque directeur adjoint du FBI, adressa une note interne à Oliver Revell, alors directeur exécutif adjoint de l’agence, se plaignant que ses efforts répétés en vue d’apprendre ce qu’Israël savait des suspects de l’attentat à la bombe se heurtaient à un mur, s’il faut en croire un article du Washington Post publié la même année.
« De nombreuses pistes ont été livrées par le QG du FBI aux Services secrets des renseignements israéliens (ISIS) à Washington, D.C. »,
écrivait Clarke dans sa note à Revell, dont des extraits ont été publiés pour la première fois dans Village Voice.
« La section terrorisme a eu de nombreuses réunions avec les représentants [israéliens] à Washington, DC, au cours desquelles nous avons fait état de nos préoccupations concernant le traitement qu’ils accordaient à nos requêtes. Bien que ces discussions aient parfois résulté en un ‘sursaut’ d’activité de leur part, aucune amélioration durable ne s’est manifestrée dans le flux des informations. »
Lors d’une visite officielle à Washingtron, D.C., une dizaine d’années plus tard, Netanyahou fut interrogé directement sur l’affaire Odeh. Lors d’un événement au National Press Club, le 21 janvier 1998, Netanyahou – qui exerçait alors son premier mandat de Premier ministre israélien – prétendit qu’Israël n’avait reçu aucune requête officielle de la part des autorités américaines en vue d’enquêter sur l’affaire.
« Je ne suis pas familier avec des requêtes d’extradition concernant l’assassinat d’Odeh. Mais je suis certain que si on me les apportait, je les consulterais »,
avait déclaré Netanyahou. En plaçant sa réponse dans le cadre d’une demande d’extradition, Netanyahou assimilait de façon indue la participation à une enquête en partageant des renseignements à un tranfert de suspects vers les États-Unis pour qu’ils y soient poursuivis, c’est-à-dire pour laquelle les autorités judiciaires ne disposaient toujours pas de preuves suffisantes.
« Apparemment, Keith Fuchs et Andy Green sont toujours à Kiryat Arba »,
répondit Sam Husseini, directeur de la section de l’ADC traitant des médias, en faisant allusion à la colonie installée en Cisjordanie dans la région de Hébron et qui est un important foyer de l’activité kahaniste.
« Et ce que l’on nous a dit – puisque nous sommes l’organisation concernée, ici – c’est que le département de la Justice n’avait absolument pas reçu la coopération totale du gouvernement israélien, dans cette affaire. »
Bizarrement, dans ce qui pourrait passer pour un acte manqué (lapsus freudien), Netanyahou avait dit à Husseini :
« Je vous assure que notre politique consiste à coopérer pleinement avec les assassins. »
Le Premier ministre israélien s’empressa de se corriger en exprimant une garantie passe-partout disant que les autorités judiciaires israéliennes allaient traiter le cas sans le moindre préjugé anti-palestinien.
Dans les semaines qui avaient précédé l’apparition de Netanyahou au National Press Club, Baruch Ben-Yosef avait comparu à plusieurs reprises devant la Cour suprême d’Israël. Une nouvelle fois, en novembre 1998, soit 10 mois après la conférence de presse de Netanyahou à Wahsington, D.C., Ben-Yosef représentait l’Américain Jonathan Pollard, accusé d’espionnage, dans une action de la Cour suprême contre Netanyahou lui-même, à l’époque toujours Premier ministre.
Du fait qu’il est l’un des militants juifs les plus réactionnaires d’Israël, les activités de Ben-Yosef des deux côtés de l’Atlantique devaient étaient susceptibles d’être bien connues des chefs du Shin Bet et du Mossad, les services de sécurité intérieur et extérieur d’Israël, qui adressent tous deux leurs rapports directement à Netanyahou.
Deux des députés et collègues de parti (Likoud) de Netanyahou, Limor Livnat et Uzi Landau — à l’époque, respectivement, le ministre des communications et le président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense – auraient eux aussi dû être au courant de la double identité de Ben-Yosef et de l’endroit où il vivait. Le 26 avril 1994, lors d’un débat à la Knesset sur le recours à la détention administrative contre Ben-Yosef ainsi que contre le reste de la direction kahaniste, le ministre israélien de la Police à l’époque, Moshe Shahal, avait dit à Livnat et à Landau que la mesure avait en fait déjà été appliquée à Ben-Yosef plus de dix ans auparavant. Cela avait été fait en 1980 par un gouvernement dirigé par leur propre parti du Likoud, avait-il ajouté,
« contre le rabbin Kahane, et contre le rabbin Baruch Ben-Yosef Green ».
Le bureau de Netanyahou n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
Colon pionnier, militant anti-arabe et avocat d’extrême droite
Ces dernières années, Fuchs, qui travaille comme garde de la sécurité dans les colonies, a été impliqué dans des tentatives en vue d’élaborer des lois d’extrême droite. En 2013, en compagnie de divers affiliés de Komemiut, un groupe d’extrême droite nourrissant des sympathies pour l’enseignement de Meir Kahane, il cofondait la très influente ONG Meshilut, le Mouvement pour la gouvernance et la démocratie. Meshilut a élaboré lui-même divers projets de loi qui ont été déposés par des représentants du gouvernement israélien. En 2015, Fuchs assistait à une réunion du comité intérieur du parlement israélien, où étaient également présents le directeur et le conseiller juridique de Meshilut.
Meshilut prétend qu’il cherche à réformer la bureaucratie du pays et à la faire répondre davantage aux desiderata des citoyens israéliens. Toutefois, des critiques se demandant si Meshilut, à l’instar de Kahane en personne et du groupe Komemiut auquel sont affiliés la moitié des fondateurs de Meshilut, ne tente pas d’affaiblir l’appareil judiciaire israélien de sorte que son régime principalement laïque puisse être transformé en un régime strictement religieux.
Pendant ce temps, Ben-Yosef s’emploie toujours à faire remplacer le sanctuaire religieux musulman au centre de la Vieille Ville de Jérusalem par un sanctuaire juif mais, aujourd’hui, c’est en avocat activiste, qu’il le fait.
Depuis qu’il a obtenu son diplôme à l’Université de Bar Ilan avec une licence en droit, au début des années 1990, Ben-Yosef s’est toujours représenté lui-même ou a représenté d’autres disciples de Kahane devant les tribunaux israéliens, les défendant contre diverses accusations pénales et intentant des procès à l’État afin réclamer des droits juifs sur Haram al-Sharif, y compris le droit de sacrifier des animaux en ce lieu.
Connu par les Juifs sous l’appellation de mont du Temple, le site constituait l’emplacement de temples juifs, dans un lointain passé, le dernier ayant été détruit par les forces romaines il y a environ 2 000 ans. Six cents ans plus tard, le Qubbat al-Sakhrah au dôme doré, appelé également le dôme du Rocher, fut construit sur le même emplacement, et la mosquée adjacente Al-Aqsa, le troisième lieu saint des musulmans, y fut ajoutée quelques mètres plus loin. Les deux constructions et l’enceinte de 36 arpents (14,5 hectares) d’Al-Aqsa qui les entoure constituent un symbole potentiel du nationalisme palestinien.
Ben-Yosef a travaillé dans les équipes de défense juridique d’autres disciples de Meir Kahane nés en Amérique et qui préparaient des attaques à main armée contre Haram al-Sharif : Yoel Lerner et Alan Goodman. En 1975, 1978 et 1982, les plans de Yoel Lerner en vue de faire exploser le dôme du Rocher furent déjoués à temps par la police israélienne. Mais, plus tard en 1982, Alan Goodman parvint à se frayer un chemin jusqu’au site sacré et à s’y glisser armé d’une mitraillette de l’armée israélienne. Il laissa sur le carreau deux palestiniens tués et onze blessés. (Ce fut Ben-Yosef qui représenta Goodman dans sa tentative fructueuse de réduire sa sentence pour cette tuerie. Il représentait Lerner dans une affaire bien distincte.)
Lerner fut condamné à 2 ans et demi de prison pour sa tentative d’attentat de 1982 et Goodman fut condamné à la prison à vie, mais sa peine fut commuée après 15 années passées derrière les barreaux.
Dans des conférences enregistrées ces dernières années sur une chaîne YouTube kahaniste, avant la destruction de la chaîne en décembre, Bel-Yosef continua à plaider pour qu’une masse importante de Juifs prennent le contrôle du mont du Temple, en chassent les musulmans et démolissent leurs mosquées.
S’adressant à des compagnons disciples de Meir Kahane en 2015, lors du 25e anniversaire de son assassinat, Ben-Yosef fit une conférence à la Yeshiva of the Jewish Idea (Yeshiva de l’idée juive), le séminaire religieux fondé par Kahane à Jérusalem. « Toute la chose bout pour former une seule et unique chose, qui s’appelle le mont du Temple, HAR HABAYIT. L’AM HA’HAMOR, la nation des ânes qui s’assied ici, ils comprennent que cela va venir à ébullition », déclara Ben-Yosef en parlant du peuple palestinien. « Ainsi donc, toutes les choses que le gouvernement, la police et tout le monde tentent de faire pour calmer les choses, ce n’est pas ce que nous voulons, nous. Nous ne voulons rien qui puisse calmer les choses ici ! Nous voulons précisément le contraire ! »
Lors d’une autre conférence postée par Ben-Yosef sur YouTube, il élabore sur le même thème :
« Comment témoignons-nous notre foi en Hashem [Dieu] ? Comment sanctifions-nous son nom et témoignons-nous notre foi ? B’GERUSH HA’ARAVIM [en chassant les Arabes] et TIHUR HAR HABAYIT [en purifiant le mont du Temple] ! En éloignant les mosquées du mont du Temple ! Si vous croyez réellement en Hashem, voilà ce qu’il vous faut faire ! » !
Aujourd’hui, Ben-Yosef continue à exercer le droit, en travaillant depuis un bureau de la ville basse de Jérusalem et il fait des pèlerinages réguliers au Haram al-Sharif, ou mont du Temple, le centre de ses aspirations politiques et religieuses.
Publié le 6 février 2020 sur The Intercept
Traduction : Jean-Marie Flémal