La pandémie incite les émigrants à retourner à Gaza

Jusqu’il y a peu, les gens qui émigraient de Gaza n’avaient guère de raison d’y retourner. Les niveaux du chômage et de la pauvreté y sont extrêmement élevés, le territoire est toujours en état de siège et la menace d’une grave agression israélienne est toujours présente.

Ahmad al-Masry est retourné à Gaza après être tombé à court d'argent en Égypte. (Photo : Mohammed Al-Hajjar / The Electronic Intifada)

Ahmad al-Masry est retourné à Gaza après être tombé à court d’argent en Égypte. (Photo : Mohammed Al-Hajjar / The Electronic Intifada)

Ola Mousa, 18 novembre 2020

Jusqu’il y a peu, les gens qui émigraient de Gaza n’avaient guère de raison d’y retourner. Et c’est alors que le Covid-19 a débarqué. Aussi improbable que cela puisse paraître, l’apparition de la maladie a poussé de nombreux émigrants de Gaza à y revenir.

Ahmad al-Masri, 25 ans, en fait partie.

En mars 2018, il se faisait tirer dessus par un sniper israélien au moment où il participait aux manifestations de la Grande Marche du Retour qui exigeaient que les droits des réfugiés palestiniens soient respectés. Al-Masri était grièvement blessé à la jambe gauche par une balle explosive.

Fin 2018, après avoir été opéré à Gaza, il s’était rendu au Caire pour poursuivre un traitement. Une fois qu’il se serait suffisamment rétabli, al-Masri prévoyait de gagner l’Europe occidentale via la Turquie.

Mais, en août dernier, al-Masri est retourné à Gaza. Les restrictions introduites par l’Égypte en réponse au coronavirus signifiaient une forte limitation de ses choix.

« J’étais coincé en Égypte et je suis tombé à court d’argent », dit-il.

« En fait, j’ai dû emprunter de l’argent de façon à pouvoir retourner à Gaza. La pandémie a été très dure pour les gens en provenance de Gaza à la recherche d’un nouveau foyer. »

Ahmad al-Masry avait été touché à la jambe droite par un sniper israélien lors des protestations de 2018. (Photo : Mohammed Al-Hajjar / The Electronic Intifada)

Ahmad al-Masry avait été touché à la jambe droite par un sniper israélien lors des protestations de 2018. (Photo : Mohammed Al-Hajjar / The Electronic Intifada)

Retourner ou mourir de faim

Le poste-frontière de Rafah – entre Gaza et l’Égypte – est le seul point d’entrée ou de sortie pour la plupart des gens de Gaza. Cette année, il a été fermé la plupart du temps.

De grands nombres de personnes sont néanmoins passées par Rafah chaque fois que le passage a été ouvert. Au cours de la première semaine de novembre, le service de contrôle des Nations unies, l’OCHA, a publié des données disant qu’approximativement 21 000 personnes étaient entrées à Gaza cette année.

Une proportion importante de ce nombre étaient constituée d’émigrants de retour.

Le phénomène du retour des émigrants est quelque peu en contradiction avec les tendances antérieures.

Dans le cadre de ses efforts pour rendre Gaza invivable, Israël a encouragé l’émigration du territoire à plusieurs reprises, ces quelques dernières années, du moins. Dans la seule année 2018, quelque 35 000 Palestiniens ont quitté l’enclave.

La Turquie a été l’une des principales destinations, pour les personnes émigrant de Gaza. Les autorités turques acceptent de délivrer des permis de résidence de 12 mois aux Palestiniens.

Une fois arrivés en Turquie, de nombreux Palestiniens tentent alors d’entrer en Europe occidentale. Pour ce faire, ils doivent payer un passeur clandestin et entreprendre un voyage périlleux.

Les réfugiés ont peu d’autres choix. L’Union européenne se comporte de façon très répressive à l’égard des gens qui fuient la misère et la guerre.

De grands nombres de Palestiniens sont passés par le poste-frontière de Rafah lors des rares occasions où il a été ouvert cette année. (Photo : Mohammed Al-Hajjar / The Electronic Intifada)

De grands nombres de Palestiniens sont passés par le poste-frontière de Rafah lors des rares occasions où il a été ouvert cette année. (Photo : Mohammed Al-Hajjar / The Electronic Intifada)

Plus tôt cette année, Ismail Jamal, 30 ans, a été licencié de son emploi dans un hôtel d’Istanbul. Cela l’a laissé sans source de revenu et sans endroit où vivre.

Il a passé les quelques mois qui ont suivi en séjournant temporairement chez d’autres jeunes Palestiniens qui se sont eux aussi rendus en Turquie.

Jamal, enseignant en anglais, s’est rendu dans le pays en novembre 2018. Il avait prévu de tenter de se rendre en Belgique, mais cet espoir ne s’est jamais réalisé.

Du fait qu’il ne parvenait plus à joindre les deux bouts à Istanbul, il est retourné vivre avec sa famille à Gaza.

« Bien des émigrants palestiniens ont vécu dans des conditions difficiles en Turquie »,

dit-il.

« Ils ont dû quitter des emplois déjà insuffisamment payés en temps normal. Les conditions ont encore empiré après l’apparition de la pandémie. Bien des émigrants ont vécu sans toit dans les rues. D’autres, comme moi, sont retournés au pays pour ne pas crever de faim. »

« Une génération perdue de jeunes »

Muayad Ammar, 38 ans, est retourné à Gaza le même jour qu’Ismail Jamal.

Ammar est allé en Turquie en avril de l’an dernier. Il a trouvé un boulot dans un centre commercial, mais a été licencié au bout de huit mois.

Étant sans emploi, il ne pouvait se permettre de vivre au même endroit lorsque la pandémie a éclaté. En lieu et place, il a été obligé de changer fréquemment d’appartement.

Ammar est originaire d’al-Shujaiyeh, un quartier de la ville de Gaza. Cette zone a connu certaines des pires atrocités commises par Israël lors de son agression contre Gaza, en 2014.

« Je voulais partir »,

dit-il.

« Je voulais m’en aller loin des bombardements israéliens, de la destruction et du bruit des drones. »

« Mais la Turquie n’était pas comme je l’avais imaginée »,

ajoute-t-il.

« La vie était pénible, là. Même si vous trouvez un emploi, vous ne pouvez bâtir un avenir décent avec cela. Puis le coronavirus est venu et j’ai été forcé de retourner à Gaza pour y souffrir. »

Il y a sept ans, Mahmoud Ghanem, 30 ans, a décroché un diplôme commercial à l’Université al-Azhar de Gaza. Il a tenté de son mieux de mettre ses capacités en pratique à Gaza même, mais cela n’a pas marché.

L’épicerie qu’il a ouverte à Gaza s’est avérée une entreprise à perte.

Au début 2020, il a émigré vers les Émirats arabes unis. En mai, il était licencié par la société d’alimentation pour laquelle il travaillait à Dubaï.

Ghanem est revenu à Gaza fin septembre.

« Quand je suis revenu à Gaza, je me suis retrouvé à zéro »,

dit-il.

« La vie est décente et satisfaisante, dans les EAU ; nous ne devions pas nous soucier de choses du genre pannes d’électricité. Revenir à Gaza signifie retrouver les mêmes problèmes qu’il y avait avant que je ne m’en aille : les problèmes avec l’électricité et l’eau, les bombes israéliennes, la même situation politique. »

Il prévoit de s’en aller de nouveau une fois que de nouvelles opportunités se présenteront pour les émigrants.

« Je sais qu’émigrer une seconde fois sera plus difficile que la première »,

dit-il.

« Mais je vais essayer de sortir d’ici. Il existe une génération perdue de jeunes, à Gaza. L’émigration est une façon pour nous de faire quelque chose de nos vies. »

« Certains considèrent l’émigration comme un signe de faiblesse »,

ajoute-t-il.

« En fait, il faut être fort pour quitter sa famille et l’endroit où l’on a été élevé. Cela prend du temps de s’établir dans d’autres pays. Nous devons démarrer à zéro. »


Publié le 18 novembre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

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