Une campagne de diffamation israélienne prive de leurs fonds des fermiers palestiniens

Les groupes de pression israéliens ciblent les sources de financement d’une importante union de fermiers palestiniens – en prétendant de façon douteuse qu’elle entretient des liens avec des « terroristes ». D’autres organisations palestiniennes sont elles aussi confrontées à ce genre d’attaques.

19 novembre 2013, village de Kustra, Cisjordanie. Des agents de la police israélienne des frontières montent la garde pendant que des fermiers palestiniens utilisent leurs tracteurs pour travailler les terres de leur village. (Photo : Nati Shohat / Flash90)

19 novembre 2013, village de Kustra, Cisjordanie. Des agents de la police israélienne des frontières montent la garde pendant que des fermiers palestiniens utilisent leurs tracteurs pour travailler les terres de leur village. (Photo : Nati Shohat / Flash90)

Alex Kane et Mariam Barghouti, 25 janvier 2021

Le 20 juillet, l’Union des Comités du travail agricole (UAWC), une importante organisation palestinienne de développement agricole, a été avisée d’un coup surprenant porté contre l’exercice de ses tâches : le gouvernement hollandais, un important donateur de l’Union depuis 13 ans, suspendait son financement.

Depuis des années, un réseau mondial de lobbys pro-israéliens exerce des pressions sur les gouvernements européens afin qu’ils cessent de financer l’UAWC, une organisation qui aide les fermiers palestiniens à cultiver leurs terres et à s’y accrocher, à écouler leurs produits et à développer des infrastructures hydrauliques.

La campagne de lobbying s’appuyait sur des allégations selon lesquelles l’UAWC était liée au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti marxiste-léniniste qui constituait la deuxième faction en importance – après le Fatah – au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans les années 1970. Historiquement, un grand nombre d’organisations de la société civile palestinienne ont souvent été liées à des factions politiques bénéficiant d’un large soutien dans la société palestinienne en raison des services sociaux qu’elles fournissaient, de leur rôle dans l’enseignement public et de leur opposition à l’occupation israélienne.

À leur tour, les factions disposaient d’ailes armées séparées qui, à certains moments, opéraient indépendamment des unités politiques. L’aile du FPLP mena des attaques armées dans les années 1970 et 1980, ainsi que durant la Seconde Intifada. Alors qu’Israël et ses alliés prétendent que de telles attaques constituent du « terrorisme », les Palestiniens les ont perçues comme des ripostes et des manifestations de résistance armée à l’occupation militaire violente par Israël.

Jusqu’en juillet 2020, la campagne contre l’UAWC n’a bénéficié que d’un succès modeste. En 2012, une vague de pressions exercées par Shurat HaDin, un centre juridique israélien présentant d’étroits liens avec le gouvernement israélien, avait poussé l’Australie à geler temporairement le financement de l’UAWC et à revoir les donations de son gouvernement à l’organisation. Finalement, la gouvernement australien avait débouté Shurat HaDin, faisant remarquer que l’UAWC « n’avait pas été interdite par Israël ni déclarée organisation terroriste par les Israéliens » (bien qu’en 2018 les autorités israéliennes eussent prétendu que l’UAWC était bel et bien liée au terrorisme).

Les efforts de ces groupes de pression se poursuivent, toutefois, et les mesures hollandaises de suspension ne sont que le dernier coup asséné à l’UAWC. « Il n’y a pas de comparaison entre le pouvoir et les ressources dont ils disposent et les nôtres », a expliqué à +972 Magazine le directeur de l’UAWC, Fuad Abu Saif. « Chacun d’entre nous est un terroriste, à leurs yeux. »

Un vaste réseau de relations

Le paysage politique a changé de façon abrupte, pour l’UAWC, au cours de l’automne 2019, quand Israël a arrêté Samer Arbeed et Abdel Razaq Farraj, deux des employés de l’organisation, qui sont également supposés être des membres du FPLP. Le gouvernement hollandais a déclaré que son argent avait contribué à payer les salaires des deux hommes.

Les autorités israéliennes les ont accusés prétendument d’avoir supervisé le 23 août 2019 un attentat à la bombe qui avait tué Rina Shnerb, une Israélienne de 17 ans en visite à Ein Bubin, une source située à proximité de la colonie de Dolev, en Cisjordanie, et que les colons israéliens cherchent à contrôler depuis longtemps.

Le Shin Bet, le service israélien de sécurité intérieure, a été accusé par des organisations des droits de l’homme et leus avocats d’avoir eu recours à des pratiques de torture à la suite desquelles Arbeed avait eu six côtes cassées et un grave dysfonctionnement rénal. Le 24 janvier, le procureur général israélien a clôturé son enquête sur cette affaire en affirmant : « Rien ne prouve que le délit de torture a été commis. »

En réponse à l’arrestation de ses employés, l’UAWC a déclaré entre autres : « L’UAWC est une organisation indépendante, elle n’est affilée, ni sur le plan politique, ni sur le plan religieux, à aucun parti ou organisation politique. »

Suite aux arrestations d’Arbeed et de Farraj, UK Lawyers for Israel (UKLFI – Avocats du Royaume-Uni pour Israël) et l’ONG Monitor, deux groupes de pression pro-israéliens qui s’en prennent au mouvement pour les droits palestiniens, ont dirigé une campagne de plusieurs mois ciblant le financement de l’UAWC par le gouvernement hollandais. Cette campagne s’est traduite par le gel de la part des Pays-Bas de la donation de 1 million de USD pour 2020 et par l’annonce d’un audit externe sur leur financement de l’organisation. « Nous nous attendons à ce que cette procédure et l’enquête qui l’accompagne prennent plusieurs mois », a déclaré Irene Gerritsen, une porte-parole du ministère hollandais des Affaires étrangères. Quant à Daniel Laufer, un porte-parole de l’ONG Monitor, il estime que la décision « constitue une importante reconnaissance de la nécessité d’une diligence raisonnable dans toutes les décisions de financement d’ONG ».

Le gel des fonds a été appliqué en dépit du fait qu’il n’y avait aucune preuve liant l’UAWC en tant qu’organisation à l’attentat meurtrier d’Ein Bubin. Mais, en ce qui concerne l’ONG Monitor et UKFLI, « la culpabilité par association » est la stratégie idéale qu’il convient de poursuivre.

Les deux organisations, qui ont des liens avec le gouvernement israélien, se sont employées à saper le mouvement pour les droits palestiniens, en partie en l’accusant d’avoir des affiliés au sein d’organisations terroristes. L’ONG Monitor a été créée par Gerald Steinberg, un ancien consultant travaillant pour le ministère israélien des Affaires étrangères et le Conseil israélien de la sécurité nationale, sous la coordination d’une commission d’experts dirigée par Dore Gold, un ancien ambassadeur d’Israël aux Nations unies et assistant de Benjamin Netanyahou. Dans le même temps, UKLFI organisait des conférences en partenariat avec l’ambassade d’Israël au Royaume-Uni.

En réponse aux questions de +972 Magazine sur le manque de preuves qui n’a toutefois pas empêché la décision du ministère hollandais, Caroline Turner, directrice de UKLFI, a déclaré :

« Il n’est pas correct de dire qu’il n’y a pas de preuves associant l’UAWC à l’attentat d’Ein Bubin. Trois cadres de l’UAWC ont été arrêtés, en rapport avec cet attentat terroriste à la bombe. »

« L’un des derniers obstacles à l’apartheid israélien »

Le gel des fonds a eu un impact immédiat. Selon l’UAWC, des fonds hollandais ont soutenu plus de 100 communautés en Zone C de la Cisjordanie occupée, où résident des Palestiniens particulièrement vulnérables aux empiètements des colons israéliens. « La principale raison de toutes ces allégations et pressions réside dans le travail que nous faisons, et tout particulièrement ces quelques dernières années », explique Abu Saif.

« Quand nous relions les Zones A et B aux communautés palestiniennes en Zone C, cela a une grande importance en soi », déclare Abu Saif. Ces six dernières années, l’UAWC a créé 52 coopératives en Cisjordanie et à Gaza, réhabilitant ainsi près de 10 000 dounoums (1 000 hectares) de terres palestiniennes qui étaient sous menace de confiscation par les autorités israéliennes en Zone C. L’organisation a également planté près de 2 millions d’arbres et développé un réseau de routes de liaison de près de 700 kilomètres. L’UAWC s’est également employée à fournir un meilleur accès à l’eau aux Palestiniens en Zone C, où les services de distribution d’eau et de fournitures sanitaires sont régulièrement interrompus par l’expansion des colonies israéliennes.

Actuellement, plus de 300 Palestiniens ont perdu des opportunités d’emploi du fait que six entrepreneurs engagés par l’UAWC ont été forcés d’annuler des projets financés par les Pays-Bas en vue de consolider les infrastructures agricoles. Quelque 200 fermiers palestiniens peuvent aussi être mis dans l’impossibilité de payer leur personnel, ce qui va accroître les tensions au sein de la main-d’œuvre agricole.

Une coupure permanente dans les fonds causerait même plus de dégâts encore, met en garde l’UAWC : Cela entraverait la capacité de l’organisation d’aider les fermiers palestiniens à se cramponner à leurs terres face à l’expansion incessante des colonies israéliennes. « Ce n’est pas une punition infligée à l’UAWC », explique le directeur Abu Saif, « c’est une punition infligée au peuple ! »

Pour l’instant, Abu Saif insiste auprès du gouvernement hollandais, non seulement pour qu’il entreprenne une évaluation exhaustive du financement destiné à l’organisation, mais également pour qu’il acccélère la procédure.

« Nous ne désirons pas qu’ils s’arrêtent à une évaluation, mais qu’ils aillent de l’avant. Nous avons confiance en notre organisation et nous voulons montrer qu’en fin de compte, toutes ces allégations sont dénuées de fondement »,

poursuit-il.

Les implications du cas de l’UAWC vont bien au-delà de la seule organisation.

« Cela pourrait saper la confiance entre les donateurs européens et les organisations de la société civile palestinienne. Cela a toujours été le but des organisations israéliennes spécialisées dans la guerre juridique »,

explique Giovanni Fassina, directeur de programme à l’European Legal Support Center (Centre européen de soutien juridique), une organisation qui fournit une assistance juridique à l’UAWC et qui défend les partisans des droits palestiniens contre la répression en Europe.

« Si vous parvenez à saper la confiance entre deux parties, cela va diminuer les fonds et cela mettra un terme aux activités des organisations de la société civile. Ces organisations sont l’un des derniers obstacles à l’apartheid israélien. »

L’audit du financement arrive à un moment où les organisations de la société civile palestinienne critiquent sévèrement une nouvelle clause « antiterroriste » ajoutée aux contrats de donation de l’Union européenne. La clause mentionne sept factions politiques palestiniennes en tant qu’« organisations terroristes », dont le Hamas, le Djihad islamique palestinien et le FPLP, et elle enjoint aux organisations palestiniennes de garantir que les individus qui tireraient profit des projets financés par l’UE n’appartiennent pas à l’une ou l’autre de ces organisations prétendument terroristes.

Dans un douloureux soupir, Abu Saif poursuit :

« En effet, si la communauté internationale essaie de placer la barre plus haut [pour ceux qu’elle finance], elle devrait également se pencher sur l’illégalité des colonies et des colons qui inspirent grandement les efforts de ces organisations. »

Pour les organisations palestiniennes, l’invitation d’Abu Saif n’est pas injustifiée. Depuis des années, ils réclament des enquêtes sur les organisations favorables à Israël à propos de leurs sources de financement et leurs liens avec des causes extrémistes. Le mois dernier, par exemple, Middle East Eye rapportait qu’Ariel Leitner, l’un des avocats « contre le terrorisme » de Shurat HaDin, avait lui-même été condamné en Israël pour des agressions qui avaient blessé six Palestiniens dans les années 1980. Leitner, qui était affilé au parti d’extrême droite Kach, s’était enfui aux États-Unis alors qu’il était sous caution, mais il était rentré en Israël après avoir bénéficié d’un arrangement négocié. Sa femme, Nitsana Darshan-Leitner, n’est autre que la fondatrice de Shurat HaDin.

Couper les fonds

Outre le fait qu’elle paralyse l’organisation même, une coupure permanente des fonds destinés à l’UAWC constituerait une importante victoire pour le lobby israélien en lui fournissant un exemple efficace de la façon de couper les vivres à la société civile et ce, à tous les niveaux.

Ces dernières années, les institutions du gouvernement israélien et toute une série de groupes de pression alignés sur Israël – comme Shurat HaDin, UKLFI, l’ONG Monitor, l’International Legal Forum (Forum juridique international), le Lawfare Project (Projet de guerre juridique) et bien d’autres – ont déployé toute une variété de tactiques en vue d’interférer sur les collectes de fonds destinées aux organisations palestiniennes.

La méthode la plus habituelle, ces derniers temps, implique de faire des allégations à propos de prétendus liens des organisations de la société civile avec les partis politiques palestiniens ayant une aile armée, décrétant ainsi que des plates-formes de financement comme PayPal pourraient agir en violation des lois antiterroristes si elles permettaient à des organisations palestiniens de recourir à leurs services.

Ces efforts ont connu un succès modeste, mais sans toutefois parvenir à bloquer pour de bon le flux d’argent vers les organisations palestiniennes. En 2018, Shurat HaDin a convaincu la plate-forme Donorbox de bloquer le compte du Comité national du Boycott (BNC), l’organisation palestinienne qui coordonne la campagne générale de Boycott, Désinvestiisement et Sanctions, après avoir adressé une lettre à Donorbox prétendant que le BNC entretenait des liens avec le terrorisme.

En 2019, suite à une campagne de UKLFI, la plate-forme de collecte de fonds Global Giving, a supprimé la possibilité de Defense for Children International – Palestine, une organisation palestinienne défendant les droits des enfants, de collecter des fonds, sans toutefois informer DCI-Palestine à propos des allégations spécifiques ayant abouti à cette sanction. UKLFI et l’ONG Monitor ont prétendu que DCI-Palestine était liée au FPLP.

En mars 2020, cependant, dans le cadre d’un arrangement à propos d’un procès pour diffamation intenté par DCI-Palestine au Royaume-Uni, l’organisation UKLFI a précisé qu’elle

« n’avait pas l’intention de suggérer que l’organisation est pour l’instant étroitement liée à quelque organisation terroriste ou qu’elle lui fournit de l’aide financière ou matérielle ».

En septembre, Global Giving informait DCI-Palestine de ce que l’organisation était en conformité avec les réglementations de la plate-forme de collecte de fonds. Mais, du fait que PayPal, le site internet utilisé par Global Giving pour procéder aux donations, a fait savoir à Global Giving qu’il n’acepterait plus de fonds pour DCI-Palestine, les projets de l’organisation pour les droits des enfants palestiniens restent en dehors du listing de Global Giving. 

Marlena Hartz, directrice de la communication à Global Giving, a expliqué à +972 Magazine que l’organisation avait établi que neuf anciens membres du CA de DCI-Palestine étaient liés au FPLP, bien que sept des neuf eussent été actifs au sein de l’organisation avant même que le département d’État l’ait désignée comme une organisation terroriste en 1997. Les deux autres membres du CA avaient des liens avec le FPLP comme candidats aux élections ouvertes de 2006 qui avaient été autorisées par Israël.

« La décision de ne pas réactiver le partenariat de DCI-P avec Global Giving avait été prise après toute une série de délibérations et de prises en considération de nécessités multiples. Par exemple, la prise au sérieux des allégations, le respect de nos responsabilités envers chacun de nos partenaires et la protection de notre durabilité et de notre mission en tant qu’organisation non marchande cherchant à soutenir d’autres organisations non marchandes du monde entier »,

a poursuivi Hartz.

« Un gaspillage de temps et de capacités »

Les conséquences pour les organisations palestiniennes sont évidentes. « [Infirmer ces allégations] représente un énorme gaspillage de temps et de capacité », explique Brad Parker, principal conseiller de DCI-Palestine sur le plan de la politique et du soutien.

« Nous sommes une organisation qui représente des enfants traduits devant des tribunaux militaires ; ces enfants sont maltraités, torturés, on leur refuse l’assistance d’avocats et, pourtant, une bonne partie de nos capacités sont consacrées à répondre à des demandes de donation et à défendre l’intégrité et la réputation des membres de notre personnel. Le but ultime consiste à mettre un terme au financement, à refroidir les relations et à marginaliser l’organisation du fait qu’elle se livre à tout ce travail légitime autour des droits de l’homme. »

En tant que tel, le fait d’adjoindre le mot « terroristes » aux organisations palestiniennes est un moyen on ne peut plus efficace de dissuader les donateurs. « Qualifier une personne, ou une organisation de terroriste, ou dire qu’elle est alliée à des terroristes est un outil très performant », explique la Dre Yara Hawari, spécialiste de la politique dans le comité palestinien d’experts Al-Shabaka, à l’adresse de +972 Magazine.

« Surtout depuis la campagne de ”guerre au terrorisme” [lancée par l’administration Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001], les gouvernements ont été en mesure d’éluder les accusations d’abus et de discrimination pour des prétextes de sécurité nationale s’appuyant sur des allégations de terrorisme qui restaient définies d’une façon très vague. »

En 2007, le rapporteur spécial des Nations unies soumettait un rapport faisant état de la nature problématique de la définition israélienne du terrorisme et des terroristes qui, disait-il, ressemble à celle de la classification et de l’usage qu’en font les États-Unis en ce qui concerne les prisonniers détenus dans le tristement célèbre camp de détention de la baie de Guantanamo.

Dans le passé, l’affiliation au Hamas était le lien le plus habituel évoqué pour attaquer ou discréditer des organisations ou des individus. L’an dernier, Oxfam a été confronté à un procès en justice sous le prétexte d’avoir fourni de l’« aide matérielle » au Hamas, également considéré comme une organisation terroriste. Cependant, la plupart des factions palestiniennes sous la coordination de l’OLP sont elles aussi considérées comme des organisations terroristes. Le Fatah, quant à lui, n’a été retiré de la liste de ces organisations terroristes qu’après avoir signé les accords d’Oslo en 1993. (*)

Le projet spécifique d’Oxfam qui lui a valu ces accusations en 2019 avait lui aussi trait à l’agriculture. Placé dans un contexte plus large, l’impact de ces efforts contribue également à la poursuite de la détérioration économique et de l’insécurité alimentaire et, récemment, la FAO (Agence de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture) y est allée de cette mise en garde :

« Pour la première fois, la sécurité alimentaire palestinienne peut être gravement affectée par une régression de la disponibilité de nourriture. »

« Quand vous entreprenez des projets qui promeuvent la résilience de la communauté et une plus grande dignité de l’existence, c’est une menace »,

a expliqué Abu Saif à +972 Magazine.

« En ce qui concerne l’UAWC, non seulement nous ne sommes affiliés ou associés à aucun parti ou agenda politique, mais il arrive même que, parfois, nos stratégies et notre approche contredisent celles des factions et autorités palestiniennes. Nous critiquons même leurs manquements en abordant des questions sociales et en essayant de combler leurs déficiences. »

Les élections aux Pays-Bas alimentent les attaques

Collectivement, UKLFI et l’ONG Monitor ont publié des dossiers sur les liens prétendus de l’UAWC avec le FPLP et ils ont adressé nombre de lettres aux gouvernements et aux régulateurs européens cherchant toutes à saper les donations attribuées par l’Europe à l’UAWC. Néanmoins, il a fallu attendre juillet 2020 pour que cette campagne mondiale contre la société civile palestinienne connaisse quelque succès à un niveau gouvernemental.

Une raison majeure pour laquelle le gouvernement hollandais a pris la décision de geler les fonds était que des employés de l’UAWC avaient été arrêtés dans le cadre de l’attentat d’Ein Bubin. Les avocats des droits palestiniens, cependant, ont demandé instamment aux Pays-Bas d’examiner de façon critique les doléances d’Israël, du fait que le Shin Bet avait probablement torturé Arbeed, l’employé de l’UAWC dont Israël prétend qu’il a supervisé l’attentat.

Le gel des fonds est également une résultante de la pression exercée par les partis politiques hollandais – dont l’Union chrétienne, un membre de la coalition de centre-droite – qui sont en désaccord avec la longue histoire de leur gouvernement dans le financement de la société civile palestinienne, et qui s’allient désormais avec des organisations pro-israéliennes de droite.

Mais, le 17 mars, les électeurs hollandais éliront un nouveau gouvernement. La dirigeante du parti progressiste D66 est Sigrid Kaag, l’actuelle ministre du commerce extérieur et de la coopération au développement, autrement dit le bureau gouvernemental responsable du financement de l’UAWC. En fonction du résultat électoral de son parti, Sigrid Kaag pourrait avoir une chance de devenir la toute première femme Première ministre des Pays-Bas.

La droite hollandaise veut étouffer cette perspective dans l’œuf et elle utilise désormais la responsabilité de Kaag dans le financement de l’UAWC comme une massue politique pour l’attaquer.

« Les attaques contre l’UAWC sont, par extension, des attaques contre le ministère [de Kaag] et elles peuvent être utilisées comme munitions politiques au cours des prochaines élections »,

explique Gerard Jonkman, directeur de The Rights Forum (Forum des droits), une organisation hollandaise qui se concentre sur Israël et la Palestine.

Même avant l’actuelle controverse autour de l’UAWC, Kaag était déjà une cible en raison de son soutien aux Palestiniens. En juin 2020, Geert Wilders, le dirigeant antimusulman du Parti pour la Liberté (d‘extrême droite), tweetait une photo de Kaag en compagnie du dirigeant palestinien Yasser Arafat et il écrivait :

« Arafat a été l’un des plus grands terroristes du siècle dernier. @SigridKaag l’adorait. Cela suffit pour dire qu’elle ne peut convenir comme Première ministre. »

Écarter un obstacle à la construction des colonies

Une toile de fond plus importante dans ce gel du financement, toutefois, n’est autre que la campagne menée depuis plusieurs années par les organisations de soutien à Israël afin de c’est-à-dire dans les deux tiers de la Cisjordanie occupée qui ressortissent au plein contrôle civil et militaire israélien.

L’UAWC est la plus importante des institutions palestiniennes de développement agricole qui opère à la fois dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Et c’est l’une des rares organisations palestiniennes non marchandes à se focaliser particulièrement sur des projets agricoles de soutien dans les communautés palestiniennes vulnérables de la Zone C, où les colonies israéliennes sont lourdement concentrées.

« Investir dans l’agriculture et la plantation d’arbres constitue une façon de résister sur le terrain même à l’occupation israélienne », explique Abu Saif, de l’UAWC. « C’est pour cette raison que nous sommes attaqués. »

Miner le travail de l’UAWC, par conséquent, concrétise un but clé du mouvement israélien d’implantation.

“Et, alors que l’armée israélienne débarrasse l’espace prévu pour les colonies en utilisant des bulldozers, UKLFI et l’ONG Monitor tentent de déblayer l’espace diplomatique européen de tout blocage des colonies en y allant d’attaques contre la réputation des ONG palestiniennes qui créent des problèmes »,

a expliqué Ryvka Barnard, l’un des responsables des campagnes pour l’organisation britannique War on Want, elle aussi visée par UKLFI.

« Les ONG comme UAWC créent un obstacle à la mise en place des colonies parce que, pour plaider leur cause devant l’UE, elles réunissent des preuves dénonçant les activités illégales d’Israël, telles les démolitions de structures et l’installation de colonies. Et c’est ainsi que des organisations comme UKFLI s’emploient à les discréditer. »

Interrogée par +972 Magazine sur les doléances prétendant que la campagne contre l’UAWC consiste à nuire à la capacité des organisations palestiniennes de réunir des preuves de violations de droits par les Israéliens et de s’opposer à l’expansion des colonies, Caroline Turner, la responsable de UKLFI a déclaré : « UKLFI ne veut pas que l’UE ou tout autre gouvernement finance des organisations terroristes. » Elle a ajouté qu’alors que son organisation « n’est absolument pas opposée au financement d’organisations palestiniennes légitimes », elle insiste toutefois sur le fait que l’UAWC « entretient des liens solides avec l’organisation terroriste FPLP et qu’en tant que telle, elle ne devrait pas être financée par l’UE ni par aucun autre gouvernement ».

En dépit de ces difficultés, l’UAWC se démène pour poursuivre son travail. « En ce moment précis, l’atmosphère générale baigne dans l’insécurité économique », explique Abu Saif en soupirant.

« Nous craignons de ne pouvoir tenir notre promesse, mais il y a également un sentiment d’empowerment, parmi nous. Finalement, notre but est de servir notre peuple et, de la même façon que nous avons démarré en tant que bénévoles, nous avons également envisagé la possibilité de nous remettre au travail comme bénévoles. »


Publié le 25 janvier 2021 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Après Wadie Haddad : La «guerre contre la terreur» et la résistance

(*) Le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) figurait initialement sur la « liste des terroristes » en tant qu’opposant au processus d’Oslo ; il a été retiré en 1999, suite à des garanties prétendument reçues par les États-Unis par l’entremise du président de l’AP Arafat, dans le cadre des pourparlers en cours, garanties selon lesquelles le FDLP était désormais disposé à revoir son approche politique d’Oslo, de l’Autorité palestinienne et de l’État israélien.

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