” Histoire d’un faux espoir “ – les commissions d’enquête en Palestine

Lori Allen, auteur du livre, “Histoire d’un faux espoir – les commissions d’enquête en Palestine” : pour les Palestiniens, le droit international s’est avéré être une “force pacificatrice antirévolutionnaire”.

4 novembre 2014. Des écolières palestiniennes traversent une zone détruite du quartier de Shujayea, à Gaza. (Photo: Anne Paq / Activestills.org)

4 novembre 2014. Des écolières palestiniennes traversent une zone détruite du quartier de Shujayea, à Gaza. (Photo: Anne Paq / Activestills.org)

Josh Ruebner, 4 janvier 2021

En septembre 2009, Richard Goldstone et trois autres experts juridiques internationaux commandités par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU publiaient un rapport accablant de 450 pages détaillant les crimes de guerre qu’Israël était soupçonné d’avoir commis au cours des trois semaines de bombardement de Gaza un peu plus tôt cette même année.

Avant cette publication, l’ambassadeur des États-Unis en Israël avait mis en garde Danny Ayalon, ministre adjoint des Affaires étrangères d’Israël, contre les « difficultés que pourrait poser le rapport Goldstone ». Parmi ces difficultés figurait une action contre Israël à la Cour pénale internationale (CPI).

L’ambassadeur des États-Unis conseilla à Israël d’enquêter sur les allégations soulevées dans le rapport Goldstone afin de « contribuer à détourner les efforts visant à engager la CPI ». Ayalon exprima ses inquiétudes, lui aussi, quant aux « efforts en vue de condamner Israël » pour les possibles crimes de guerre renseignés dans le rapport.

Le lendemain de sa publication, Susan Rice, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, complotait avec Ayalon sur « les meilleurs moyens de détourner et endiguer le rapport Goldstone ».

« Aidez-moi à vous aider » en faisait progresser les pourparlers israélo-palestiniens, plaidait-elle. Une avancée positive dans le prétendu « processus de paix » aidera les États-Unis à rendre le rapport « plus facilement gérable », dit-elle.

Le rapport Goldstone est l’une des six commissions internationales mises sur pied le siècle dernier et examinées par la Dre Lori Allen, professeure d’anthropologie à l’École des Études orientales et africaines (SOAS) de l’Université de Londres, dans son livre A History of False Hope: Investigative Commissions in Palestine (Histoire d’un faux espoir – les commissions d’enquête en Palestine) [publié en décembre 2020 par la Stanford University Press et toujours non traduit en français, NdT].

En « mettant pour la première fois et de façon croissante l’emphase sur la CPI comme possible outil juridique international afin de garantir qu’Israël rende des comptes et qu’il soit mis un terme à son impunité », le rapport Goldstone a été perçu par les Palestiniens comme un « tournant décisif », écrit Allen.

Mais les États-Unis ont émoussé les effets du rapport et l’ont finalement enterré afin de protéger Israël et d’empêcher ainsi qu’il soit tenu responsable de ses dévastations délibérées à l’encontre de la population et des infrastructures de la bande de Gaza.

« Détourner et engager sur une fausse voie »

La coordination discrète de l’administration Obama avec Israël dans l’intention de tuer le rapport montre particulièrement bien comment les mécanismes du droit international fonctionnent en tant que « créateurs de faux espoirs » pour les subalternes et les dépossédés, estime Allen.

Le droit international est une « idéologie, un réseau d’idées et de croyances qui dissimule les opérations du pouvoir même lorsqu’il [le droit international, NdT] présente des instruments visant manifestement à défier et à restreindre ce même pouvoir », affirme-t-elle.

Allen a rédigé son livre dans l’intention d’examiner « les raisons de l’engagement fluctuant mais tenace des Palestiniens en faveur du légalisme libéral », vu le fait qu’aucune commission n’a jamais été en mesure de mettre un terme à la violence ou d’instaurer la paix.

En effet, l’autosatisfaction prétentieuse affichée par de nombreux commissaires, le fait qu’ils sont « si nombreux à se sentir si bien de n’avoir finalement pas fait grand-chose donne une idée du pouvoir des commissions de détourner les esprits et de les engager sur une fausse voie ».

Ou, comme l’explique Allen dans un passage éloquent sur la Commission Mitchell, mise sur pied par les États-Unis après le déclenchement de la Deuxième Intifada en septembre 2000, les commissions d’enquête résument parfaitement « les allures captivantes du droit international et sa froide impuissance ».

Ces commissions d’enquête furent inaugurées par la Commission King-Crane, envoyée par le président américain Woodrow Wilson dans les anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale afin de déterminer les aspirations politiques de leurs habitants.

Les Palestiniens qui témoignèrent devant la commission le firent par le biais de protestations libérales impeccables et sincères en faveur de l’autodétermination et de la démocratie, mais ils ne se virent opposer que mépris et incrédulité de la part de nombreux commissaires américains.

Allen brosse un portrait dévastateur de William Yale, l’un des principaux conseillers de la commission qui, en même temps, opérait comme espion industriel au service de la Standard Oil, son employeur.

« La fantastique imagination orientaliste de Yale se mélangeait facilement à son peu de savoir historique » afin de se convaincre que les revendications nationalistes palestiniennes masquaient un fanatisme religieux très enraciné et irréductible.

Ses collègues commissaires ne partageaient pas tous ses points de vue, toutefois, et la commission recommanda la création d’un État syrien unifié (comprenant la Palestine et le Liban) sous mandat américain dirigé par le roi Fayçal.

Un parlement syrien élu fut même en bonne voie d’établir une monarchie constitutionnelle libérale, à cette époque.

Dans le premier d’une longue série de mises en garde, la commission prévenait également de ce que la déclaration Balfour ne pourrait être appliquée que par la force, s’il fallait passer outre les objections de la population palestinienne autochtone.

En dépit des conclusions de la Commission King-Crane, la Grande-Bretagne se vit octroyer le mandat sur la Palestine par la Société des Nations et la mise en application de la déclaration Balfour constitua la pierre angulaire de sa domination.

C’est ainsi donc que débuta un « cycle complet d’espoirs et de déceptions qui allaient marquer les futures interventions internationales en Palestine », affirme Allen.

La chose a été caractérisée par « des espoirs collectifs inspirés par les promesses impériales et une attention accordée pour la forme uniquement à l’opinion publique ». Cependant, bien qu’on ait estimé que les Palestiniens étaient prêts à l’autodétermination et capables de l’assurer, les machinations politiques n’ont jamais cessé d’étouffer les espoirs soulevés par les commissions.

Le boycott palestinien

Comme Allen le montre tout au long de son livre exceptionnel, ce modèle se répéta donc tout au long des nombreuses commissions impériales envoyées sur place par la Grande-Bretagne au cours de l’exercice de son mandat.

Exaspéré par toutes ces commissions, le Haut Comité arabe – le corps politique palestinien dirigeant la politique nationaliste au cours du Mandat britannique – commença par boycotter la Commission Peel en 1936. Mais il fit marche arrière et il y participa à contrecœur à la suite des pressions émanant des États arabes voisins, semi-indépendants tout en étant toujours largement sous contrôle colonial.

La chapitre consacré par Allen à la Commission Peel contient un grand nombre d’observations intéressantes sur la solidarité transnationale avec le peuple palestinien déclenchée par la révolte arabe de Palestine et qui provoqua la désignation de la commission.

La révolte arabe de Palestine, qui dura de 1936 à 1939, fut une insurrection armée des Palestiniens combinée avec une campagne soutenue de désobéissance civile contre la domination britannique et contre les objectifs du mouvement sioniste. Elle fut brutalement réprimée par les autorités mandataires.

Ce chapitre aurait pu être étayé, toutefois, par un examen plus profond du précédent engagement palestinien vis-à-vis des commissions britanniques ; malheureusement, il a surtout été relégué dans une note de bas de page.

L’un des meilleurs chapitres d’Allen explique par le détail l’engagement palestinien vis-à-vis de la Commission d’enquête anglo-américaine de 1946. Dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, les survivants juifs de l’Holocauste continuèrent à souffrir des conditions brutales des camps pour personnes déplacées et cela suscita la sympathie de l’opinion libérale dans le monde entier.

Allen rappelle avec une grande maîtrise comment les Etats arabes et les représentants politiques palestiniens acceptèrent d’assumer la responsabilité de réinstaller les survivants juifs dans le cadre d’un effort à l’échelle mondiale.

Selon Allen, « il y eut de la part des pays arabes tant de propositions d’accueil des réfugiés juifs que le président américain Truman remercia Ibn Saoud [roi de l’Arabie saoudite] et lui dit à quel point c’était ”réconfortant” ».

Allen écrit : « Des expressions de sympathie envers les Juifs précédèrent presque tous les arguments arabes proposés à la commission sous forme de témoignages oraux et sous leurs versions écrites. On eût dit que les Arabes savaient qu’aucun argument ne pouvait être entendu s’il n’était pas présenté sur un oreiller de compassion. »

Cependant, les Palestiniens et leurs partisans prétendirent que les préoccupations humanitaires à propos des souffrances du peuple juif ne devaient pas devenir un prétexte pour une reprise de la Palestine par les sionistes.

L’éminent professeur d’histoire de l’Université de Princeton, Philip Hitti, s’adressant à la Commission au nom de l’Institut des Affaires arabo-américaines, blâma ses collègues américains de la commission pour leur hypocrisie en voulant réinstaller les personnes juives déplacées exclusivement en Palestine.

« Je n’en ai entendu aucun, parmi eux, lever le doigt [sic] au nom des Juifs, au point de lever des barrières de sorte que certains Juifs puissent être admis aux États-Unis », déclara-t-il. « Je pense que nous devrions être honteux de nous-mêmes de ne pas l’avoir fait auparavant. »

Les gens de la commission ne relevèrent pas le défi de Hitti et, en lieu et place, recommandèrent de résoudre la question par l’admission de 100 000 survivants juifs en Palestine.

La maintien d’une hiérarchie

Dans un autre chapitre excellent, Allen examine de près l’engagement des Palestiniens dans la Commission spéciale de l’ONU en vue d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits humains de la population des Territoires occupés, une commission permanente instaurée en 1968 qui allait faire office de tribune importante en faveur de la solidarité internationale avec le peuple palestinien.

Selon Allen, cette commission contribua à faire de l’ONU « un miroir reflétant l’identité et les revendications des Palestiniens en même temps qu’un mégaphone pour faire connaître leur situation précaire et leurs doléances, les amplifiant grâce à la légitimité proclamée de l’ONU qui représente les normes universelles et favorise l’ordre juridique international ».

Pourtant, même dans cette atmosphère des plus amicales, « les membres de la commission cherchèrent à s’assurer une hiérarchie de l’autorité en leur qualité d’interprètes de la loi », écrit encore Allen.

Un membre de la commission réprima sévèrement un chirirgien palestinien qui témoignait devant la commission et qui avait été chassé de Cisjordanie par Israël pour avoir discuté des violations des lois internationales par ce dernier pays.

« Puis-je vous demander, s’il vous plaît, de ne pas faire état de vos opinions personnelles et de tirer vos propres conclusions ? », déclara le membre de la commission. « C’est à nous de le faire. Vous, contentez-vous d’exposer les faits (…) parce que nous voulons obtenir bien d’autres choses de vous et je je veux pas perdre du temps sur des questions qui ne concernent que nous. »

Cette rencontre résume parfaitement l’expérience palestinienne à propos des commissions internationales. On demande aux Palestiniens qu’ils fassent entendre leurs références libérales devant des institutions internationales dont l’écoute parfois empreinte de sympathie est démentie par un objectif ultérieur sans cesse changeant qui semble toujours reculer l’autodétermination en la plaçant hors de portée.

Allen conclut que « le droit international a été une force pacificatrice antirévolutionnaire », en Palestine. Elle le compare à un « trou noir : le poids colossal de ses mécanismes, tant idéologiques qu’institutionnels, ont englouti au fond de lui-même des énergies et des actions, des idées et des motivations, en étouffant totalement leur vitalité ».

Si l’histoire sert de balise pour le futur, le livre d’Allen montre savamment les limitations de l’engagement dans des commissions internationales et dans le droit international en tant que mécanismes censés permettre aux Palestiniens d’obtenir les droits qui leur sont refusés depuis si longtemps.


Publié le 4 janvier 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Josh Ruebner est professeur adjoint au département des études sur la justice et la paix de l’Université de Georgetown.

Lisez également : Pourquoi le droit international ne peut sauver la Palestine : Les institutions juridiques, peuvent être des outils dans le mouvement politique, mais elles ne peuvent libérer la Palestine à elles seules.

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