À propos de la solidarité avec la Palestine

La solidarité internationale avec la Palestine doit dépasser le niveau de la base et déboucher sur l’application de sanctions contre Israël tant que le pays ne se soumettra pas aux lois internationales.

Photo : BDS France

Photo : BDS France

Haidar Eid, le 4 mars 2021

Manifestation BDS en France. (Photo :  BDSFrance.org/Wikimedia Commons)

Au vu des derniers développements qui ont marqué la décennie écoulée et de l’urgente nécessité d’une revitalisation et (re)mobilisation de la solidarité internationale avec le peuple palestinien, il conviendrait de réexaminer quelques questions fondamentales. La tâche immédiate et urgente qu’il faut aborder réside dans la nature de cette solidarité internationale et consiste à définir les meilleures façons de favoriser cette solidarité au-delà du simple niveau de la base. Le but, désormais, devrait être de tendre à l’application de la section S de l’appel BDS – les sanctions contre l’Israël de l’apartheid tant qu’il ne se soumettra pas aux lois internationales. 

En s’appuyant sur les rapports récents et sur les recherches des organisations internationales et même israéliennes traditionnelles des droits de l’homme, il conviendrait de mettre avant tout l’accent sur la nature d’apartheid du sionisme colonial d’implantation. Certes, les torts importants causés par les accords d’Oslo à la question palestinienne, à savoir le détournement de l’attention internationale de la souffrance des réfugiés palestiniens et des citoyens palestiniens de troisième classe d’Israël, compliquent grandement la chose. Cependant, cela ne veut pas dire que la communauté internationale n’a pas la responsabilité d’éliminer les racines de cette souffrance. Le fait que certains Sud-Africains de couleur ont accepté le système des bantoustans n’a pas convaincu la communauté internationale de la « légitimité » et de l’« humanité » de l’apartheid et de son « droit à l’existence ». Ce sur quoi il faut insister, dans ce contexte, ce sont les similitudes entre l’apartheid et la nature sioniste exclusiviste d’Israël.  

Aucune approche historique ne peut en aucun cas séparer l’apartheid, et le sionisme, dans le cas présent, du colonialisme. Comme l’ont prétendu au dix-neuvième siècle certains des plus brillants intellectuels de l’anti-apartheid et de l’anticolonialisme, dans le but de satisfaire ses besoins d’un nombreux prolétariat du fait qu’il fallait exploiter une énorme richesse minérale, le capitalisme central – avec son colonialisme – a dépossédé les communautés rurales africaines par la force et les a repoussées dans des régions extrêmement pauvres de sorte qu’elles sont devenues des pourvoyeuses de prolétariat bon marché pour les exploitations minières et agricoles européennes et, plus tard, pour l’industrie sud-africaine blanche en devenir.   Cela a débouché sur la transformation de toute une société en réservoir de main-d’œuvre, sur la disparition de l’indépendance et, finalement, sur la création de l’apartheid et des bantoustans.

Alors que, finalement, la communauté internationale a protesté contre la méthode flagrante d’extraction de la main-d’œuvre en surplus par l’apartheid et contre son exploitation inhumaine et raciste des Africains de couleur, en Palestine, la même vielle manière de déposséder les autochtones est hélas glorifiée, défendue et même soutenue internationalement en dépit des justifications racistes flagrantes qui la sous-tendent. Pour comprendre la futilité de la situation, on doit se référer aux positions adoptées par certains gouvernements arabes sur la question palestinienne. Les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc, suivant la voie de l’Égypte et de la Jordanie, ont décidé de normaliser leurs liens avec l’Israël de l’apartheid sans aucunement tenir compte du lourd tribut payé par le peuple palestinien. Tous ont utilisé le même vieux cliché du « soutien de la paix au Moyen-Orient » ! En d’autres termes, consciemment ou pas, ces gouvernements ont consacré leurs efforts en vue de cimenter l’apartheid en Palestine ! Ajoutez à cela le soutien illimité qu’Israël tire des gouvernements des États-Unis et de l’Europe, et les alliances qu’il a créées avec les gouvernements de droite en Inde, en Amérique latine, en Afrique et en Europe de l’Est. D’où l’extrême urgence et la nécessité d’une campagne internationale, une campagne qui prendra comme thème central l’analogie entre l’apartheid et le sionisme, une campagne dont on ne permettra pas qu’elle soit récupérée par le pragmatisme officiel, une campagne qui considérera les réfugiés dépossédés des camps, de Gaza à la Cisjordanie, du Liban, de la Syrie et de la Jordanie, comme ses propres Sud-Africains de couleur.

Par conséquent, les questions que l’on devrait traiter en priorité ne sont pas séparées de la nature agressive d’Israël en tant qu’entité sioniste. Il est devenu évident que la condition à la pérennité de l’existence d’Israël en tant qu’État juif est le nettoyage ethnique de la totalité du peuple palestinien. Il n’est plus possible de percevoir le conflit entre Israéliens et Palestiniens comme une simple lutte entre deux voisins revendiquant le même lopin de terre, bien que les hommes politiques et les médias occidentaux tentent toujours de montrer cette fausse image. Jusqu’il y a peu, les prétentions israéliennes d’être la victime pacifique de la persécution arabe ont obscurci cette réalité mais, parmi les fondateurs de l’État juif, la nécessité du « transfert », voire de l’anéantissement des Palestiniens a toujours été bien admise. Comme le dit Roberta Strauss Feuerlicht dans The Fate of the Jews (Le sort des Juifs),

« Les sionistes ont accompli le coup psychologique du siècle en raflant la Palestine aux Arabes et en prétendant ensuite que les Juifs étaient les victimes des Arabes ». 

Naturellement, la solidarité internationale avec le peuple palestinien a joué un rôle extrêmement important, bien que dialectique, en facilitant la lutte. C’est-à-dire qu’il y a une relation proportionnelle indéniable entre les différentes formes de lutte dans les territoires occupés et l’attention internationale accordée à la souffrance palestinienne. Par conséquent, ce que nous devons aborder désormais, c’est la façon dont les accords d’Oslo ont causé des dommages à cette relation. En d’autres termes, le terrible soutien international dont ont bénéficié les Palestiniens au cours de la Première Intifada (1987-1993) a perdu de son intensité en raison de l’impression créée par la poignée de main « historique » entre Arafat et Rabin et les accords qui ont suivi. Cette impression a été que la question palestinienne avait été résolue ! Ce qui nous ramène à la question de la représentation et du rôle qu’elle joue dans la mobilisation des gens autour d’une cause juste. C’est ce que le mouvement BDS est parvenu à faire avec succès jusqu’à présent, en convainquant des gens ordinaires de la justice de la cause palestinienne et, partant, du bien-fondé moral de la soutenir. Une politique allant de la base au sommet est la leçon que les activistes BDS ont tirée de la leçon sud-africaine :

Tout d’abord, vous appelez au boycott, ensuite au désinvestissement de l’apartheid et des entités qui en tirent profit, jusqu’au moment où vous atteignez les échelons supérieurs du gouvernement et que vous réclamez des sanctions.

Voilà le travail qu’il convient d’accomplir.


Publié le 4 mars 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

Haidar Eid

Haidar Eid

Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.

 

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