La crise du climat et l’occupation anéantissent l’existence des bergers palestiniens
Une colonie dans les collines au sud de Hébron illustre la façon dont l’occupation israélienne et la crise du climat détruisent les terres des Palestiniens et leurs moyens de subsistance.
Natasha Westheimer, 21 avril 2021
Lundi matin, alors que nous traversions la région des collines au sud de Hébron, en Cisjordanie occupée, le paysage jauni était nettement plus desséché que trois ou quatre jours plus tôt. C’en est terminé du passage annuel des pluies, les communautés se préparent à un ramadan chaud et sec et les troupeaux de moutons et de chèvres effectuent leur dernière journée d’errance avec leurs bergers dans les collines.
La subsistance des bergers palestiniens en Cisjordanie dépend de leurs troupeaux et ce dernier mois marquait le début de la saison où les animaux s’alimentent sur les terres riches du printemps. Pourtant, alors que ma voiture escaladait la colline en direction du village d’a-Tuwani, j’ai aperçu une fois de plus des bulldozers israéliens, creusant dans les collines d’Ein al-Beida, en face de la colonie israélienne de Ma’on. Dans chaque bris de roches, chaque chargement de terre, le terrain était remodelé en plate-forme pour le développement.
Rien que le mois dernier, au moins trois nouveaux projets importants de peuplement israélien ont vu le jour dans les collines au sud de Hébron, dont de nouveaux avant-postes à proximité des villages de Zanuta et de Sarura et, aujourd’hui, le projet de développement d’Ein al-Beida. Mais ce dernier projet n’est pas qu’un autre simple cas de reprise de terres via les mesures discriminatoires de l’occupation, il alimente également la crise environnementale en cours.
Dans son rapport d’évaluation de 2007, le Groupe d’experts intergouvernemental des Nations unies sur l’évolution du climat (IPCC) avait insisté sur le fait que les taux de réchauffement dans les régions méditerranéennes du sud et de l’est seraient plus élevés que le taux mondial moyen du réchauffement. Selon le rapport, nous connaîtrons un réchauffement moyen de 2,2 à 5,1 degrés Celsius et une baisse moyenne des précipitations d’au moins 20 pour 100 en 2050. L’IPCC a également signalé la région comme un haut lieu du changement climatique : elle sera confrontée au réchauffement le plus fort dans les chaleurs extrêmes ainsi qu’à des accroissements significatifs des sécheresses extrêmes.
Ces changements seront également ressentis dans les territoires occupés. Toutefois, une grande incertitude subsiste à propos de l’impact précis du changement climatique et Cisjordanie, en partie à cause de la disponibilité limitée et de la politisation des données. En particulier, les experts et autorités palestiniens sont confrontés à des problèmes critiques dans la collecte et l’analyse des données : du fait des restrictions imposées par Israël aux déplacements des Palestiniens en Cisjordanie, l’accès aux zones où le contrôle est très important reste très limité. Dans un même temps, les autorités israéliennes publient rarement des données suffisantes à propos des ressources partagées en eau, données pourtant de première importance pour une gestion fondamentale et une saine utilisation pratique du climat et des ressources.
Néanmoins, les experts prédisent raisonnablement que les modèles changeants des précipitations et le réchauffement impacteront significativement les ressources en eau et la couverture du sol, en affectant de la sorte les secteurs de l’agriculture et de l’élevage. En fait, le Programme de développement des Nations unies (PDNU) a identifié les collines au sud de Hébron comme l’une des deux régions de Cisjordanie les plus vulnérables sur le plan du climat, l’autre étant la vallée du Jourdain. Pour les bergers palestiniens, cela signifie que les terres de pâture continueront à se réduire en superficie et à se détériorer en qualité.
« Le colon m’a dit que si je remettais les pieds sur ma terre, il m’abattrait »
Mais, cette année, comme les années précédentes, d’ailleurs, les bergers palestiniens de Cisjordanie sont bien plus embarrassés par le harcèlement et la violence des soldats et colons israéliens qu’ils ne le sont par les changements dans leurs pâturages. En 2020, le nombre de démolitions dans le territoire – qui touchent des habitations, des abris pour animaux et d’autres infrastructures – a été le deuxième le plus élevé depuis que le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA, un bureau des Nations unies) s’est mis à répertorier cette pratique en 2009.
En mars, des colons armés venus de Nof Nesher ont tiré des coups de feu au-dessus des têtes des écoliers du village d’Emneizal, qui faisaient paitre des moutons dans une zone toute proche. La semaine dernière, des bergers israéliens faisaient paître leurs bêtes sur des terres privées palestiniennes à Shuweika, forçant par la même occasion les bergers palestiniens à quitter leurs propres terres.
Au début de cette année, des colons ont lancé des pierres sur un berger de Susiya ; le soldat de garde les regardait depuis le dessus de la colline et il n’est pas intervenu pour faire cesser les colons, qui sont repartis en toute impunité. La semaine dernière, à Beni Naim, l’armée a forcé des bergers palestiniens à évacuer des terres sur lesquelles ils faisaient paître leurs bêtes en toute légalité, tout simplement parce qu’ils se trouvaient à proximité de la colonie de Pne Hever. En mars, le même colon qui s’occupe du développement illégal à Ein al-Beida a appelé l’armée pour qu’elle empêche les bergers palestiniens de la communauté voisine de Tha’ala de se rendre à un réservoir d’eau avec leur troupeau.
Puis, samedi dernier, Amin et Bassem, deux frères de Zanuta, ont été agressés par cinq colons du nouvel avant-poste installé il y a quelques semaines à peine sur la colline surplombant leur village.
« Depuis des années, mon frère et moi accompagnons notre troupeau pour qu’il aille paître dans les collines autour de Zanuta »,
me raconte Bassem après que lui et son frère sont revenus d’avoir été le faire ce matin, quelques heures plus tôt que prévu.
« Nous sommes confrontés à davantage de harcèlement de la part des colons, dans cette zone, ces derniers mois mais, depuis l’installation du nouvel avant-poste il y a quelques semaines, les colons nous empêchent désormais d’accéder à nos terres. »
Bassem poursuit :
« Ce matin, comme nous traversions la colline pour rallier le point d’eau pour nos moutons, cinq hommes et leur chien nous ont attaqués, mon frère, nos enfants et moi – ils m’ont poussé, m’ont donné des coups de pied et ont repoussé nos moutons… Nos enfants étaient terrifiés. Nous avons appelé la police, qui est venue mais s’est contentée de regarder les colons nous repousser, nous et nos moutons, vers le village. L’un des colons m’a dit que si jamais je revenais sur mes terres – et c’est notre seule terre – il allait me descendre. Je ne sais pas où nous allons emmener nos moutons demain. »
Après cette visite aux deux frères, le militant local, Basil al-Adraa, qui m’a rejointe à Zanuta, m’a fait remarquer les nouvelles caravanes sur la colline au-dessus de nous. Un peu plus tôt dans le mois, Basil et moi avons suivi ces caravanes tard dans la soirée alors qu’elles étaient en route dans les collines au sud de Hébron, et ce, jusqu’au moment où elles ont quitté la route qui mène au Conseil régional du mont Hébron, pour aller s’installer illégalement, un peu plus tard, au sommet de la colline qui surplombe Zanuta.
« Aussi bien avec les expropriations officielles des terres qu’avec le harcèlement incessant des colons et de l’armée, les pratiques traditionnelles d’utilisation durable de la terre et des ressources sont complètement sens dessus dessous »,
explique Basil. Il cite Ein al-Beida comme parfait exemple de ce phénomène.
« Depuis des siècles, les résidents des cinq villages entourant Ein al-Beida assurent leur subsistance en cultivant les ouadis (vallées) et en faisant paître des moutons et des chèvres dans les collines »,
dit-il.
« Même si ces zones sont des terres palestiniennes privées, les autorités israéliennes ne reconnaissent pas le pâturage comme une utilisation de la terre et ont déclaré la plupart des zones des collines ‘terres de l’État’. »
Basil poursuit :
« L’État a alloué des parcelles de ces terres au développement des colonies – y compris à Tnuva, pour une laiterie industrielle et pour des élevages aviaires, ainsi qu’à des colons de Havat Ma’on, pour un élevage d’ovins et pour le tout récent projet d’Ein al-Beida, en accaparant des terres de l’oued et en préparant les collines d’en haut en vue de l’une ou l’autre sorte de projet agricole. »
Une réalité cyclique
Les plans de développement à Ein al-Beida constituent toujours un mystère. Selon Quamar Mishirqi-Assad, le directeur du projet juridique de l’ONG Haqel, qui s’occupe des droits de la terre, tout projet de développement d’une telle ampleur est censé publier publiquement ses plans sur les sites officiels du gouvernement afin de permettre que s’expriment d’éventuelles objections.
L’ Administration civile israélienne a répondu aux demandes de Haqel concernant le projet en déclarant que les promoteurs du projet avaient l’autorisation d’utiliser les terres. Toutefois, Quamar a fait remarquer que, si l’on considère – pour autant que l’on sache – qu’il n’y a pas eu de plans publiés et que les maîtres plans des colonies du Carmel et de Ma’on ne comprennent aucun projet de développement à Ein al-Beida, on peut se poser de sérieuses questions sur la légalité et la transparence de ce projet.
Étant donné que nous ne connaissons pas la nature complète de ces plans, nous ne connaissons pas non plus la menace environnementale que constitue ce projet. Il est clair, cependant, qu’à tout le moins, et de la même façon que d’autres projets de développement dans la région, l’excavation de cette colline va perturber la flore et la faune si importantes pour la biodiversité de la région. Et, lorsque le mouvement des troupeaux est limité par les activités de l’armée et du peuplement, les bergers sont obligés de soumettre les terres à un pâturage excessif, ce qui accélère leur dégradation et, ensuite, ils doivent compléter l’alimentation de leurs troupeaux au moyen d’aliments pour bétail très chers et moins durables.
La transformation du paysage que j’ai découverte en parcourant la route au-delà d’Ein al-Beida représente donc la grave réalité cyclique de la crise climatique en Cisjordanie : l’occupation exacerbe les impacts du changement climatique et le changement climatique à son tour exacerbe les impacts de l’occupation.
Au beau milieu de cette réalité, le mode de vie traditionnel des bergers palestiniens qui, jadis, parcouraient fièrement le pays avec leurs troupeaux tout en utilisant les terres et les sources d’eau de façon durable, est systématiquement démantelé et remplacé par des projets polluants et néfastes sur le plan environnemental. Et, comme l’expliquait Basil,
« ces colons ont les moyens économiques – avec le soutien des autorités politiques et militaires – d’utiliser des ressources importantes en terres, eau et électricité comme un outil politique en vue de l’accaparement des terres. »
Les bergers – comme tous les Palestiniens vivant sous occupation dans les zones C de la Cisjordanie (sous le contrôle administratif et sécuritaire total d’Israël) – manquent de l’autonomie et des ressources pour s’adapter et répondre à ces menaces ainsi que pour modifier les conditions climatiques. Dans de telles circonstances, les Palestiniens devront faire les frais de la crise climatique dans le même temps que les colonies israéliennes continueront à annexer la terre de façon agressive, de détruire l’environnement et de semer la désolation parmi les résidents palestiniens de la région – et tout cela, sans conséquence.
Publié le 21 avril 2021 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
Natasha Westheimer est une spécialiste australo-américaine de la gestion de l’eau et une militante anti-occupation installée à Jérusalem.