Pourquoi l’EU ne peut-elle prononcer le mot « apartheid » ?
Malgré son infatigable propagande sur la façon dont elle chérit les droits de l’homme, l’UE – en compagnie des États-Unis – est la principale facilitatrice de l’apartheid israélien et, en tant que telle, elle est donc une ennemie de la liberté, de la justice et de l’égalité pour les Palestiniens.
Ali Abunimah, 29 avril 2021
En début de semaine, Human Rights Watch a publié un important rapport concluant qu’Israël commettait bel et bien des crimes d’apartheid et de persécution à l’égard des Palestiniens.
Israël a « donné suite à ses intentions de poursuivre la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens partout dans les territoires qu’il contrôle », déclare l’organisation.
Le crime d’apartheid est l’un des crimes contre l’humanité cités dans le Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale – ce qui classe ce crime dans la même catégorie que l’esclavage et l’extermination.
À son rapport, Human Rights Watch joint des appels de plus en plus pressants vers une approche s’appuyant sur les droits et la responsabilité, plutôt que sur le « processus de paix » mort depuis longtemps et qui, des décennies durant, a fourni un alibi à l’inaction internationale pendant qu’Israël n’a cessé de conforter son emprise coloniale sur les Palestiniens et sur leur terre.
Mais, si on s’imagine que ce changement de paradigme – même de la part d’une organisation aussi grand public que Human Rights Watch – va ébranler l’engagement de principe de l’Union européenne dans le maintien d’un statu quo brutalement injuste en Palestine, on peut s’apprêter à une amère désillusion.
J’ai écrit au porte-parole de la politique étrangère de l’UE, Peter Stano, pour lui demander quelle était la réaction du bloc au rapport de Human Rights Watch.
J’ai fait remarquer que ce rapport venait quelques mois après que B’Tselem – une organisation israélienne des droits de l’homme financée par l’Union européenne – avait finalement tiré sa propre conclusion disant qu’Israël était bel et bien coupable d’apartheid.
La réponse de Stano comptait 160 mots : aucun n’était « apartheid ».
EU foreign affairs spokesperson @ExtSpoxEU sent me the bloc's response to @HRW's determination that Israel commits the crime of apartheid against Palestinians. As an exercise in loquacious evasion it would make Sir Humphrey Appleby proud. My article soon. pic.twitter.com/gJCKjhlS6A
— Ali Abunimah (@AliAbunimah) April 29, 2021
« Nous accordons toute l’attention qu’il mérite au rapport de Human Rights Watch », affirmait Stano.
Venait ensuite une assez longue tirade sur l’engagement supposé de l’UE envers les droits de l’homme, le droit international et « une solution négociée à deux États ».
Dans la poursuite de ce mirage sans cesse récurrent, Stano concluait que
« l’UE s’engagera à cette fin, tant en compagnie d’Israël que des Palestiniens ainsi qu’avec nos partenaires internationaux et régionaux ».
Cela a la même allure louche que l’« engagement constructif » prôné dans les années 1980 par le président américain Ronald Reagan et la Première ministre britannique Margaret Thatcher, dans un effort en vue d’alléger la pression internationale et les sanctions contre le régime suprémaciste d’apartheid de l’Afrique du Sud.
En tant qu’exercice d’utilisation d’un torrent de mots en vue de ne rien dire de substantiel, la déclaration de Stano couvrirait de fierté Sir Humphrey Appleby – le très nébuleux haut fonctionnaire des célèbres séries comiques britanniques Yes Minister et Yes Prime Minister (diffusées par la BBC dans les années 1980, NdT).
Malheureusement, toutefois, ceci n’a rien de comique, et le refus borné de l’Union européenne de réclamer des comptes à Israël coûte cher en vies palestiniennes.
J’ai transmis la réponse de Stano à Omar Shakir, le principal auteur du rapport de Human Rights Watch et en même temps directeur de l’organisation pour Israël et la Palestine.
« Nous avons hâte de nous engager avec l’UE et ses États membres en fonction de nos conclusions et recommandations »,
a écrit Shakir de façon plutôt diplomatique, faisant remarquer qu’à plusieurs reprises, l’UE
« a promis son engagement vis-à-vis des lois et mécanismes internationaux régissant les droits humains ».
« De ce fait, nous croyons fermement que, pour commencer, l’UE ferait bien de reconnaître la réalité de l’apartheid et de la persécution sur le terrain et, dès ce point de départ, de suivre les recommandations mises en exergue dans notre rapport »,
ajoutait Shakir.
Pourtant, en dépit de la reconnaissance croissante qu’Israël est un régime d’apartheid, l’UE, avec diplomatie, se met les doigts dans les oreilles, ferme les yeux et grogne aussi fort qu’elle peut de façon à éviter de voir et d’entendre ce qui se passe autour d’elle.
Jeudi, l’UE a annoncé la désignation d’un nouveau « représentant spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient », mandaté en vue de
« fournir une contribution active au règlement final du conflit israélo-palestinien en s’appuyant sur une solution à deux États ».
Sven Koopmans, un diplomate hollandais, remplacera sa compatriote Susanna Terstal qui, dans le même rôle, a organisé des réunions secrètes avec les groupes de pression israéliens et a répété publiquement des sujets de discussion antipalestiniens – tout en ne réalisant strictement rien en faveur de la « paix ».
Malgré son infatigable propagande sur la façon dont elle chérit les droits de l’homme, l’UE – en compagnie des États-Unis – est la principale facilitatrice de l’apartheid israélien et, en tant que telle, elle est donc une ennemie de la liberté, de la justice et de l’égalité pour les Palestiniens.
Publié le 29 avril 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine