“Israël”, dernière colonie européenne au bord de l’effondrement ?

Ce soulèvement, où les Palestiniens de 48 (*), se sont joints aux Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem pour affronter “Israël”, met-il en danger le projet colonial ?

20 mai 2021 - Des milliers de Palestiniens de nationalité israélienne assistent aux funérailles de Mohammed Kiwan, âgé de 17 ans, à Umm al-Fahm. Kiwan a été tué la nuit précédente après que la police israélienne lui ait tiré une balle dans la tête. Des témoins affirment qu'il était assis dans une voiture avec des amis lorsqu'il a été abattu. En onze jours d'attaques israéliennes, 232 habitants de la bande de Gaza ont été tués, dont 65 enfants, et environ 27 Palestiniens de Cisjordanie - Photo par : Oren Ziv/Activestills

20 mai 2021 – Des milliers de Palestiniens de nationalité israélienne assistent aux funérailles de Mohammed Kiwan, âgé de 17 ans, à Umm al-Fahm. Kiwan a été tué la nuit précédente après que la police israélienne lui ait tiré une balle dans la tête. Des témoins affirment qu’il était assis dans une voiture avec des amis lorsqu’il a été abattu. En onze jours d’attaques israéliennes, 232 habitants de la bande de Gaza ont été tués, dont 65 enfants, et environ 27 Palestiniens de Cisjordanie – Photo par : Oren Ziv/Activestills

 

Daniel Vanhove, 22 mai 2021

La Palestine historique a été brutalement violentée en son cœur : Jérusalem.

Ville déclarée “trois fois sainte” par les croyants des trois religions monothéistes: le judaïsme, le christianisme et l’islam, qui à ce titre, bénéficie d’un prestige mondial pour des milliards d’individus, qu’ils soient d’ailleurs croyants ou non. Toucher à Jérusalem, lieu symbolique s’il en est, constitue un point de non-retour, et tout responsable politique devrait le savoir.

Troisième lieu saint de l’Islam, la mosquée al-Aqsa située dans la partie-est de la vieille ville (1km²) est un lieu où la moindre profanation risque à n’importe quel moment de provoquer le réveil de la résistance palestinienne prête à tous les sacrifices pour en défendre la sacralité et l’inviolabilité. Tous les croyants du monde devraient en être reconnaissants aux Palestiniens. Et l’on n’ose imaginer le tollé dans nos médias européens que provoqueraient de telles barbares agressions d’une soldatesque au service de colons dans la dernière synagogue d’un village perdu.

Ce n’est pas la première fois que les lieux sont envahis et que l’Esplanade des mosquées fait l’objet de brutalités de la part des gouvernements de cet odieux régime et de ses forces armées: ce fut déjà le cas quand A. Sharon entouré de centaines de soldats, envahit l’Esplanade en 2000, y entraînant la 2è Intifada.

En outre, depuis des années, ce régime colonial a retiré le “droit de résidence” à près de 15 000 Palestiniens, faisant de ces derniers de nouveaux réfugiés venant s’ajouter aux millions qui le sont déjà depuis la Nakba de 1948. Pareillement, des pseudo-fouilles archéologiques y sont pratiquées fragilisant les édifices musulmans; ainsi de la multiplication des démolitions de maisons palestiniennes sous couvert de décrets à caractère xénophobes. Le but obsessionnel étant de judaïser la cité.

L’augmentation incessante des provocations à l’encontre des habitants palestiniens de Jérusalem pour les en chasser au profit de colons juifs s’est exercée de manière d’autant plus agressive et assurée que les décisions de l’administration Trump de confirmer la ville “capitale de l’État d’Israël” en y transférant l’ambassade US depuis Tel-Aviv n’a fait que libérer les pulsions racistes coloniales, et en retour exacerber les tensions toujours plus vives entre l’occupant et l’occupé.

Dernièrement l’expulsion manu militari de familles arabes que la Nakba de 1948 avait déjà dépouillées de tout, du vieux quartier “Sheikh Jarrah” jouxtant les lieux saints et où elles vivent légalement en échange de l’abandon de leur statut de “réfugiés” pour que s’y installent des colons juifs animés d’une haine maladive, a été l’épisode de trop dans ce “nettoyage ethnique” entamé depuis des décennies.

La résistance à tant de violence et de morgue coloniale s’est mobilisée et a été telle, qu’elle a embrasé la Palestine occupée jusqu’à Gaza. Un soulèvement inédit s’est propagé et la puissance occupante, si fière de ses méthodes dites “sécuritaires” et dont elle a fait son sanglant business tout autour de la planète, est complètement dépassée par l’ampleur et la détermination des Palestiniens.

Empêtré dans ses nombreux dossiers judiciaires, le calcul de B. Netanyahu pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir en optant pour la confrontation se révèle erroné, parce qu’au final il a réussi à unifier les factions d’une résistance souvent divisée, à l’exception de M. Abbas qui n’a rien trouvé de mieux que d’interdire toute manifestation contre l’occupant! Il faut dire qu’en termes de “résistance” il y a longtemps que ce dernier ne fait plus partie de l’équation et à ce stade cela n’a plus d’importance. Les comptes seront réglés plus tard, en interne.

Dans tous les cas, les conséquences de cette unité fragilisent un régime reposant depuis ses débuts sur une erreur historique, et qui récemment, après quatre élections en 2 ans, ne parvient plus à la cohésion, laissant apparaître de profondes fractures à tous niveaux. Sur le plan intérieur, en voici quelques exemples:

Le député israélien Zvi Howitzer, a affirmé sur la chaîne israélienne Canal13, que

«le Hamas a réalisé un exploit militaire stratégique en quelques jours» et que «la dissuasion israélienne, tant et tant valorisée, a été réduite en cendres aux yeux du public israélien».

Faisant référence au Hamas, il a ajouté qu’«au lieu de contrôler l’institution palestinienne par des élections, il l’a contrôlée dans une seule bataille et en quelques jours», estimant que «cette organisation représente également la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, et aussi les Palestiniens de l’intérieur occupés».

En outre, il a souligné que l’entité sioniste

«croit en une vision déformée de la réalité selon laquelle les colons peuvent vivre éternellement avec des combats (…). Un pays occidental en bonne santé ne peut pas coexister avec des émeutes (…) et ne peut survivre et élever ses enfants sous la menace permanente de missiles»,

a-t-il noté. Et d’ajouter:

«En 2009, notre vision était erronée. Aujourd’hui, nous sommes en 2021. Il est temps de réajuster notre vision en une vision opérationnelle», notant qu’«il n’y a pas de discussion stratégique au sein de l’entité d’occupation»

Et aussi:

«A. Lieberman a déclaré dans un article publié dans le journal ‘Maariv’, que “le 1er ministre B. Netanyahu conduit à la destruction du Troisième Temple, met en danger notre existence et nous conduit à la perdition’’, avertissant que «si telle est notre situation face au Hamas, alors quelle sera notre situation face au Hezbollah et l’Iran?»

De son côté et sans détour, le journaliste israélien Ari Shavit écrit dans le journal Haaretz:

«Les immigrants doivent retourner dans leur patrie ; Israël rend son dernier souffle. Nous sommes dans la plus difficile et la pire période de notre histoire, comme si nous n’avons d’autre choix que de reconnaître leurs droits et de mettre fin à l’occupation. Non seulement pratiquement, mais aussi mentalement et psychologiquement, tout est fini pour nous. Nous devons retourner vivre à San Francisco, Berlin ou Paris. »

Ce que ce journaliste déclare démontre à quel point l’insurrection en cours n’a rien à voir avec les précédentes Intifada. Nous assistons peut-être au dénouement de cette guerre coloniale soutenue par les pays occidentaux et leurs longues pratiques en la matière. Et ceux qui pensent que ce n’est-là qu’un nouvel “accès de violence” du Hamas qui sera mâté comme les précédents illustrent une suffisance occidentale ne pouvant imaginer que le modèle israélien dont ils ne cessent de vanter la modernité et l’exceptionnalisme, pourrait se voir anéanti par ceux qu’ils réduisent à l’appellation de “terroristes”.

Depuis plus d’un siècle, le projet colonial sioniste a développé une stratégie pour étendre son pouvoir sur la Palestine historique, multipliant les colonies dont aucune, il faut le répéter, n’est reconnue par le Droit international, afin d’y installer les plus fanatiques d’entre eux. Cet État hors-la-loi a ainsi étendu ses métastases partout au point de réduire la Palestine historique en un véritable patchwork sans continuité. Or, qu’a fait la ainsi nommée “Communauté internationale” pour s’y opposer? Rien! Sinon de répéter son habituel mantra à toute forme de résistance “qu’Israël a le droit de se défendre” ! Confondant ainsi de manière vicieuse et sournoise, l’occupant et l’occupé faisant passer l’agresseur pour la victime et l’agressé pour le coupable.

Et en pratique, derrière ces déclarations fallacieuses, multipliant les accords commerciaux et politiques avec l’agresseur, faisant d’ailleurs de nos gouvernements les complices directs de la colonisation israélienne qu’ils font mine de condamner.

Tout observateur des us et coutumes du monde politique sait l’hypocrisie qui définit ce microcosme et ne s’étonne plus de la dichotomie entre les déclarations et les actes, raison pour laquelle les acteurs de ce milieu ont perdu toute crédibilité, ce qui à terme, est une catastrophe pour tous les citoyens de ces États se déclarant abusivement “démocratiques”.

Ainsi du président Joe Biden déclarant prier pour la famille palestinienne de Rashida Tlaib, députée du même parti démocrate que lui, mais signant dans le même temps un nouveau chèque de 735 millions de dollars à “Israël” pour améliorer son stock d’armes – dont certaines prohibées – afin de continuer ce lent génocide entamé en 1947 mais qui s’accélère à chaque fois que l’agresseur met en route sa machine de guerre terrifiante semant toujours plus de dévastations.

Ce même Biden, qui s’est empressé de ramener près de 160 officiers US stationnés en Israël sur ses bases en Allemagne, tant la situation semble échapper au régime sioniste.

Sur le plan extérieur, de nombreux intervenants politico-médiatiques ont déjà commenté les faits pour nous enfumer de leurs analyses partiales toujours favorables au régime terroriste israélien. Confirmant, s’il le fallait encore, la nature profondément colonialiste qui les anime toujours. Ainsi, de l’inepte Tribune publiée dans ‘Le Figaro’ par une poignée de sionistes dont l’ineffable M. Valls qui ose un pitoyable numéro sur l’antisionisme v.s. l’antisémitisme et les ‘frappes chirurgicales’ de Tsahal sur i24!

Faut-il rappeler à ceux-là que tous les juifs ne sont pas sionistes et que tous les sionistes ne sont pas juifs ? A moins que ces prises de position ne cachent un racisme anti-arabe et anti-musulman qui n’ose dire son nom ? Et de même des différentes instances de l’UE qui

«condamnent les tirs de roquettes à partir de Gaza sur des populations civiles en “Israël” par le Hamas et d’autres groupes militants, qui sont totalement inacceptables et doivent s’arrêter immédiatement»,

et dans le même temps

«appellent “Israël” à cesser les activités de colonisation, de démolition et d’expulsions, y compris à Jérusalem-Est».

Chacun pourra apprécier l’usage distinct des mots: “condamnation” dès qu’il s’agit des Palestiniens; “appel” dès qu’il s’agit des Israéliens.

En tant que citoyen européen, comment accepter les attitudes et déclarations de ces responsables? Les gouvernements allemands et autrichiens ont interdit tout soutien populaire à la Palestine, allant jusqu’à hisser un drapeau israélien à côté du leur. Mais quoi d’étonnant de leur part, quand on sait les crimes commis contre des juifs au cours de la dernière guerre 39-45 dont “Israël” leur rappelle la dette à chaque occasion ? Et de la part d’E. Macron très tolérant au racisme latent qui rôde dans les rangs de LREM mais interdit de manifester à Paris pour soutenir la résistance palestinienne alors que le droit de manifester est constitutionnel : comment justifier ses condoléances au criminel Netanyahu pour “la perte des colons” éliminés par la résistance palestinienne, et n’avoir pas un mot pour le massacre de civils dont de nombreux enfants à Gaza ?

Ce qui se passe ces derniers jours en Palestine est de la plus haute gravité depuis la création de cet État artificiel qu’est “Israël”. Chaque instant peut être décisif. Il y a bien sûr les terribles bombardements sur la bande de Gaza, vaste camp concentrationnaire, servant de laboratoire aux forces armées israéliennes pour y tester en toute impunité leurs nouveaux armements qu’ils pourront vendre par la suite aux États du monde entier… dans ce qui est désormais qualifié de “business as usuel” aussi glaçant que criminel.

Mais il y a surtout et depuis très longtemps, un soulèvement massif des villes dites “mixtes” où les Palestiniens de 48 ayant pourtant la citoyenneté israélienne se sont solidarisés avec ceux de Jérusalem et de Gaza, ce qui pourrait bien participer à l’implosion de cet odieux dernier projet colonial européen et en précipiter enfin le terme! Sans oublier les corollaires que sont : la liquidation définitive du “Deal du siècle“, énième gadget du tandem Trump/Kushner présenté aux potentats arabes de la région qui se sont vautrés dans une traître “normalisation”; ni de l’effondrement du shekel et de pans entiers de l’économie du régime sioniste; de ses aéroports paralysés; de ses habitants terrés dans leurs abris pour ceux qui n’ont pas encore fui et vidé les colonies; ni surtout du coût exorbitant d’un “Dôme de fer” censé protéger la région et qui s’est avéré peu efficace malgré la propagande qui en est faite.

Les enjeux dans ce petit territoire sont susceptibles de bouleverser définitivement la domination coloniale occidentale au profit d’un retour à l’auto-détermination pour un peuple injustement spolié depuis 73 ans. Nul ne sait quelle en sera l’issue, mais les équilibres dans le monde peuvent en être renversés et pourraient confirmer d’un effondrement global de l’occident que l’on aperçoit depuis des années à travers les guerres entamées sur différents fronts dont il ne sort jamais plus gagnant.

Et quand B. Netanyahu se targue d’utiliser sa puissance militaire pour “donner une leçon à ceux qui ose défier” le régime, on lui souhaite d’en tirer lui-même une magistrale : fanfaronner face à l’Iran quand il vacille déjà par la seule résistance de Gaza devrait lui indiquer son erreur d’analyse.

Car qu’en serait-il si les alliés de la résistance au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen, et en Iran décidaient que le jour “J” est arrivé pour cet horrible régime ?!

Les appels récents à un cessez-le-feu ne pourront aboutir à une paix véritable que si les conditions de vie des Palestiniens, où qu’ils vivent, soient revues sur base d’une autre équation que celle d’un État-nation réservé aux seuls juifs. Tout éventuel arrêt des hostilités ne sera que temporaire si les modalités de la résistance ne sont pas prises en compte et appliquées.

Honneur et respect à la courageuse et exemplaire résistance palestinienne, elle est notre leçon, notre boussole, notre lumière. Et honte à ceux qui nourrissent toujours cette abjecte mentalité coloniale dominatrice, raciste et suprémaciste !

 

Publié le 22 mai 2021 sur Chronique de Palestine.

(*) Les Palestiniens qui vivent en « Israël »

Daniel Vanhove

Daniel Vanhove est Observateur civil et membre du Mouvement Citoyen Palestine (MCP). Il a publié aux Ed. Marco Pietteur – coll. Oser Dire : Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos âmes – 2004 et La Démocratie mensonge – 2008. Consultez son blog.

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