Burj al-Barajneh : Le Liban dans les ténèbres

Situé dans la périphérie de Beyrouth, Burj al-Barajneh comptait 3 500 réfugiés de Palestine lors de sa fondation en 1949. Bien que les terrains du camp – environ un kilomètre carré – ne se soient pas étendus, sa population a considérablement augmenté.  

Ces dernières années, on a estimé que Burj al-Barajneh comptait environ 50 000 habitants. Un grand nombre d’entre eux vivaient en Syrie mais ont été déplacés au cours de la guerre civile dans le pays.

Burj al-Barajneh, un camp de réfugiés palestiniens à Beyrouth, a été affecté par des pannes de courant tout au long de l’été. (Photo : Ahmad Abou Salem)

Amena ElAshkar, 4 octobre 2021

Umayma al-Ali a tenu sa portée d’entrée ouverte durant les mois d’été. Permettre à la brise de mer d’entrer dans sa maison signifiait au moins que sa pièce de séjour pouvait conserver sa fraîcheur. C’était le seul endroit où elle bénéficiait de la clarté du soleil.

Comme tant d’autres au camp de réfugiés de Burj al-Barajneh, Umayma al-Ali et sa famille ont trouvé les mois d’été extrêmement pénibles. Les prix des denrées alimentaires étaient élevés et elle ne pouvait se permettre d’acheter de la viande – un aliment de base dans son régime – qu’occasionnellement.

Elle a essayé de congeler la viande. Mais, en raison des pannes d’électricité, son freezer ne disposait pas d’une alimentation constante en courant.

« La viande s’est dégelée plusieurs fois mais nous l’avons quand même mangée, de toute façon »,

dit-elle.

« Je sais que ce n’est pas bon pour la santé. Mais, vu le prix que je l’ai payée, j’aurais trouvé très pénible de la jeter. »

Devenir végétarienne ne ferait pas une grande différence, a-t-elle ajouté – en riant comme pour prouver que son sens de l’humour reste intact en dépit de toutes ces restrictions.

« Pendant ces journées de chaleur, les légumes auraient pourri en un rien de temps »,

a-t-elle conclu.

Umayma al-Ali a passé une bonne partie de l’été dans sa pièce de séjour. (Photo : Ahmad Abou Salem)

Du fait que les autorités publiques ne fournissaient que très peu de courant, bien des résidents de Burj al-Barajneh ont dû se débrouiller avec des générateurs qu’ils possèdent en privé. Les générateurs sont surtout utilisés pour fournir de l’électricité pour le camp pendant la nuit.

Vu les immeubles de plus en plus hauts, il fait sombre même pendant la journée, dans les ruelles étroites de Burj al-Barajneh. Dans un quartier du camp appelé al-Kabri, quelques hommes jouent aux cartes dans un coffee shop où il fait très sombre. Tout près, deux ou trois femmes sont assises près d’un pas de porte dans une ruelle. Ces femmes tiennent une petite épicerie.

 

« Personne ne se soucie de nous »

Alia Beraqji, 60 ans, essaie de se rafraîchir en utilisant un morceau de carton en guise d’éventail.

« Le Liban a des problèmes d’électricité depuis aussi longtemps qu’on s’en souvienne »,

dit-elle

« Mais cette fois, c’est de loin la pire de toutes. Ils ne sont pas près de résoudra l’affaire d’ici peu. Le chaos dans le pays va de mal en pis. Et le pire, c’est que personne ne se soucie de nous ni ne nous demande ce que nous en pensons. »

Situé dans la périphérie de Beyrouth, Burj al-Barajneh comptait 3 500 réfugiés de Palestine lors de sa fondation en 1949. Bien que les terrains du camp – environ un kilomètre carré – ne se soient pas étendus, sa population a considérablement augmenté.  

Ces dernières années, on a estimé que Burj al-Barajneh comptait environ 50 000 habitants. Un grand nombre d’entre eux vivaient en Syrie mais ont été déplacés au cours de la guerre civile dans le pays.

Pendant des décennies, il a été interdit aux réfugiés palestiniens de travailler au Liban. Bien que certaines restrictions aient été levées, les réfugiés sont toujours confrontés à une importante discrimination dans l’accès à l’emploi.

Certains réfugiés se sont arrangés pour survivre financièrement en ouvrant des épiceries dans les camps. Les coupures de courant ont provoqué d’importants problèmes pour les gérants et le personnel de ces magasins.

Pour bien des épiceries, les produits laitiers représentaient une proportion tangible des revenus. Pourtant, avec les frigos privés d’une alimentation constante en électricité, les stocks de lait, de yaourt et de fromage ne peuvent être gardés au frais très longtemps.

Et cela vaut aussi pour la viande. Qasem al-Muhammad tient une petite boucherie dans un quartier de Burj al-Burajneh appelé Haïfa. Al-Muhammad, sa femme et leurs enfants dépendent du modeste revenu de leur étal. Désormais, il est fermé et al-Muhammad ne sait pas très bien quand il pourra rouvrir.

« Comment sommes-nous censés conserver la viande s’il n’y a pas de réfrigération ? »,

dit-il.

« Nous ne pouvons vendre de la viande qui n’a pas été conservée dans des conditions saines. Je faisais fonctionner mes frigos à l’aide d’un générateur. Mais, aujourd’hui, le carburant est très rare et très cher ! »

Saleh Wardeh a compté sur la lumière diffuse du soleil pour travailler dans son restaurant à falafels. (Photo : Ahmad Abou Salem)

Saleh Wardeh tient un petit restaurant à falafels dans le camp. Avant les coupures de courant, il pétrissait habituellement entre 15 et 20 kilos de pâte à falafels par jour. Aujourd’hui, il n’en fait plus que 5 kilos environ. Nous étions en train de bavarder quand deux filles se sont approchées et ont demandé de l’hummus et de la sauce aillée. 

Saleh Wardeh n’a pas été à même de leur donner ce qu’elles demandaient : Il a cessé de confectionner ces deux mets. Il ne dispose que d’une lumière très diffuse dans son restaurant. Il ne voit pas comment il pourrait reprendre la production de la même quantité de nourriture qu’auparavant, tant que la crise de l’électricité ne sera pas résolue.

« Nous n’avons pas la moindre solution alternative »,

dit-il.

« Il y a des gens qui parlent d’énergie solaire. Mais, dites-moi, qui pourrait se payer ça, ici ? C’est bien trop cher ! »

 

« Catastrophique »

La crise économique du Liban est l’une des pires de l’histoire mondiale depuis le milieu du 19e siècle, s’il faut en croire une estimation de la Banque mondiale publiée en juin dernier.  

Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 557 pour 100 ces deux dernières années et certains médicaments essentiels ne sont plus disponibles.  Alors que, tout récemment, l’Iran a fourni du carburant au Liban – via la Syrie – et a promis d’autres livraisons, la crise reste aiguë.

Les pannes d’électricité posent de graves problèmes aux installations libanaises de soins de santé, qui sont on ne peut plus sollicitées en raison de la pandémie de Covid-19.

Supervisé par le Croissant-Rouge palestiniens, l’hôpital de Haïfa (nom d’un quartier du camp de Burj al-Barajneh, NdT) propose des services vitaux aux réfugiés de la région de Beyrouth. Alors que l’hôpital dispose de son propre générateur, le maintenir en état de marche a été compliqué, avec ces pénuries de carburant. Le personnel de l’hôpital n’a pas eu d’autre choix que de réduire le nombre d’opérations qu’il effectue.

La chirurgie d’urgence bénéficie de la priorité, mais les autres procédures n’ont pas progressé. Un activiste communautaire appelé Abu Omar prétend que donateurs devraient en faire davantage pour aider l’hôpital.

« Le seul hôpital qui nous vient en aide à Beyrouth est confronté à de graves difficultés »,

dit-il.

« Pourquoi n’y a-t-il aucune organisation pour lui fournir le carburant dont il a besoin ? »

À moins de trouver une solution à la crise de l’énergie, la provision d’eau pourrait à son tour être menacée bientôt, a mis en garde Abu Omar, et d’ajouter :

« Cela aura des conséquences catastrophiques pour notre peuple. »


Publié le 4 octobre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Amena ElAshkar

Amena ElAshkar

Amena ElAshkar est une journaliste et photographe qui vit au camp de réfugiés de Burj al-Barajneh, à Beyrouth.

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