Ghassan Kanafani et la tente de la résistance annonçant la victoire et le retour

“Vous pensez que l’histoire est terminée et c’est alors qu’elle recommence” (Ghassan Kanafani)

 

Ghassan Kanafani

 

Khaled Barakat, 12 juillet 2023 (Texte publié à l’origine dans Al-Akhbar)

 

La victoire historique de la résistance nationale et islamique au Liban, dirigée par le Hezbollah en mai 2000, et la libération du Sud-Liban par la force des armes ont été l’étincelle d’un prélude manifeste au lancement du soulèvement armé palestinien en septembre 2000, qu’on a typiquement baptisé l’Intifada Al-Aqsa ou la « Seconde Intifada ». Ce soulèvement a coûté à l’ennemi plus de 1 100 vies sionistes et 4 500 blessés, et l’immortelle bataille du camp de réfugiés de Jénine, en avril 2002, fait partie de ses plus importants résultats, étapes et expériences. Le nom de Jénine, de cette bataille, a été gravé comme un tatouage dans la mémoire collective du peuple palestinien, avec toutes ses réussites et ses pertes, ainsi que les connaissances et les leçons tirées de cette glorieuse confrontation.

À l’époque, la direction sioniste ne s’attendait pas à ce que Sayyed Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, apparaisse au moment de la bataille de Jénine, en 2002, pour annoncer le désir de la résistance de restituer un officier sioniste capturé en échange de la levée du siège des combattants palestiniens encerclés dans le camp. La déclaration proposait ce qui suit : la libération du colonel sioniste en échange de l’arrêt immédiat des attaques contre les combattants du camp de Jénine et de la fin du siège. À l’époque, la direction sioniste avait refusé cette proposition.

Mofaz, et Sharon au-dessus de lui, étaient convaincus que l’armée sioniste pouvait gagner la bataille, qu’ils avaient nommée « Muraille défensive ». Quant aux forces hostiles à la cause palestinienne et à leurs agents aux niveaux international, régional, arabe et palestinien, ils prévoyaient de mettre un terme à l’ère de Yasser Arafat et d’introduire à sa place Mahmoud Abbas, Mohammed Dahlan et leurs partenaires. Le général américain Keith Dayton fut chargé de restructurer les services sécuritaires palestiniens ainsi que leur doctrine et leur approche, dans l’illusion qu’il allait pouvoir engendrer à sa guise un « Palestinien nouveau » grâce à un tel plan !

La situation des fedayin, les combattants de la résistance du camp de Jénine en 2002, dirigés par les deux commandants Mahmoud Tawalbeh et Abu Jandal, était similaire à celle du cheikh arabe révolutionnaire de la révolution palestinienne de 1936-1939, le martyr Izz al-Din al-Qassam, et de ses camarades qui combattirent jusqu’à la dernière cartouche dans le village de Ya’bad (district de Jénine). Et, depuis cette bataille, Jénine a repris le nom du cheikh pour s’appeler Jénine al-Qassam. À l’époque, comme aujourd’hui, les gens de Jénine livraient un combat amer, une lutte ouverte contre l’invasion du colonisateur sioniste. Ils étaient poursuivis par les agents d’une autorité fantoche dépendante créée par les Britanniques, qui leur avaient donné des « quartiers généraux », les qualifiant de « factions de la paix » et mettant en place leurs agents sous la direction de Pasha Fakhri al-Nashashibi.

Vingt ans se sont écoulés depuis la bataille du camp de Jénine en 2002 et le camp a mordu sur ses blessures, ses rêves et ses chagrins, mais la révolution palestinienne et son intifada permanente ne faiblissent que pour mieux se relever ensuite. Le feu du soulèvement continue de couver et de brûler lentement sous les cendres, dans les écoles, dans le Théâtre de la Liberté, au rond-point Abu Ali Mustafa Roundabout, dans les prières et les hymnes des mosquées et églises de Jénine et dans les photos et affiches des martyrs fixées sur les murs, avant de gagner en intensité et de faire rage pour finir par exploser. Quant à la politique de « brûlage des consciences » que l’ennemi voulait appliquer sous forme d’état quotidien permanent et éternel aux Palestiniens de Jénine, elle s’est aujourd’hui retournée contre l’ennemi à chaque balle, chaque explosion, chaque cri de résistance lancés dans la bataille du camp de Jénine en 2023, par ceux qui étaient encore dans les bras de leur mère en 2002 – et dont certains n’étaient pas même encore nés.

C’est dans ce contexte spécifique que reviennent les paroles du martyr Ghassan Kanafani :

« Vous pensez que l’histoire est terminée et c’est alors qu’elle recommence. »

Et, de même que l’histoire de Jénine en 1937, et celle de 2002 n’ont pas eu de fin, l’histoire de Gaza ne s’est pas terminée non plus, puisque la résistance est restée, opiniâtre et bien éveillée, tout en développant ses capacités et son expérience malgré le siège, l’agression et les guerres, dans le même temps que la Cisjordanie palestinienne vivait dans une situation de « calme » sans précédent tout en accumulant les déceptions du côté d’une autorité qui qualifiait sa subordination et sa trahison de « coordination sécuritaire ». La terre est rongée et accaparée partout en Palestine occupée, du fleuve à la mer, et la roue du peuplement continue de tourner avec chaque nouvelle colonie construite par les bulldozers de l’ennemi. Des milliers de maisons d’Arabes palestiniens sont démolies, parfois par les « lois » de l’occupation, d’autres par les punitions collectives, les bombes et les avions F-16.

En 2006, dans le Sud-Liban, une fois de plus, la résistance a mené un combat majeur à l’issue duquel elle a obtenu la victoire historique de juillet en défaisant l’agression et ses objectifs et en enterrant en même temps le projet d’un « Moyen-Orient nouveau » envisagé par Condoleezza Rice. Et, une fois de plus, le berceau populaire de la résistance avait payé un prix lourd en vies et en sang, en compagnie de tous les faubourgs méridionaux et de la moitié des villages du sud.

Durant la même période, à Gaza, la résistance palestinienne menait une nouvelle bataille, dans un genre de confrontation sans précédent avec les forces par procuration de l’occupation. Le monde ne respectait pas le choix des masses populaires palestiniennes qui avaient donné leurs votes à la résistance palestinienne dans le jeu des élections sous occupation en 2006, et nous connaissons tous très bien le reste de l’histoire. Il s’en était suivi le prétendu « coup d’État » ou « décision militaire » qui avait eu lieu dans la bande de Gaza en 2007. En fait, ce n’avait été ni un coup d’État ni une décision militaire, mais plutôt une nouvelle victoire importante pour la résistance face à l’entité sioniste et au plan de Dayton. Et, si la résistance palestinienne était restée confuse et si elle s’était tout simplement contentée de regarder quand la conspiration contre elle se déroulait en secret et en public, elle n’aurait pas atteint son niveau d’aujourd’hui, sur le plan de sa force et de ses armements, qui sont devenus profondément inquiétants pour l’entité ennemie et ses soutiens.

Cette année, le 51e anniversaire du martyre de l’écrivain et dirigeant Ghassan Kanafani coïncide avec la victoire du camp de Jénine dans le combat apparemment impossible mené par les jeunes des Brigades, ceux qui refusent la sponsorisation et le contrôle. Les fedayin « n’ont que faire de la sollicitude de leurs mères », avait dit Kanafani.

L’anniversaire coïncide avec la tente de la résistance dressée en signe de victoire au sommet d’une haute colline du sud du Liban, et qui diffuse la conscience, la lumière et le défi tout en surplombant la Palestine occupée. C’est la tente de la résistance qui annonce le retour et la libération. C’est ici, précisément, que la sagesse de la vieille Palestinienne du roman de Kanafani, Umm Saad, apparaît une fois encore avec son proverbe révolutionnaire :

« Une tente n’est pas comme les autres. »

Oui, la tente du refuge forcé, des tourments et de l’humiliation ne peut être la même tente qui abrite les fedayin et sous laquelle se rencontrent ceux qui consacrent leur vie à la lutte, sans autre but que la libération de leur terre et leur retour, la défense des droits et de la dignité de leur peuple. La tente de la résistance accueille tout le monde, depuis le Sud-Liban jusqu’au sud de la Palestine et bien au-delà.

Le souvenir du martyre de Kanafani, le 8 juillet 1972, quand il est mort en martyr dans le quartier de Hazmieh à Beyrouth, en compagnie de sa nièce, Lamis Najm, 17 ans, est là pour nous dire :

Quelque chose de grand naît aujourd’hui dans les tunnels et tentes de la courageuse résistance dans le Sud-Liban, à Gaza et à Jénine, et il y a un pont et une étreinte qui s’étendent entre le Sud-Liban et toute la Palestine : une petite tente, d’où naîtra le grand projet de libération arabe, de l’océan au golfe.

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Publié le 12 juillet 2023 sur Masar Badil, le Mouvement alternatif de la voie révolutionnaire palestinienne

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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