Rifka Al-Amya, militante BDS de Gaza, écrivaine sur la libération des femmes

Rifka Al-Amya est une militante de Gaza. Elle a écrit des textes en arabe sur la libération des femmes, en plus d’être membre de la Campagne pour un État unique dans la Palestine historique (ODSC)

Rifka Al-Amya

Rifka Al-Amya (via ICAHD UK)

Rifka, avez-vous grandi dans une famille de réfugiés ? Parlez nous de votre famille

Oui, mon père vient d’une famille qui a subi un déplacement forcé du village de Zarnouqa, dans le district de Ramlah, et la famille de ma mère a aussi été déplacée de force du village de Qatra, également situé dans le district de Ramlah. Mes parents sont tous deux nés réfugiés dans le camp de réfugiés de Nusairat, au centre de la bande de Gaza et je vis maintenant à Gaza City. J’ai deux filles qui ne savent pas encore que nous vivons dans la plus grande prison du monde à ciel ouvert. Et j’effectue un travail bénévole avec l’équipe de Gaza Voice (La Voix de Gaza) composée de militants de BDS qui croient dans le boycott d’Israël de l’apartheid comme méthode de lutte ; la plupart d’entre nous soutiennent la solution d’un État unique comme solution finale et juste de la cause palestinienne.

 

Qui étaient vos modèles lorsque vous grandissiez ?

Depuis les années de mon adolescence, j’ai ressenti que je tends à adhérer à la pensée critique, par opposition au mode de vie conservateur et traditionnel, qui me paraît négatif à tous niveaux, notamment aux niveaux politique et social. J’admirais toutes les personnalités révolutionnaires qui ont combattu pour la justice et la liberté : Nelson Mandela, Che Guevara, Gamal Abdel Nasser, Hoda Shaarawy et Nawal El Saadawi—pour n’en mentionner que quelques-uns.

 

Que s’est-il passé dans votre vie pour vous pousser à vous exprimer sur les problèmes des femmes ? Était-ce via la musique ou les livres ou par l’intermédiaire d’autres femmes palestiniennes ?

Les livres sont ce qui a le plus marqué ma prise de conscience et m’ont ouverte davantage aux questions de liberté et de justice, non seulement pour les femmes mais pour tous les groupes subalternes.

Et aussi je n’étais pas à l’aise en voyant des publicités à la télévision qui confinent les femmes dans des formes spécifiques de beauté et de voir comment cela affecte la vision que les femmes ont d’elles-mêmes, leurs choix et leurs destinées, comme le mariage par exemple.

Plus précisément, en tant que femme palestinienne et arabe, je ressentais que les questions concernant les femmes, qui continuent à se poser sans solution radicale, sont intimement mêlées aux questions de classe, du racisme et du colonialisme. Je crois encore que l’élimination de ces problèmes doit se faire de façon concomitante et immédiate pour résoudre la question des femmes étant donné, comme Angela Davis le pointe, que la justice est indivisible.

Aussi je ne peux m’imaginer lutter en tant que Palestinienne pour mon droit de retourner dans mon village qui a été l’objet d’un nettoyage ethnique, pour le droit de mon peuple à s’autodéterminer, pour mon droit à la liberté de me déplacer et de voyager, et pour mon droit à mettre fin à ce siège injuste, pour mon droit à communiquer avec les Palestiniens où qu’ils se trouvent  sur la terre de la Palestine historique et en dehors, et pour mon droit à de l’eau potable et à des médicaments pour mes enfants, tout cela alors que je suis toujours opprimée en tant que femme par le patriarcat capitaliste  comme toutes les femmes  dans le monde. Et si la Palestine souffre plus que d’autres pays, c’est à cause des politiques coloniales et racistes, que je ne sépare pas de l’analyse de la situation des femmes dans les pays marginalisés et colonisés.

En d’autres termes, comment puis-je réclamer la libération des femmes dans une région où tous les êtres humains sont opprimés et, en même temps comment puis-je, en tant que Palestinienne, réclamer la libération, du colonialisme alors que je suis encore victime du patriarcat et du système capitaliste ?

 

Êtes-vous reliée à d’autres groupes féministes dans différentes parties du monde afin de pouvoir vous sentir partie prenante d’un mouvement mondial ?

Dans mon pays, je n’ai pas tellement voulu communiquer avec la plupart des organisations féministes financées par l’Occident, qui prolifèrent à cause de leur libéralisme sélectif dans la façon de poser les problèmes des femmes en Palestine et l’aide financière superficielle qui leur est fournie, incapable de produire une solution juste et fondamental ; elles évitent de poser le problème de l’oppression pratiquée par l’État d’apartheid et le colonialisme de peuplement israélien, de peur de perdre leur financement – sans parler des autres problèmes qu’elles évitent tels que classe et race.

De façon générale, je ne me considère pas comme féministe au sens strict théorique du mot, mais j’essaie de faire partie de mouvements qui recherchent la justice d’une manière intersectionnelle et c’est ce qui m’a fait être volontaire dans le mouvement BDS qui croit dans une justice intersectionnelle pour tous les groupes marginalisés dans le monde, dont les femmes, et qui rejette toutes les formes d’exclusion.

Une partie de mon travail, avec des femmes activistes de Gaza, consiste principalement à orienter les femmes et à élever leur niveau de conscience sur l’articulation entre les situations nationale et sociale et sur l’importance de leur rôle de et leur participation. Par exemple, nous avons travaillé à l’écriture d’un manifeste pour le boycott de produits israéliens par les femmes et pour cela nous avons communiqué avec d’autres associations de femmes pour faciliter l’accès des femmes de différents milieux. Nous avons aussi produit un podcast dans lequel nous avons accueilli des femmes palestiniennes de différents lieux dans le monde. Par exemple nous avons invité l’universitaire Rabab Abdel Hadi de l’Université de Californie à Los Angeles à parler de la Palestine en tant que question féministe ; le Dr Fayhaa Abdulhadi a parlé de l’histoire orale du féminisme à laquelle elle a contribué ; la spécialiste du genre, Safaa Tamish a parlé de l’importance de l’éducation du genre pour les enfants et les adolescents ; et l’universitaire Amira Silmy de l’Université de Birzeit a parlé de la littérature de résistance.

Et tout cela est lié au fait que je crois en la cause de la libération des femmes comme à celle du peuple palestinien.

 

Vous avez dit que les femmes palestiniennes sont tout à fait capables d’imaginer une perspective plus juste de votre avenir, avec pour but un État démocratique unique pour tous ses citoyens dans la Palestine historique. Pourquoi ce sentiment est-il aussi fort chez vous ?

L’expérience d’autres peuples colonisés et opprimés nous le montre. Nous, femmes palestiniennes, avons étudié la vie de femmes noires et nous avons décidé qu’il est temps maintenant pour nous de parler et d’adopter un féminisme intersectionnel parce que les femmes blanches ne devraient pas avoir l’apanage de la parole étant donné que trop souvent elles négligent la race, la classe et, encore plus important, le colonialisme. Le féminisme intersectionnel reconnaît que le patriarcat, le racisme et le colonialisme sont tous des forces oppressives qui ont différentes origines mais dont le but commun est de déshumaniser « l’Autre ». Nous en avons conclu qu’une vision politique claire pour notre propre résistance palestinienne est nécessaire pour arriver à forcer les sionistes à nous présenter des excuses historiques.

De plus en plus le gens reconnaissent que les sionistes ont créé un État d’apartheid manifesté dans la suprématie juive qui fonctionne selon le même esprit raciste qui s’est manifesté dans l’Afrique du Sud de l’apartheid et dans le Sud des État Unis. Nous nous demandons ce qui est nécessaire à notre propre libération. Nous savons que les Palestiniens sont passés par plusieurs étapes dans notre lutte. Initialement, les Palestiniens ont appelé à la libération complète de toute la Palestine historique mais ensuite nous sommes tombés dans le piège consistant à accepter la soi-disant solution transitoire qui a conduit à compromettre nos droits fondamentaux via les Accords d’Oslo qui ont été, je pense, un désastre. Dans ce processus, l’Autorité de la Palestine a été établie comme une étape vers l’autogouvernement. Je crois que tout cela était une tentative de la communauté internationale pour liquider notre cause et promouvoir la dite « solution à deux États ».

 

Pouvez-vous expliquer cela plus en détails ?

En 1947, le peuple palestinien a rejeté le plan de partition qui aurait donné à la Palestine 43% de la Palestine historique. Selon les Accords d’Oslo, les Palestiniens n’en auraient eu que 22%, ce qui est encore moins. Cela ne tient pas compte des droits des citoyens palestiniens d’Israël de l’apartheid et échoue à aborder la souffrance de millions de réfugiés vivant dans des camps et en diaspora. En d’autres termes, la solution à deux États réduit le peuple palestinien uniquement à ceux des territoires de 1967, c’est-à-dire la bande de Gaza et la Cisjordanie. De plus, Israël de l’apartheid a rendu impossible la solution à deux États par l’extension des colonies illégales de Cisjordanie, par le siège imposé à la bande de Gaza et par l’annexion de Jérusalem en la déclarant sa capitale éternelle, tous éléments qui instaurent des faits irréversibles sur le terrain. Et surtout, cet État disperse le peuple palestinien et le confine dans des cantons isolés, chacun avec ses problèmes qui ne convergent pas avec ceux des autres. Tout d’abord, nous avons le droit juridique de reprendre notre projet de libération et de nous battre pour la libération de toute la Palestine historique, du Jourdain à la mer.

 

Comment le changement peut-il se produire, particulièrement à un moment où la question de la Palestine n’est pas un sujet d’une importance majeure aux yeux des gouvernements ?

Tout comme le régime d’apartheid en Afrique du Sud a été défait et que les Sud-Africains ont élu Nelson Mandela, premier président noir après ses 27 années d’enfermement comme prisonnier politique, nous aspirons à défaire l’apartheid israélien et à l’abandon des privilèges coloniaux sionistes et c’est ce que nous devons faire même si la Palestine n’est pas dans l’actualité.

Je sais que ce scénario peut sembler utopique, considérant que notre vision de la libération a été pervertie par l’idéologie excluante de la solution à deux États. Pour autant, la solution d’un État démocratique unique est la seule réponse pouvant garantir nos droits humains fondamentaux, dont le droit au retour et le droit à l’autodétermination. Cette solution peut être atteinte par une alliance entre Palestiniens et Israéliens antisionistes, qui soutiennent le droit au retour et sont disposés à abandonner leurs privilèges de descendants des colonisateurs, de façon à partager la lutte pour un meilleur avenir pour tous. Cet objectif peut aussi être atteint avec le soutien des amoureux de la liberté dans le monde, de la société civile internationale et en intensifiant la résistance à la base, avec le mouvement BDS à direction palestinienne.

Avec ce type de résistance, non seulement nous pourrons libérer le peuple palestinien de l’oppression coloniale, mais nous libérerons aussi nos oppresseurs dont la conscience collective, admettons-le, ne sera pas aisément pénétrée car ils ne vont pas abandonner volontiers leurs privilèges de colonisateurs. Nous pouvons toutefois atteindre la victoire par nos efforts collectifs et par la tradition palestinienne de résistance, avec une vision politique claire qui bénéficie d’un large soutien populaire et des enseignements d’autres mouvements de libération, du droit international et des campagnes mondiales de solidarité palestinienne.


Publié le 23 septembre 2021 sur ICADH UK

Traduction SF pour BDS France Montpellier

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