« Nous ne cesserons pas de travailler », disent les organisations désignées comme « terroristes »

Les organisations désignées comme « terroristes » expliquent à +972 Magazine pourquoi les allégations israéliennes ne sont pas seulement dénuées de fondement, mais qu’elles correspondent en outre à un acte de harcèlement, voire de persécution politique. 

Sahar Francis, directrice d’Addameer, photographiée dans les bureaux de l’organisation à Ramallah, en Cisjordanie, le 19 février 2019. (Photo : Mohannad Darabee pour +972 Magazine)

Yuval Abraham, 25 octobre 2021

 Quand, la semaine dernière, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a signé un ordre exécutif cataloguant six organisations palestiniennes pour les droits de l’homme comme des « organisations terroristes », le gouvernement ne s’est même pas soucié de camoufler la chose sous un vernis de procédure régulière. D’un rapide trait de plume, les ONG — Al-Haq, Addameer, le centre Bisan Center, Defense for Children International-Palestine, l’Union des comités de travail agricole et l’Union des comités des femmes palestiniennes — ont été mises hors la loi séance tenante sans le moindre procès ni même l’occasion de répondre aux accusations portées contre elles.

Qui plus est, au lieu de remettre en question la nature douteuse de cette démarche, la grande majorité des médias israéliens ont simplement reproduit textuellement la déclaration officielle du ministre de la Défense sur la question, laquelle accusait les six organisations de servir d’« armes » au profit du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) — un parti et mouvement marxiste-léniniste laïque catalogué comme organisation terroriste par Israël.

Le gouvernement a prétendu que les ONG blanchissaient des fonds destinés à des fins humanitaires et qu’elles les transféraient en lieu et place à des fins militaires, et il a accusé en outre des employés des organisations d’être affiliés au FPLP ou de l’avoir été dans le passé. Des groupes israéliens d’extrême droite, eux aussi, ont tenté pendant des années de définir des connexions entre ces organisations et le FPLP, dans un effort en vue de court-circuiter leur financement à l’étranger.

La décision du ministère de la Défense s’appuyait sur des renseignements récoltés par le Shin Bet et non révélés au public par ce dernier. Mais, selon des sources au fait de l’affaire sur le plan juridique, les preuves de l’agence seraient basées sur le témoignage d’un seul employé congédié pour corruption par l’une des organisations. 

Toutefois, il existe des quantités de preuves contredisant le rapport du Shin Bet. Ces cinq dernières années, sous les pressions du gouvernement israélien et des ONG pro-israéliennes, plusieurs gouvernements européens et des fondations privées qui fournissent des fonds à la société civile palestinienne ont mené des audits très minutieux autour de chacune des six organisations. Jamais il n’a été trouvé de preuve d’agissements louches.

Des employés d’Addameer après un raid des forces israéliennes dans leur bureau à Ramallah, en Cisjordanie, le 11 décembre 2012. (Photo : Issam Rimawi / Flash90)

 

De plus, les organisations ciblées brossent elles-mêmes un tableau totalement différent des allégations exprimées par le Shin Bet — tout en fournissant de nombreuses preuves afin d’étayer ce même tableau. 

Je me suis entretenu avec les responsables ou avec des cadres de cinq des ONG. Tous sont des activistes bien en vue, des avocats et des intellectuels qui critiquent vertement à la fois le régime israélien et l’Autorité palestinienne [l’Union des comités des femmes palestiniennes a refusé de s’exprimer dans Local Call, le site frère, en hébreu, de +972 et où une première version de cet article avait d’abord été publiée]. Rejetant avec véhémence les accusations d’Israël, ils décrivent ces dernières attaques comme faisant partie de la très longue persécution politique par Israël de la société civile palestinienne afin de couvrir son travail d’une chape de silence. 

 

« Nous n’avons rien à cacher »

« Nous sommes la seule organisation des droits de l’homme qui se concentre sur les enfants en Palestine »,

déclare Ayed Abu Eqtaish, le directeur du programme de responsabilisation de Defense for Children International – Palestine (DCI-P), qui a été fondée en 1991.

« Notre tâche a deux volets »,

explique-t-il.

« Le premier est juridique : Nous représentons environ 200 enfants par an devant les tribunaux israéliens et palestiniens. Le second volet s’appuie sur la politique : Depuis 2000, nous avons répertorié le meurtre de plus de 2 000 enfants palestiniens des œuvres des forces militaires israéliennes, particulièrement à Gaza. »

Le briefing du ministère de la Défense distribué aux journalistes suite à l’annonce de Gantz ne précisait pas la raison spécifique pour laquelle DCI-P, une organisation des plus respectées active au sein des commissions de l’ONU et à Capitol Hill, avait été cataloguée d’« organisation terroriste ».  

« Nous avons été attaqués dans le passé, mais cela s’était produit par le biais de groupes d’extrême droite, tel NGO Monitor »,

ajoute Abu Eqtaish, faisant allusion à l’organisation qui suit à la trace, dans le but de les priver de leurs ressources financières, les activités des organisations de la société civile palestinienne et de gauche qui critiquent la politique israélienne. NGO Monitor prétend que DCI-P

« dirige une campagne qui exploite les enfants afin de promouvoir la diabolisation d’Israël et elle est liée à l’organisation terroriste FPLP. Un très grand nombre de ses allégations sont fausses et font partie des tentatives en vue de diffamer Israël via des allégations de ‘crimes de guerre’ et de promouvoir BDS ».

 

Extrait d’une prise de vue par CCTV montrant des soldats israéliens confisquant des équipements informatiques et des fichiers clients au cours d’un raid dans les bureaux de Defense for Children International – Palestine à Al-Bireh, en Cisjordanie, le 29 juillet 2021. (Photo : DCI-P)

 

Abu Eqtaish qualifie d’« absurdes » les accusations portées contre DCI-P, insistant sur le fait qu’il n’y a pas de preuve que son organisation finance le FPLP.

« Israël et des organisations d’extrême droite ont approché tous les gouvernements et fondations qui nous financent pour contester notre légitimité en tant qu’organisation. Au lieu de nous préoccuper de dénoncer les violations de l’occupation à l’encontre des enfants, nous avons été forcés de nous défendre. »

Selon Abu Eqtaish, toutes les institutions qui financent DCI-Palestine — dont les gouvernements italien et danois, ainsi que l’Union européenne – ont mené des enquêtes indépendantes à propos des allégations israéliennes dans le passé.

« Elles nous ont demandé des preuves que les allégations étaient sans fondement et nous les leur avons fournies. Nous n’avons rien à cacher. Tous nos rapports financiers sont publics. »

Un tribunal britannique a également découvert que les allégations étaient fausses. En 2020, le tribunal ordonna à UK Lawyers for Israel (Avocats pour Israël en Grande-Bretagne), une organisation qui opère de la même manière que NGO Monitor, de revenir sur son accusation prétendant que DCI-P soutenait le FPLP ou transférait des fonds sur son compte. Le tribunal exigea aussi de la part de UK Lawyers for Israel qu’elle déclare publiquement que DCI-P n’avait pas « de liens étroits actuellement avec quelque organisation terroriste que ce soit et qu’elle n’en soutenait aucune, ni sur le plan financier, ni sur le plan matériel. » 

« Ils étaient incapables d’atteindre leurs objectifs en recourant à cette stratégie, et c’est pourquoi ils en ont changé »,

déclare Abu Eqtaish.

« En juillet, les forces armées ont fait irruption dans les bureaux de notre organisation à Ramallah et ont confisqué des ordinateurs et des dossiers juridiques concernant des enfants. Nous nous sommes adressés au tribunal militaire pour exiger que les dossiers nous soient rendus. Le tribunal a refusé. »

Et de conclure :

« Là, maintenant, au sein de l’organisation, nous essayons de comprendre quelles sont les prochaines démarches qu’il nous faudrait entreprendre. Nous savons que ces allégations n’ont aucun fondement. L’attaque contre l’organisation est surtout une attaque contre ses objectifs : dénoncer les crimes de l’occupation envers les enfants et inviter la communauté internationale à sanctionner Israël pour ces mêmes crimes. »  

 

« Tout le monde sait où va le moindre shekel »

Créée en 1979, Al-Haq est la plus ancienne et la plus grande ONG palestinienne des droits humains et de leur défense dans les territoires occupés. Selon Hisham Sharbati, un collaborateur de terrain d’Al-Haq qui travaille depuis 12 ans pour l’organisation, la raison de la récente désignation par Israël est entièrement politique.

« Al-Haq a un rôle important dans la fourniture d’informations contre Israël à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye »,

explique-t-il.

« En raison de nos activités, bien des gens dans le monde traitent Israël d’‘État d’apartheid’. C’est la raison pour laquelle on nous persécute. »

Sharbati mentionne que Gantz avait rencontré le président de l’AP Mahmoud Abbas un peu plus tôt ce mois-ci à Ramallah et qu’ils avaient parlé d’« établir la confiance ».

« Quel genre de mise sur pied de la confiance y a-t-il quand Gantz attaque de la sorte les organisations de la société civile ? Cette démarche cherche à priver le peuple palestinien d’une des organisations les plus importantes qu’il a pour défendre ses droits contre l’occupation et contre l’Autorité palestinienne. »

La déclaration du ministère israélien de la Défense, et même le document légèrement plus détaillé adressé plus tard aux journalistes, ne faisait aucune allusion à Al-Haq bien qu’elle soit la plus importante des six organisations. On ne voit toujours pas clairement du tout sur quelles bases Al-Haq a été mis hors la loi.

Les allégations contre Al-Haq peuvent avoir découlé d’une autre source. En 2015, comme la pression internationale contre Israël gagnait en intensité, le gouvernement alloua des dizaines de millions de shekels au ministère des Affaires stratégiques aujourd’hui supprimé afin qu’il dirige une « campagne contre les effets de la délégitimation et les boycotts contre Israël », avec à la tête du ministère Gilad Erdan, aujourd’hui ambassadeur d’Israël aux États-Unis.

Le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan parle lors d’une conférence de presse internationale, à Bnei Brak, le 3 février 2019. (Photo : Flash90)

L’une des principales activités du ministère était d’étiqueter les organisations de la société civile palestinienne comme étant associées à des terroristes afin d’exercer des pressions sur les gouvernements européens pour qu’ils mettent un terme à leur financement.  Selon des rapports officiels publiés par le ministère, les six organisations portées en liste noire la semaine dernière constituaient des cibles majeures.

Le ministère des Affaires stratégiques publia des rapports intitulés par exemple « Terroristes en costume », « L’argent du sang » et « Le réseau de la haine », se faisant ainsi l’écho des diverses organisations d’extrême droite. NGO Monitor, en particulier, a accusé le directeur général d’Al-Haq, Shawan Jabarin, d’être un membre actif du FPLP. Et, pourtant, le ministère n’est toujours pas parvenu à présenter la moindre preuve de liens de l’ONG avec la violence. 

« J’ai été dans l’organisation pendant 12 ans et pas une seule personne d’Al-Haq n’a été arrêtée durant cette période »,

déclare Sharbati.

« Notre travail est entièrement juridique et transparent. Nos sponsors reçoivent des rapports détaillés. Nous sommes sous étroite surveillance et tout le monde sait où va le moindre shekel. »

À propos des allégations disant que certains des agents de l’organisation étaient des membres du FPLP, Sharbati déclare :

« Si quelqu’un était actif avec le FPLP, avait été en prison pour être relâché quelques mois plus tard – quid, dans ce cas ? Cela signifie-t-il que ces gens-là ne devraient plus travailler nulle part ? Si quelqu’un a fait quelque chose d’illégal, qu’on l’arrête. Mais il n’y a pas de preuve d’avoir mal agi. »

 

« Une perspective absolument manipulatrice »

Le centre Bisan est un petit centre palestinien, de tendance de gauche. Son personnel se compose de huit universitaires et il est dirigé par Ubai Aboudi, qui écrit sur l’économie et la sociologie.

« Nous avons été fondés en 1986 par un groupe d’érudits et d’hommes de science »,

explique Aboudi.

« Nous soutenons les droits des communautés marginalisées, nous exerçons des pressions contre le réchauffement climatique, nous faisons la promotion de l’égalité des genres et nous nous opposons aux mesures de l’occupation israélienne. »

Aboudi a été arrêté deux fois ces deux dernières années : une fois par Israël et une fois, ensuite, par l’Autorité palestinienne. Lors de sa première arrestation, fin 2019, le tribunal militaire israélien l’a accusé d’être affilié au FPLP.

« Ils n’avaient pas de preuve et le juge a statué qu’il y avait effectivement des problèmes de preuves »,

fait-il remarquer.

Toutefois, Aboudi accepta finalement une peine négociée et fut emprisonné pendant quatre mois (les tribunaux militaires israéliens, qui opèrent en qualité de bras à part entière du contrôle par Israël des Palestiniens sous occupation, ont un taux de condamnation situé entre 95 et 99 pour 100, s’il faut en croire diverses organisations des droits humains).

« Je n’ai pas de liens avec le FPLP, mais je suis père de famille et je voulais retourner auprès de mes trois enfants dès que possible – et c’est ainsi que j’ai opté pour l’arrangement »,

explique-t-il. À l’époque, la détention administrative d’Aboudi avait déclenché une campagne internationale et environ un millier d’hommes de science et d’universitaires avaient signé une pétition réclamant sa libération.

Cette année, Aboudi a été arrêté à deux reprises par l’AP, après avoir protesté contre l’assassinat de Nizar Banat, un activiste très critique à l’égard du gouvernement et qui avait été battu à mort en juin alors qu’il venait d’être arrêté par les forces de sécurité palestiniennes.

2 juillet 2021, Hébron, Cisjordanie. Des Palestiniens participent à une manifestation de protestation contre l’assassinat de l’activiste Nizar Banat. (Photo : Wisam Hashlamoun / Flash90)

Un mois plus tard, l’armée israélienne effectuait un raid dans les bureaux du Centre Bisan à Ramallah et confisquait les ordinateurs de l’organisation. Selon le communiqué de presse du ministère de la Défense, Bisan a été déclaré « organisation terroriste » parce que des membres de FPLP tenaient des réunions dans ses bureaux. De plus, disait la déclaration, le précédent directeur du centre, I’tiraf Rimawi, était un membre de l’aile armée du FPLP. Rimawi fut condamné à trois ans et demi de prison pour son affiliation à l’extension estudiantine du FPLP – à une époque où il n’était pas encore employé au Centre Bisan.

« Cette perspective [israélienne] est absolument manipulatrice »,

dit Aboudi.

« Comment toute une organisation peut-elle être responsable des actions prétendument commises par une personne en dehors du cadre de son travail ? Si une personne travaille pour une banque aux États-Unis et qu’elle enfreint la loi, est-ce que vous allez fermer la banque, dans ce cas ? »

À propos de l’utilisation des locaux du Centre Bisan pour les réunions du FPLP, Aboudi déclare :

« Notre bureau ne sert aucune finalité qui ne concernerait pas nos recherches. Il n’a jamais été utilisé par des forces armées et le centre n’a pas la moindre connexion à quelque action violente que ce soit. Lisez nos travaux de recherche, notre conception du monde s’appuie sur l’égalité et sur la justice sociale. »

À l’instar des autres organisations, Aboudi explique que les allégations d’Israël disant que les organisations ont opéré comme des « lignes vitales » et des collectrices de fonds pour le FPLP sont une affabulation complète et que « le budget du centre est ouvert à tout le monde et absolument transparent ».

En mai, fait remarquer Aboudi, Israël a invité des représentants des ambassades étrangères et a exigé que l’on cesse de financer les organisations palestiniennes des droits humains. Il en a résulté que le gouvernement belge a effectué un audit des fonds qu’il verse à Bisan et cet audit a déterminé qu’il n’y avait aucun fondement aux accusations du gouvernement.

« Tout notre financement, soit environ 800 000 NIS par an, va à la recherche et au paiement des rémunérations »,

ajoute-t-il.

De même qu’au sein des autres organisations, les employés de Bisan craignent désormais que, suite aux déclarations d’Israël, des donateurs du monde entier n’hésitent à soutenir le centre et que celui-ci ne s’effondre sur le plan financier.

« Ç’a toujours été le principal combat de Naftali Bennett [le Premier ministre] et d‘Ayelet Shaked [la ministre de l’Intérieur] : persécuter les organisations palestiniennes des droits humains »,

affirme Aboudi.

« Leurs relations avec les groupes de colons d’extrême droite, comme NGO Monitor et Regavim, sont profondes. Cela fait des années qu’ils envisagent de mettre hors la loi les organisations palestiniennes des droits humains. Aujourd’hui qu’ils ont l’occasion de le faire, ils sautent dessus. »

 

« L’occupation est la source de la violence »

L’Union des comités du travail agricole (UAWC) a été créée en 1986. Entre autres domaines d’activités, elle assiste les fermiers palestiniens afin qu’ils puissent cultiver leurs terres en Zone C – soit les deux tiers de la Palestine, qui sont sous contrôle israélien à part entière, où les colonies israéliennes sont construites et ne cessent de prendre de l’expansion et où Israël empêche systématiquement tout développement palestinien. Ce travail, estime le directeur de l’UAWC, Fuad Abu Saif, est la raison de la mise hors la loi.

« Israël veut annexer la Zone C »,

dit-il.

« Notre travail renforce la présence palestinienne ici, dans une zone où elle est indésirable. C’est pourquoi ils sont après nous depuis des années. »

Abu Saif de poursuivre :

« Regavim [une organisation israélienne d’extrême droite] incite quotidiennement à la violence contre nous, parce que nous aidons les fermiers palestiniens à cultiver environ 3 000 dounams (300 hectares) de terres par an, et à ouvrir des chemins agricoles accessibles qui font la liaison entre les Zones A, B et C. Tout notre travail s’effectue sur des terres privées, afin d’aider les fermiers. Israël les empêche de développer leurs terres pour des raisons politiques, afin de les chasser. »

Israël a accusé deux anciens employés de l’UAWC d’implication dans le meurtre de Rina Shenrab, une Israélienne de 17 ans, en Cisjordanie en août 2019. Le ministère de la Défense a cité le meurtre de l’adolescente comme raison de la désignation de l’UAWC en tant qu’« organisation terroriste ».

19 novembre 2013. Village de Kusra, en Cisjordanie. Des agents de la police israélienne des frontières montent la garde pendant que des fermiers palestiniens utilisent des tracteurs pour travailler la terre. (Photo : Nati Shohat / Flash90)

 

« C’étaient deux individus dans une organisation de 120 employés, une organisation dans laquelle des milliers de gens ont travaillé au fil des années »,

déclare Abu Saif à propos des allégations.

« Cela ne signifie pas que l’organisation a décidé d’agir de la sorte. En tant qu’organisation, nous rejetons la violence et nous disons que c’est l’occupation, qui est la source de la violence. »

Depuis des années, selon Abu Saif, Israël cherche des raisons sécuritaires à utiliser comme excuses pour fermer diverses organisations palestiniennes qui opèrent en Zone C.

Fin 2020, le Comité des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset s’est réuni pour discuter de la lutte du gouvernement contre ces organisations. Au cours de la réunion, le député Zvi Hauser a fait remarquer que la discussion constituait « un intérêt national du premier degré » parce que c’était « ce qui va déterminer les futures frontières de l’État ».

« Ce n’est pas simplement une lutte à propos des terres et de l’application de certaines mesures, mais aussi une lutte diplomatique »,

a déclaré Ghassan Alyan, ancien patron de l’administration civile – le bras du gouvernement militaire israélien qui gère les territoires occupés – lors de la réunion du comité. Et Alyan d’ajouter que, lorsque Bennett était ministre de la Défense en 2020, il avait rencontré des ambassadeurs et des attachés de pays européens et avait exigé qu’ils mettent un terme au financement des organisations palestiniennes opérant en Zone C. 

« Nous avons prévenu tout le monde : nous ne tolérerons aucun projet international sans l’approbation israélienne (…) et nous nous sommes arrangés pour faire diminuer le nombre de projets ces deux dernières années »,

a ajouté Alyan lors de cette même réunion.

« Il y a eu environ 12 projets en 2019, alors qu’en 2015, on en avait réalisé approximativement 75. »

« Israël tente de saper la réputation de ces organisations auprès de nos sponsors », déclare Abu Saif.

« Si les Européens mettent un terme à leur financement, toutes ces organisations vont disparaître. Et cela fonctionne. »

« Ils se concentrent sur deux types d’organisations : certaines qui agissent au niveau international, comme Al-Haq, et celles qui opèrent en Zone C, comme nous »,

ajoute Abu Saif.

« Cela n’a pas commencé avant-hier – cela dure depuis des années. »

Tôt le matin du 7 juillet, les forces israéliennes ont fait irruption dans les bureaux de l’UAWC et les ont fermés. Abu Saif est arrivé sur place ce matin-là pour découvrir que les ordinateurs avaient été confisqués et les portes mises sous scellés. Un ordre de fermeture émanant du gouverneur militaire israélien était également attaché aux portes.

« Vous devez comprendre ceci : Notre organisation ne traite que d’agriculture. La plupart d’entre nous sont des ingénieurs. Israël va-t-il nous arrêter tous, là, maintenant ? Cette organisation existe depuis 35 ans »,

explique Abu Seif.

Toujours est-il que la désignation des six organisations vétéranes en tant que « terroristes » est sans précédent, déclare Abu Saif. «

 La chose n’a été possible qu’à cause du nouveau gouvernement »,

prétend-il,

« Aussi mauvais qu’ait été Netanyahou, il n’aurait pas entrepris une démarche aussi draconienne. À mon avis, il était plus prudent. Le lobby des colons et Regavim peuvent exercer des pressions plus facilement sur l’actuel gouvernement, qui est bien plus extrémiste. »

 

« Les racines de cette attaque »

Sahar Francis dirige Addameer, qui fournit une aide juridique aux prisonniers et détenus administratifs palestiniens enfermés dans les prisons israéliennes et celles de l’AP.

« La majeure partie du travail effectué par notre organisation se passe avec les autorités israéliennes »,

dit Francis.

« J’attends de voir ce qu’elles vont dire à nos avocats dans les tribunaux militaires. »

Francis poursuit :

« C’est une décision politique, qui provient de l’incessante persécution dont nous sommes l’objet. Comment peut-on publier une telle déclaration dans la presse sans entendre ce que ces organisations ont à dire ? Sans procès ou sans même le droit de s’exprimer lors d’une audience ? »

Selon Francis, la décision du gouvernement s’inscrit dans le cadre d’une vaste démarche à long terme contre la société civile palestinienne.

« Cela a commencé par des attaques venant d’organisations de droite comme NGO Monitor, qui étaient en communication directe avec le gouvernement israélien »,

explique-t-elle.

« Plus tard, en 2015, le ministère des Affaires stratégiques de Gilad Erdan fut lancé et ils ont essayé sans cesse de tarir notre financement. »  

Selon le communiqué de presse du ministère de la Défense, Addameer a été cataloguée comme « organisation terroriste » parce qu’elle avait été constituée par des membres éminents du FPLP afin de traiter des prisonniers politiques et de leurs familles. Néanmoins, Addameer a été créée en 1991, ce qui, si ces allégations devaient être vraies, permettrait de dire que la désignation récente par Israël tombe avec quelque 30 ans de retard.

7 décembre 2017, Hébron, en Cisjordanie. Des soldats israéliens arrêtent un jeune Palestinien lors d’une manifestation contre la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël. (Photo : Wisam Hashlamoun / Flash90)

 

La déclaration du ministère prétendait également que des réunions avec d’importants membres du FPLP avaient lieu dans les bureaux d’Addameer et que l’organisation délivrait des messages aux prisonniers au nom de ce même FPLP. Toutefois, aucune explication supplémentaire n’était fournie.

« Ces allégations sont tout simplement fausses »,

répond Francis.

« L’organisation n’appartient pas au FPLP. Nous ne traitons qu’avec une représentation juridique et nous faisons du lobbying aux niveaux local et international. Cela fait des années que nous sommes ciblés, pour une raison bien simple : Nous parvenons à modifier le paradigme un peu partout dans le monde en parlant d’apartheid, et pas seulement d’occupation, et nous en fournissons des preuves matérielles à La Haye. »  

« Il nous faut retourner aux racines de cette attaque », insiste-t-elle.

« Depuis le début de l’occupation, Israël agit contre les organisations de la société civile. Il a décrété que les syndicats ouvriers et estudiantins étaient illégaux. Lors de la Seconde Intifada, il y a eu une attaque massive contre les organisations caritatives sous le prétexte qu’elles étaient associées au Hamas. Je pense que nous avons commis l’erreur, à ce moment-là, de ne pas prendre la chose assez au sérieux. L’Autorité palestinienne était heureuse, à l’époque, parce qu’elle promouvait ses intérêts – en blessant ceux qui s’y opposent. »

« Notre message, et c’est aussi celui des autres organisations, c’est que nous ne cesserons pas de travailler. Nous ne cesserons pas de fournir des services à ceux qui ont besoin de nous. Nous refusons de nous taire sur le pouvoir d’apartheid de l’occupation. »

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Yuval Abraham est photographe et étudiant en linguistique.

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Publié le 25 octobre 2021 sur +972 Magazine sous le titre : ‘They targeted us for one reason: We’re succeeding in changing the paradigm’ (« Ils nous ont ciblés pour une seule et unique raison : Nous parvenons à modifier le paradigme »

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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En février 2021 déjà Gantz et le régime israélien avaient désigné Samidoun comme une organisation « terroriste » Fin août 2021, sans même publier un communiqué de presse, Gantz a également désigné comme « terroristes » EuroPal Forum, la Coalition juridique internationale pour la Palestine et la Conférence populaire des Palestiniens à l’étranger. 

Et maintenant en octobre 2021, c’est le cas pour Al-Haq, Addameer Prisoner Support and Human Rights Association, Defence for Children International Palestine, Bisan Center for Research and Development, Union of Palestinian Women’s Committees et Union of Agricultural Work Committees

Trouvez ici l’analyse de Samidoun sur ces 10 désignations :

Le qualificatif de “terroristes” vise à réprimer les organisations palestiniennes.

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