Une « paix économique » pour Gaza ?

Selon Ziyad al-Nakhalah, secrétaire général du mouvement du Djihad islamique palestinien, Israël essayerait d’étouffer la résistance palestinienne à Gaza via une « paix économique » s’appuyant sur l’injection de milliards de pétrodollars arabes, surtout en provenance des Émirats. Mais en même temps, il y a eu des signes croissants d’un début de résistance armée en Cisjordanie.

Décombres reconvertis en brise-lame dans un nouveau port à Khan Younis. (Photo : avec l’aimable autorisation de l’auteur)

Décombres reconvertis en brise-lame dans un nouveau port à Khan Younis. (Photo : Salman Abu Sitta)

Abdel Bari Atwan, 29 novembre 2021

La semaine dernière, dans une interview réalisée pour la chaîne de télévision al-Mayadeen, Ziyad al-Nakhalah, secrétaire général du mouvement du Djihad islamique palestinien, y est allé de quelques révélations étonnantes sur les développements relatifs à la Palestine et plus particulièrement à la bande de Gaza et à la progression croissante de la normalisation entre Israël et diverses capitales arabes.

Nakhalah a révélé que des responsables égyptiens qu’il avait rencontrés au Caire le mois dernier lui avait dit que la direction égyptienne avait l’intention de transformer la bande de Gaza en un « second Dubaï » et que des milliards de dollars seraient injectés dans le territoire afin de concrétiser cet objectif. Une grande vague de reconstruction allait être lancée et les habitants de la bande de Gaza se verraient accorder une liberté de mouvement aller et retour avec l’Égypte exempte des habituels contrôles et fouilles humiliants au passage frontalier de Rafah ou dans les aéroports égyptiens. Entre autres, la construction d’une ville de villégiature est prévue à la frontière, avec des hôtels cinq étoiles, des cinémas et des installations de loisirs auxquels les habitants de Gaza auraient libre accès.

Il a ajouté qu’Israël considère que Gaza est une bombe à retardement qu’il convient de désamorcer et que, du fait qu’il n’est pas parvenu à réprimer ses habitants ni à écraser la résistance sur place après une série de guerres, il va désormais recourir à un « plan B » visant à pacifier le territoire en améliorant ses conditions économiques.

Par conséquent, des permis seront délivrés afin que 40 000 résidents de Gaza puissent aller travailler dans des villes israéliennes. Les demandeurs s’inscriront auprès des autorités du Hamas qui les sélectionneront (alors qu’on a accusé ces mêmes autorités de favoriser leurs propres partisans) et, à l’instar de la Cisjordanie, la bande de Gaza sera transformée en un « pool de l’emploi » au service d’Israël.

Nakhalah a également révélé que les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) ont joué un rôle majeur en aidant leurs homologues israéliennes à recapturer deux des prisonniers évadés de la prison de Gilboa en septembre dernier, après qu’ils étaient allés se cacher à Jénine. Quand le chef de la sécurité intérieure d’Israël avait rencontré le président de l’AP Mahmoud Abbas un peu plus tôt en ce mois de novembre, il avait exigé qu’il exerce une répression sévère contre Jénine et qu’il « nettoie » la ville de tous ses éléments de résistance… « sinon ».

Ces points devraient être liés à la rapide évolution des démarches vers la normalisation des liens militaires et économiques entre Israël et plusieurs pays arabes, en particulier la Jordanie (de l’eau en échange d’électricité), le Maroc (pacte de coopération sur le plan de la défense) et les EAU. On peut manifestement en conclure que le scénario actuellement adopté consiste à essayer d’étouffer la résistance palestinienne via une « paix économique » s’appuyant sur l’injection de milliards de pétrodollars arabes, surtout en provenance des Émirats.

On peut également détecter dans les remarques prudemment avancées de Nakhalah une tentative en vue de semer les graines de la division entre le Hamas et le Djihad islamique, les deux principales composantes de la résistance dans la bande de Gaza. Cela rappelle les efforts consentis pour dresser l’AP contre le Hamas et qui aboutirent à la prise de contrôle par ce dernier de la bande de Gaza en 2007 (ce qui ne signifie nullement que le résultat sera similaire).

Ce n’est pas un secret qu’il existe une rivalité croissante entre une alliance égypto-qatari dans la bande de Gaza et une alliance émirati-jordano-turque en Cisjordanie. Les relations entre l’Égypte et les EAU sont à un niveau bas, suite à la visite de Sheikh Muhammad bin-Zayed à Ankara. Si cela continue, cela exclurait le moindre rôle des EAU au cas où serait enclenché le plan israélo-égyptien de reconstruction de Gaza pour en faire un « Dubaï » méditerranéen. Le récent amendement des accords de Camp David afin de permettre le déploiement de troupes égyptiennes plus nombreuses dans le Sinaï est une indication, dans ce contexte.

Deux projets rivaux sont en compétition : le projet Kushner soutenu par Israël et certains des normalisateurs arabes, et le projet de résistance appuyé par l’Iran et ses alliés. Cela va placer le Hamas dans une situation difficile : soit continuer à faire partie de l’axe de la résistance, soit s’engager dans le processus de « pacification » afin de conserver son pouvoir dans la bande de Gaza. La récente désignation par la Royaume-Uni du Hamas comme organisation terroriste était l’une des nombreuses mesures visant à mettre la pression sur lui, à ce propos, et elle pourrait être suivie par des démarches arabes et européennes similaires.

L’opposition de Nakhalah aux plans de « paix économique », le désamorçage de la bombe à retardement qu’est Gaza et le projet arabe de normalisation qui condamne la Palestine à devenir Israël pourraient signifier que le Djihad islamique et le Hamas soient en route vers un désaccord majeur, voire même une confrontation. Cela pourrait également aboutir à une rupture avec l’Égypte, dont il a ridiculisé le projet d’une ville de villégiature et de loisirs, ainsi que, pour lui, à une fermeture des portes du Caire.

Mais il y a eu des signes croissants d’un début de résistance armée en Cisjordanie. Nakhalah a parlé des usines de drones et de missiles dans la bande de Gaza et de la résistance sur place qui renflouait ses stocks après l’assaut israélien du mois de mai. Ce pourrait être des signes de la montée de l’autre camp dans les deux territoires, c’est-à-dire le camp opposé au désamorçage de la bombe à retardement qu’est la résistance à l’occupation.

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Abdel Bari AtwanAbdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du site Rai al-Youm (“L’opinion d’aujourd’hui”, un site qui se veut nationaliste arabe, antisaoudien et antisioniste). Il est l’ancien directeur du quotidien Al-Quds Al-Arabi et l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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Publié le 29 novembre 2021 sur le site Rai al-Youm
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également cet article d’Abdel Bari Atwan : La Grande-Bretagne cède au diktat israélien et criminalise la résistance palestinienne

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