La mairie de Jérusalem insiste pour démolir la maison de 60 Palestiniens
Parmi les 60 Palestiniens présentes dans le bâtiment, 27 sont des enfants. Ils jouent et courent à l’extérieur du bâtiment comme si tout était normal, tandis que leurs parents racontent aux visiteurs leurs peurs et leurs cauchemars
Amira Hass, 11 décembre 2021
Imad Asmaa al-Ghouj n’a que quatre ans et il est déjà un criminel: il vit dans une maison qui a été construite sans permis. L’appartement de l’immeuble de 10 logements – où il est né et où il vit toujours – fait l’objet d’un ordre de démolition. L’adresse: la section Khalat al-Ayn du quartier A-Tur de Jérusalem [At-Tur est situé à Jérusalem-Est, occupée puis annexée par Israël après 1967].
«Il a peur de s’endormir le soir au cas où ils démoliraient l’immeuble alors que nous sommes à l’intérieur. Il rentre de l’école maternelle avec la nourriture que je lui ai préparée parce qu’il ne peut pas manger à cause de tout le stress»,
a déclaré sa mère, Asmaa, au début du mois de décembre.
«Le jeune frère de mon mari, qui a 12 ans et qui vit ici avec ses parents et ses sœurs, a peur de revenir de l’école et de trouver la maison démolie. Et quand les gens demandent à mon petit-fils Yanal où nous irons s’ils la démolissent, il répond: dans une tente dehors, parce que nous n’avons pas d’autre endroit où aller.»
Le bâtiment où vit la famille al-Ghouj a été construit il y a environ 10 ans. Il y en a plusieurs dizaines d’autres comme celui-ci à Khalat al-Ayn. Ils abritent environ 4000 personnes. Ils ont été construits sans permis de construire parce que la municipalité de Jérusalem ne réexamine pas les plans directeurs des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est pour les adapter à la croissance démographique et aux besoins locaux.
En l’absence de plan d’aménagement urbain, aucun permis de construire n’est délivré. Mais les gens doivent bien vivre quelque part, alors ils se construisent un toit sur des parcelles qu’ils possèdent ou achètent des appartements construits par des promoteurs. C’est ce qui se passe à A-Tur et dans tous les autres quartiers palestiniens de Jérusalem-Est.
Curieusement, la municipalité a plusieurs fois donné l’impression que Khalat al-Ayn serait désignée comme une zone d’A-Tur où la construction serait éventuellement autorisée. «Alors pourquoi insister pour démolir le bâtiment et détruire nos vies?» demande Asmaa, qui est âgée de 24 ans.
«Les parents de mon mari ont travaillé dur pendant de nombreuses années pour pouvoir acheter cet appartement. Mon beau-père a eu des emplois de nettoyeur, ma belle-mère s’est occupée des personnes âgées. Ils ont économisé chaque centime. Avant cela, ils vivaient dans la vieille ville dans une sorte de local qui servait autrefois d’étable pour les ânes.»
Début octobre, des officiers de police et des inspecteurs se sont pointés dans le bâtiment et ont annoncé qu’il devait être libéré. Ils ont annoncé qu’il devait être libéré; il serait démoli dans la semaine. D’un jugement à l’autre, les habitants n’en peuvent plus, comme s’ils vivaient en sursis.
«J’étais ici quand leur patrouille est arrivée à 10 heures du matin. Il y avait des policiers, la police des frontières et deux autres personnes du ministère de l’Intérieur. J’avais l’impression d’être renvoyée à la case départ»,
raconte Asmaa.
«Lorsque je me suis marié il y a cinq ans, nous ne pouvions louer un appartement nulle part à Jérusalem, car les loyers sont élevés. Nous n’avons même pas envisagé d’acheter. De plus, en tant que Palestiniens, nous ne pouvons pas demander d’hypothèque car nous ne sommes pas des citoyens. Nous avons décidé de nous entasser ici avec les parents et les frères et sœurs de mon mari jusqu’à ce que nous économisions un peu d’argent»,
nous dit Asmaa, qui a étudié le droit à l’Université d’Hébron.
«Au début, je n’ai pas dit aux enfants qu’ils risquaient de démolir la maison, mais quand les journalistes ont commencé à venir tout le temps, nous n’avons pas eu d’autre choix que de leur expliquer la situation.»
Parmi les 60 personnes présentes dans le bâtiment, 27 sont des enfants. Ils jouent et courent à l’extérieur du bâtiment comme si tout était normal, tandis que leurs parents racontent aux visiteurs leurs peurs et leurs cauchemars. Les mères parlent d’enfants qui ont commencé à faire pipi au lit la nuit, tandis que d’autres choisissent de passer la nuit dans la voiture de leurs parents par crainte de voir arriver un bulldozer. Imad, l’enfant de 4 ans, a proposé de badigeonner les carrelages de l’entrée avec du savon pour que les personnes venant démolir le bâtiment glissent.
Un désastre écologique et social
Avant 1967, A-Tur s’étendait sur 8800 dunams (1 dunam équivaut à 1000 m2). Après avoir occupé la Cisjordanie, Israël a exproprié la plupart des terres du village après l’avoir annexé à Jérusalem. Il ne reste que 1747 dunams, selon les groupes de défense des droits Bimkom [ONG israélienne d’architectes de défense des droits liés au logement] et Ir Amim [ONG visant à ce que Jérusalem soit une «Ville des peuples»]. Les 1400 dunams font partie des plans de développement approuvés au fil des ans. Sur la majeure partie de cette zone, seules des constructions éparses ont été autorisées, avec seulement deux étages par parcelle.
En 1967, A-Tur comptait de 4000 à 6000 habitants (différentes sources donnent des chiffres différents). Selon le Bureau central des statistiques d’Israël, le quartier comptait 28’000 résidents en 2016. Les responsables locaux ont ensuite estimé leur nombre à 35’000.
L’avocat Hussein Ghanayem, qui représente les résidents d’A-Tur depuis près de vingt ans, y compris ceux de l’immeuble d’Imad, estime que leur nombre approche les 45 000.
Les habitants d’origine du quartier, ainsi que ceux du reste de Jérusalem-Est qui, en raison de l’absence de plans d’urbanisme et du surpeuplement, ont déménagé il y a des années dans des quartiers situés en dehors de Jérusalem, sont revenus et se sont installés à A-Tur après qu’Israël a érigé sa barrière de séparation. Ils craignaient qu’Israël ne révoque leur statut de résident.
Cela a accru la surpopulation et aggravé les problèmes découlant de la négligence des infrastructures telles que les routes, les égouts et les systèmes d’écoulement, en plus de la pénurie d’écoles et d’autres institutions publiques. Khalat al-Ayn, au nord-est d’A-Tur, couvre 200 dunams qui se sont avérés être la dernière réserve foncière du quartier.
Lorsqu’en 2011, un entrepreneur privé a construit l’immeuble où vit la famille al-Ghouj, sur un terrain qu’il a acheté à la famille Abu Sbeitan, on a supposé qu’un plan de construction urbaine serait bientôt approuvé par les autorités. Un plan avait été élaboré pour Jérusalem en 2000, le premier plan de ce type pour l’ensemble de la ville depuis 1967. Il a été présenté en 2004 et a reçu une approbation préliminaire en 2009. Depuis lors, il a été gelé «parce qu’il incluait la possibilité de développer certains quartiers palestiniens», comme le note un rapport de Bimkom, qui lutte pour l’égalité dans l’aménagement urbain.
En 2005, alors que l’on avait encore l’impression que la municipalité et le ministère de l’Intérieur commençaient à comprendre le désastre urbanistique, écologique et social qui se profilait à Jérusalem-Est en raison d’une longue négligence intentionnelle, les résidents d’A-Tur ont commandé un projet d’aménagement urbain à leurs propres frais. Hussein Ghanayem, qui représentait les résidents, a appris des professionnels de la mairie que Khalat al-Ayn présentait une «faisabilité de construction».
Les résidents juifs de Jérusalem ne sont pas tenus de préparer des plans de quartier à leurs propres frais, mais à Jérusalem-Est, cette démarche, très coûteuse, est devenue courante par manque de choix, dans l’espoir que la municipalité et les tribunaux feront des concessions aux résidents qui ont construit sans permis. L’espoir est que les autorités comprennent qu’il ne s’agit pas d’une transgression volontaire mais du résultat d’une détresse dont les résidents ne sont pas responsables. Les résidents, dont la plupart sont des salariés à faibles revenus, ont collecté 800’000 shekels (257’820 dollars) pour financer le plan d’urbanisme, souligne Hussein Ghanayem.
Ralentir le processus
Le projet était en cours d’examen par le comité de planification du district lorsqu’il s’est avéré qu’il existait un plan concurrent.
«Pour contrecarrer les plans préparés par les résidents de Khalat al-Ayn et d’Isawiyah, l’Autorité israélienne pour la nature et les parcs a soumis, avec le soutien de la municipalité de Jérusalem, un plan différent: un plan pour un parc national sur les pentes du Mont Scopus [qui se trouve actuellement dans les «frontières» de Jérusalem], s’étendant sur 700 dunams qui comprenait des zones initialement désignées pour les deux quartiers palestiniens»,
a déclaré Aviv Tatarsky, qui coordonne les activités de lobbying sur la planification à Ir Amim.
En janvier 2012, l’autorité des parcs a déclaré à Nir Hasson – du quotidien Haaretz –qu’elle n’était pas un organe politique et qu’elle ne s’intéressait qu’à la protection de la nature et du paysage, en maintenant la dernière section du désert de Judée à côté de la ville. La municipalité a déclaré que le parc national désigné avait une grande importance archéologique en raison des grottes, des citernes et des sites funéraires de la période du Second Temple.
En 2015, un comité d’appel du Conseil national de la planification et de la construction a déterminé que le plan du parc ne pouvait être approuvé avant que la municipalité n’ait étudié les besoins en développement des deux quartiers. Cette enquête n’a pas encore été réalisée. La municipalité prépare actuellement un plan directeur pour A-Tur, mais Aviv Tatarsky et Hussein Ghanayem affirment que ce plan est élaboré sans consultation des résidents ou de leurs représentants, sans chercher à déterminer leurs besoins.
De plus, note Aviv Tatarsky,
«un plan directeur n’est rien d’autre qu’un document de politique municipale. Il ne change pas la situation en matière de planification et ne permet pas de délivrer des permis de construire.»
Parallèlement à l’attente d’un plan réalisable pour l’ensemble du quartier de Khalat al-Ayn, les locataires de l’immeuble où vit la famille al-Ghouj se sont engagés dans un parcours juridique et bureaucratique sinueux, avec Hussein Ghanayem comme avocat. Un ordre administratif de démolition a été émis trois ans après le début de la construction, mais un tribunal a critiqué cet ordre car, explique Hussein Ghanayem,
«un ordre administratif de démolition ne peut être exécuté alors que des familles y vivent toujours.»
Pourtant, alors que l’ordre était toujours en cours, les procureurs de l’Etat ont déposé des actes d’accusation contre les résidents pour avoir construit sans permis. Les recours en appel de Husein Ghanayem ont été rejetés. Mercredi, le tribunal des affaires locales de Jérusalem a accepté de retarder la démolition d’une semaine à la demande d’un autre avocat qui représentait un autre résident parmi les dix locataires. Ce résident n’avait pas reçu d’ordre de démolition et ne faisait pas partie des personnes que le tribunal a jugées coupables.
«Lorsque je me suis mariée et que j’ai emménagé ici, je savais que la famille de mon mari payait des amendes à la municipalité parce qu’il n’y avait pas de permis de construire, mais je savais qu’il y avait un espoir que nous en obtenions un»,
nous a confié Asmaa.
«Je pensais que nous économiserions de l’argent et que nous déménagerions pour pouvoir vivre par nos propres moyens, mais avec toutes les dettes et les amendes, nous ne pouvions pas. Nous nous sommes dit qu’au moins la maison resterait, mais nous avons réalisé que ce ne serait pas le cas, que nous étions donc jetés à la rue.»
Si l’autorité d’exécution du ministère des Finances procède à la démolition, les locataires devront payer 2 millions de shekels. Ils ont la possibilité de démolir le bâtiment eux-mêmes, mais ils n’ont aucune idée de la manière de démolir un immeuble de cinq étages comportant dix appartements.
«Il y a un moment où j’ai dit : “Ça y est, je veux quitter ce pays”, raconte Asmaa. “J’ai rempli des formulaires dans un bureau de Tel-Aviv qui encourage l’émigration vers le Canada. Je suis arrivée là grâce à une annonce en arabe sur Facebook. Mon mari l’a découvert et m’a dit: “Es-tu folle?”»
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Publié sur le 11 décembre 2021 sur Haaretz
Traduction : rédaction A l’Encontre