Par bonheur, Ilan Pappé n’est plus tout seul sur les barricades

Haaretz, le quotidien israélien sioniste et libéral, ainsi qu’une bonne partie du monde, a parcouru un long chemin depuis l’arrivée du mouvement BDS sur la scène politique internationale et depuis qu’il avait ridiculisé l’historien Ilan Pappé dans un article publié en 2005 et intitulé « Seul sur les barricades ».

Ilan Pappé lors d'une conférence à Charleroi le 25 septembre 2016 (Photo : Plate-forme Charleroi-Palestine)

Ilan Pappé lors d’une conférence à Charleroi le 25 septembre 2016 (Photo : Plate-forme Charleroi-Palestine)

Rima Najjar, 24 janvier 2022

À l’époque, Pappé (qui n’est plus seul sur les barricades) subit un contrecoup, en Israël, qui lui coûta son emploi de professeur titulaire à l’Université de Haïfa. Il avait soutenu le travail d’un étudiant en maîtrise ( Teddy Katz) qui avait « prouvé », comme si ce fait historique était contesté par d’autres personnes que l’establishment sioniste et ses agents, qu’une brigade juive avait perpétré un massacre de villageois palestiniens à Tantoura (*), en 1948. Son autre péché avait consisté à soutenir publiquement un boycott général du monde académique israélien pour avoir accepté la politique d’occupation du gouvernement israélien.

En dénonçant des faits relatifs à des massacres et autres crimes contre des Palestiniens longtemps niés par l’État sioniste, par les Juifs israéliens en général et par le réseau sioniste dans le monde entier, Haaretz ne montre aucun signe d’avoir été spirituellement ébranlé par l’histoire qu’il est occupé à revoir pour l’instant. Sa politique semble être en partie un mea culpa (en considérant un péché confessé comme à moitié pardonné) et en partie une stratégie sioniste en vue de résister à la décolonisation en avouant l’affaire. Ilan Pappé expliquait la chose comme suit, dans un commentaire publié sur Facebook :

« Je ne crains que ce ne soit une tentative en vue de s’emparer de la critique ainsi que de l’acte même, de sorte que ce soit Haaretz, et non les Palestiniens, qui puisse décider de la façon de traiter la question. Et comme tous les colonialistes libéraux du monde entier, ils croient qu’avouer, présenter ses excuses et de dire désolé clôture le débat – alors que nous savons que seuls une décolonisation en bonne et due forme de toute la Palestine historique et le droit au retour peuvent en fait le clôturer pour de bon. »

Haaretz est comme Gerontion dans le poème de T. S. Eliot. Il nous donne à nous, lecteurs, le sentiment que les Israéliens sont des objets sur lesquels l’histoire agit. Dans le même temps, toutefois, nous savons qu’ils sont des sujets qui interprètent et qui, par conséquent, créent l’histoire. Par le biais de tels articles, Haaretz (à l’instar de Gerontion) projette un sentiment de perte de confiance en la réalité telle qu’elle est perçue via l’évangile sioniste.

Mais nous ne pouvons dire que Haaretz ne croit plus en l’histoire (c’est-à-dire le « discours ») sioniste. Nous ne pouvons dire qu’il n’est plus imbu des idéaux suprémacistes sionistes juifs et des constructions sociales constituant les fondations de l’État sioniste juif. Nous sommes forcés de poser la question : Après une telle connaissance, quel pardon ?

La traduction en anglais de l’article de l’historien israélien Adam Raz a été publiée dans Haaretz sous le titre :

« Une fosse commune palestinienne sur trouve sous une plage populaire israélienne, reconnaissent des vétérans : Les vétérans israéliens de la bataille du village de Tantoura, en 1948, avouent le massacre d’Arabes qui a eu lieu après la reddition du village. »

Le premier paragraphe dramatique contient la question rhétorique suivante posée par un témoin dont Raz dit qu’il est un ancien « soldat combattant » et qu’il décrit comme « essayant d’être sobre dans ses propos ». Il aurait en outre dit (les italiques sont de moi) :

« Ils ont passé l’affaire sous silence (…) Il ne faut pas en parler ; cela pourrait provoquer tout un scandale. Je ne veux pas en parler, mais cela a eu lieu. Que pouvez-vous faire ? Cela a eu lieu. »

Que cela ait eu lieu, ce n’est pas un scoop, du moins pas pour les Palestiniens ni pour les gens un tant soit peu informés. Que pouvez-vous faire à ce propos ? Des tas de choses.

Dans un message sur Facebook qui réagissait à la dernière révélation de Raz dans Haaretz et qui rappelait son expérience de 2007 avec le ministère israélien de l’Éducation et sa démission forcée de l’Université de Haïfa, Pappé explique :

« Nous n’avons nul besoin de Haaretz pour nous dire que la Nakba fut un crime israélien contre l’humanité, mais il s’agit d’un développement important. Quand le monde universitaire et les médias occidentaux cesseront-ils de nier la Nakba ? Quand aurons-nous une alliance internationale contre la négation de la Nakba ? Bientôt, espérons-le !!! »

Nous avons besoin d’une alliance internationale pour faire comparaître ces crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale ; nous avons besoin d’être solidaires avec le combat palestinien de longue haleine et toujours en cours pour la libération, nous avons besoin de décoloniser la Palestine en mettant un terme à l’État juif sioniste en Palestine, et ce, du fleuve à la mer. Nous avons besoin d’un Masar Badil : un Mouvement palestiniens de la voie alternative révolutionnaire.

Nous pouvons faire et nous ferons tout ce qu’il faut à ce propos.

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Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille paternelle provient du village – dépeuplé de force – de Lifta dans la périphérie ouest de Jérusalem et dont la famille maternelle est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée

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Publié le 24 janvier 2022 sur Countercurrents
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

(*) Lisez ici : Et la plage de Tantoura ment

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