Se détournant de la Russie, l’UE se rapproche des flics tueurs d’Israël
Les gouvernements et institutions de l’UE se sont lancés dans des préparatifs considérables, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une fois l’invasion enclenchée, ils étaient prêts à imposer toute une variété de sanctions.
David Cronin, 9 mars 2022
Parfois, je me demande s’il ne circule pas parmi les responsables de l’Union européenne un manuel intitulé Comment être un parfait hypocrite sans que personne ne le remarque (ou quelque chose du même genre).
Tout dernièrement, sans être remise en question le moins du monde par les médias traditionnels, l’élite de Bruxelles a porté à de nouvelles extrémités le recours à deux poids, deux mesures.
Les gouvernements et institutions de l’UE se sont lancés dans des préparatifs considérables, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Une fois l’invasion enclenchée, ils étaient prêts à imposer toute une variété de sanctions.
Il conviendrait néanmoins de mettre en lumière l’une de ces mesures, qui a reçu moins d’attention que les autres. Je veux parler de la façon dont la Russie a été jugée inéligible dans le financement par l’UE de la recherche scientifique.
Cette décision a été prise parce que les activités de recherche de l’UE s’appuient sur le respect de la liberté et des droits, a-t-il été dit, et que
« l’odieuse agression militaire de la Russie contre l’Ukraine est une attaque contre ces mêmes valeurs ».
Ces quelques derniers jours, la police israélienne a été directement responsable d’avoir tué deux jeunes Palestiniens à Jérusalem-Est occupée. Ces deux jeunes hommes ont été abattus mortellement sous le prétexte d’avoir poignardé des policiers.
Les exécutions extrajudiciaires – telles celles commises par la police israélienne – violent les droits humains et le pouvoir de la loi. Ce sont des attaques contre les valeurs qu’épouse nominalement l’Union européenne.
Malgré son long palmarès de violence envers les Palestiniens, la police israélienne a été admise dans au moins 10 (dix !) projets financés dans le plan de recherche Horizon 2020 de l’UE. Loin d’exclure Israël de ses activités, l’UE a fait savoir qu’elle voulait accroître ses recherches communes avec les firmes et les autorités israéliennes.
Cocher des cases
Des documents que j’ai obtenus dans le cadre des règles de la liberté d’information montrent bien à quel point la coopération de l’UE avec la police israélienne est intrinsèquement problématique.
Ils résument les « contrôles éthiques » menés sur Andromède, un projet de gestion des frontières d’un coût de 6,5 millions de USD.
Le projet, mené depuis 2019 jusque l’an dernier, peut avoir impliqué des échanges de données entre l’UE et la police israélienne, selon l’un de ces documents. La recherche impliquée, ajoute-t-il,
« a un impact potentiel sur les droits humains et les libertés fondamentales du fait que le projet va faciliter les capacités de surveillance des États ».
Les documents – voir ci-dessous – montrent bien que ces « contrôles éthiques » ne sont rien de plus que des exercices de cochage de cases, en ce qui concerne l’Union européenne.
La surveillance des frontières est devenue un euphémisme pour désigner le renvoi de réfugiés. Un « contrôle éthique » sérieux aurait posé des questions des plus embarrassantes à propos des raisons pour lesquelles la police israélienne – une force qui arrête arbitrairement des enfants et qui démolit des maisons au beau milieu de la nuit – a été favorablement accueillie dans un tel projet.
Au lieu de poser ces questions, l’un des documents de « contrôle éthique » dit que des « auto-déclarations » selon lesquelles les participants respectent les lois de protection de données sont acceptables. Les mesures israéliennes de protection des données ont également été perçues comme adéquates par la Commission européenne, ajoute le document.
J’ai contacté la Commission européenne – l’exécutif de l’UE – en quête de plus d’informations.
La « décision d’adéquation » pour Israël, a répondu la Commission européenne, a été prise en fait en 2011. Apparemment, elle est toujours considérée comme valide en dépit des révélations selon lesquelles un logiciel espion de fabrication israélienne et appelé Pegasus avait été utilisé pour espionner des journalistes et des militants participant à des campagnes dans de nombreux pays.
La Commission européenne m’a fait savoir qu’une « évaluation » de toutes les « décisions d’adéquation » relatives à la protection de données – et pas uniquement la décision concernant Israël – sera entreprise un peu plus tard dans le courant de cette année.
Le ton nonchalant de la réponse que j’ai reçue est troublant. Même s’il y a des rapports crédibles affirmant qu’Emmanuel Macron, le président français, peut avoir figuré parmi les cibles dans l’affaire Pegasus, l’UE n’est en aucun cas pressée d’entreprendre des actions.
Ignorance
Ce n’est pas la première fois que l’UE impose des sanctions à la Russie. Un embargo sur les armes avait été introduit en 2014 après que Vladimir Poutine avait annexé la Crimée.
Israël a officiellement annexé Jérusalem-Est et cela remonte déjà à 1980.
Sur papier, l’UE s’est formellement opposée à cette annexion. Sur le terrain, par contre, elle s’en accommode.
Le quartier général de la police israélienne est situé à Jérusalem-Est. En traitant cette force comme une partenaire dans la recherche scientifique, l’UE a soutenu furtivement le vol de terre palestinienne et le nettoyage ethnique qui a accompagné ce vol.
Le rôle joué par les forces de police dans l’occupation par Israël n’est évidemment pas examiné dans le cadre des « contrôles éthiques » susmentionnés de l’UE.
Récemment, j’ai été en contact avec Petr Motlicek, un scientifique de l’informatique qui a coordonné un autre projet de recherche financé par l’UE et appelé Roxane.
La police israélienne participe aussi à ce projet. Pourtant, quand j’ai demandé à Motlicek s’il savait que la police israélienne avait son siège à Jérusalem-Est, il a répondu : « Non, nous ne sommes pas au courant de la chose. »
Cette ignorance est choquante, mais elle n’est absolument pas surprenante, étant donné que la participation d’Israël aux activités de l’UE n’est pas soumise aux examens minutieux qui conviendraient.
En accueillant favorablement la police israélienne, l’UE contribue à transformer l’oppression en une marchandise commercialisable.
Les outils de l’oppression seront exposés en long et en large lors d’une importante foire technologique des armes et de la surveillance qui se tiendra à Tel-Aviv plus tard ce mois-ci. Des représentants du monde des affaires et des gouvernements de l’Europe et des EU seront présents, annonce le site internet de la foire.
L’idée même de capitaliser sur une agression militaire devrait faire frémir d’horreur ces diplomates européens qui prêchent la liberté et les droits.
Pourtant, je ne puis les imaginer protestant contre l’expo de Tel-Aviv. La « sagesse » qui prévaut en ce moment, c’est que la révulsion des Occidentaux doit se tourner exclusivement vers la Russie.
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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”.
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).
Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité.
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Publié le 9 mars 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine