Comment Israël reste gagnant, même quand l’UE n’avale pas ses mensonges

Bien qu’aucun État européen n’ait accordé son soutien aux mensonges israéliennes, l’UE a néanmoins suspendu le financement de deux organisations, taxées de “terrorisme”. Et, pendant ce temps, Israël continue à espionner et à emprisonner des directeurs et des employés des organisations figurant sur la liste noire et tente de déporter Salah Hamouri, un avocat travaillant pour Addameer, actuellement détenu sans charge ni procès.

Ramallah, mars 2021. Olivér Várhelyi, un haut responsable de la Commission européenne, rencontre le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh. (Photo : Shadi Hatem / APA images)

Ramallah, mars 2021. Olivér Várhelyi, un haut responsable de la Commission européenne, rencontre le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh. (Photo : Shadi Hatem / APA images)

Maureen Clare Murphy, 10 juin 2022

Les pays européens n’avalent pas les étiquetages de « terrorisme » collés l’an dernier par Israël à plusieurs organisations palestiniennes de droits humains et de services sociaux, ont fait savoir des sources diplomatiques aux médias israéliens cette semaine.

Parmi ces organisations figurent Addameer, Al-Haq, le Centre Bisan de recherche et de développement, Defense for Children International – Palestine (DCI-P), l’Union des comités des femmes palestiniennes et l’Union des comités de travail agricole.

Israël accuse ces organisations de transférer des fonds vers le Front populaire pour la libération de la Palestine, un parti politique et organisation de résistance de gauche.

Cette organisation est interdite par Israël ainsi que par les EU et l’UE parce qu’elle a refusé de reconnaître Israël et de renoncer à la résistance armée à l’occupation et à la colonisation.

Les six organisations visées travaillent toutes en Palestine depuis des années et elles entretiennent de solides liens internationaux.

Trois des organisations représentent les victimes palestiniennes dans l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes de guerre commis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

La mise sur liste noire par Israël des organisations a été évoquée par la nouvelle commission d’enquête permanente de l’ONU qui, dans son premier rapport, publié mardi dernier (le 7 juin 2022), examine le système d’oppression israélien dans son ensemble.

La commission

« a mis le doigt non sans inquiétude sur les attaques et les efforts d’Israël visant à réduire au silence les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile plaidant pour la protection des droits humains et la responsabilisation ».

Le responsable de l’ONU pour les droits humains a déclaré que « les décisions concernant la désignation s’appuyaient sur des raisons vagues et dénuées de fondement » et que certaines des justifications d’Israël faisaient « référence à des activités entièrement pacifiques et légitimes autour des droits humains ».

En avril, une douzaine d’experts indépendants des droits humains travaillant pour l’ONU ont prié instamment les gouvernements de relancer le financement des organisées portées sur les listes noires.

Des preuves insuffisamment contraignantes

Des représentants diplomatiques de six pays ont déclaré dans le quotidien Haaretz de Tel-Aviv

« que, par voie diplomatique et via les renseignements, Israël leur avait transmis du matériel censé étayer ses allégations contre les organisations »,

a rapporté le journal mercredi.

« C’est simple, on nous a donné des preuves et nous ne les avons pas trouvées assez contraignantes »,

a déclaré un diplomate à Haaretz.

« Un autre a expliqué que les responsables dans la plupart de ces États croient que les preuves soumises par Israël ‘n’atteignent pas le niveau de probation requis pour dire qu’il y a bien eu des transferts de fonds’ »,

a ajouté le journal.

Bien qu’aucun État européen n’ait accordé son soutien aux désignations israéliennes, seule la Belgique a déclaré publiquement que les allégations de Tel-Aviv étaient sans fondement.

Dans un étalage de servilité extrême envers Israël, l’Union européenne a néanmoins suspendu le financement de deux des organisations – Al-Haq et l’Union des comités de travail agricole – et d’autres donateurs ont reporté leurs contributions dans le même temps qu’ils allaient examiner les allégations de Tel-Aviv.

Des sources diplomatiques ont informé Haaretz qu’il était inhabituel pour la Commission européenne – le corps exécutif de l’UE – de geler son soutien à Al-Haq, adoptant de la sorte une position s’écartant de celle des États membres de l’UE.

Cela signifie, en effet, que les responsables non élus de Bruxelles imposent leur propre politique étrangère aux gouvernements élus des États membres de l’UE.

Des diplomates ont fait savoir au journal qu’Olivér Várhelyi, un haut responsable de la Commission européenne, était derrière cette démarche.

Várhelyi est la force motrice opérant derrière la retenue par l’UE de quelque 230 millions de USD dans le financement des patients palestiniens du cancer et d’autres services d’une importance vitale.

Le paiement est retardé depuis l’an dernier

« puisque l’Union européenne continue de conditionner le versement de l’argent en fonction de changements spécifiques dans les manuels scolaires palestiniens »,

a déclaré le Conseil norvégien des réfugiés le mois dernier.

Várhelyi a été désigné à son poste par Viktor Orbán, le Premier ministre d’extrême droite de sa Hongrie natale, qui a fait circuler des slogans antisémites durant ses campagnes électorales et a conféré un statut de héros à un collaborateur nazi – de véritables manifestations de sectarisme antijuif qui n’ont toujours pas été condamnées par Várhelyi.

Dans l’intervalle, les Pays-Bas ont mis un terme à leur soutien de l’Union des comités du travail agricole (UAWC), même si une enquête du gouvernement n’a trouvé « aucune preuve » de « flux financiers » entre l’Union et le FPLP.

La Haye a cessé son financement sur base de l’affiliation politique du personnel et des membres du CA de l’UAWC dans leurs capacités personnelles – punissant effectivement de la sorte une organisation tout entière et tous ses bénéficiaires en raison des sympathies supposées de certains membres de son personnel et de son CA.

« Un impact incalculable »

Ainsi donc, alors que le bureau antifraude de la Commission européenne n’est pas censé enquêter sur les organisations, Israël « a obtenu ce qu’il voulait », en tout cas, comme l’a admis une source diplomatique en s’adressant à Haaretz.

« Cela a sapé le travail de ces organisations palestiniennes et a eu un impact incalculable sur les communautés qu’elles soutiennent »,

ont déclaré les experts de l’ONU en avril.

The Electronic Intifada a adressé une requête à l’Union européenne afin qu’elle fasse figurer dans le rapport sa position à propos des désignations israéliennes.

Pendant ce temps, Israël a continué à espionner et à emprisonner des directeurs et des employés des organisations figurant sur la liste noire.

Israël tente de déporter Salah Hamouri, un avocat travaillant pour Addameer, actuellement détenu sans charge ni procès.

Israël détient Hamouri, né à Jérusalem et de citoyenneté française, depuis début mars et, en début de semaine, a prolongé son ordonnance de détention administrative d’une nouvelle durée de trois mois, et ce, le matin même où il devait être libéré.

Tel-Aviv cherche à révoquer la domiciliation permanente de Hamouri et de le transférer de force hors de Jérusalem sur base d’une « rupture d’allégeance » à Israël.

Israël a expulsé la femme de Hamouri, Elsa Lefort, en 2016, alors qu’elle était enceinte de sept mois. Elsa Lefort, qui est de nationalité française, et les enfants du couple, sont interdits d’entrée en Israël.

La persécution de Hamouri par Israël a été portée à la connaissance de la Cour pénale internationale.

Le Centre des droits constitutionnels, qui a son siège à New-York, et la Fédération internationale des droits humains (FIDH), qui a son siège à Paris, ont porté à la connaissance du procureur principal de la CPI que le cas de Hamouri était un « exemple frappant et une mise en garde contre les tactiques nouvelles » appliquées dans les efforts de longue haleine d’Israël en vue de chasser les Palestiniens de Jérusalem.

Israël a également imposé des interdictions de voyager à des membres du personnel et il s’avère que les EU ont interdit à Sahar Francis, la directrice d’Addameer, de se rendre sur leur territoire en raison des désignations israéliennes.

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Publié le 10 juin 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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