Biden rentre chez lui les mains vides

En dehors du fait d’avoir fait valoir ses références sionistes, le président américain Biden n’a rien engrangé de sa visite dans la région.

Cartoon Biden's trip to Saoudi Arabia and Israel : Carlos Latuff

Cartoon : Carlos Latuff

Abdel Bari Atwan, 18 juillet 2022

Quand l’ancien président américain Donald Trump est rentré chez lui de sa brève visite (36 heures) à Riyadh, il avait plus de 460 millions de USD dans sa poche. Quant à son successeur Joe Biden, c’est les mains vides qu’il a quitté Djeddah cette semaine pour regagner la Maison-Blanche, en dehors de quelques accords et promesses provisoires qui servent Israël plutôt que son propre pays : entre autres, permettre les survols israéliens de l’espace aérien saoudien en échange de la reconnaissance officielle du transfert des îles Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite – et peut-être la levée du veto américain supposé à la succession du prince héritier Muhammad Bin-Salman (MBS) au trône saoudien de son père.

Durant sa visite au Moyen-Orient, Biden a donné une expression pratique à sa déclaration disant « vous ne devez pas être juif pour être sioniste ». Alors qu’il était en Palestine occupée, il a sorti une prétendue « déclaration de Jérusalem » souhaitant le soutien inconditionnel et perpétuel des EU à Israël et à sa sécurité et promettant de ne jamais permettre à l’Iran d’acquérir des armes nucléaires. Ce faisant, il se révélait plus sioniste que les sionistes eux-mêmes.

En Arabie saoudite, Bin-Salman a délibérément insulté Biden, qui l’avait menacé de le traiter comme un « paria », à propos de l’assassinat de Khashoggi. Le prince héritier a envoyé le gouverneur de La Mecque pour rencontrer le président américain à l’aéroport de Djeddah mais s’est présenté en personne pour saluer les huit autres dirigeants participant au sommet et les embrasser avec ostentation. Le message était clair : il s’agissait bien d’une rebuffade à l’adresse de son hôte américain. Il avait traité le président turc Recep Tayyip Erdogan de façon similaire lors de sa visite en Arabie saoudite et l’homme était retourné chez lui sans un seul riyal ou investissement, sans la moindre affaire commerciale ou contrat d’armement.

Biden s’est révélé comme un menteur hors du commun en laissant tomber toutes ses menaces et propos virulents sur l’Arabie saoudite et en faisant le contraire de ce qu’il avait annoncé. Il avait déclaré qu’il ne rencontrerait pas MBS séparément, qu’il ne lui serrerait pas la main et qu’il ne le verrait qu’en même temps que les dirigeants du Golfe et autres dirigeants arabes participant au sommet. La prise de vue en direct sur nos écrans de TV a contredit tout cela.

Il est vrai que Biden a soulevé l’affaire Khashoggi, a dénoncé son assassinat et a réitéré son engagement envers les droits humains. Mais c’était du bla-bla pour les médias et les organes de presse qui l’accompagnaient.

C’est à contrecœur que Biden s’est rendu en Arabie saoudite afin d’y réaliser quelques objectifs : une augmentation de la production de pétrole saoudienne et de celle du Golfe afin de faire baisser les prix ; la mise en place d’une OTAN entre le Golfe et Israël afin de pouvoir affronter l’Iran et la poursuite des démarches de normalisation en vue d’intégrer Israël à la région.

Il s’avère qu’il n’a atteint aucun de ces objectifs. L’Égypte, la Jordanie et les EAU ont tous signalé qu’ils ne feraient partie d’aucun axe anti-Iran et qu’ils voulaient au contraire améliorer leurs liens avec Téhéran. Et MBS a fait savoir clairement dans son discours d’ouverture du sommet qu’il n’était pas possible d’accroître la production de pétrole de façon significative dans un futur prévisible.

On ne voit pas très bien quel sérieux accorder à l’affirmation de Biden selon laquelle l’Arabie saoudite souscrit à la « Déclaration de Jérusalem » concernant l’Iran – c’est-à-dire est engagée à recourir à tous les moyens nécessaires pour l’empêcher de fabriquer des armes nucléaires.

C’est on ne peut plus douteux. Il n’y a pas eu de confirmation officielle. De plus, le communiqué du sommet parlait en termes généraux de la nécessité pour la région de se muer en une zone sans nucléaire, sans mentionner spécifiquement l’Iran (ni non plus, en fait, l’important arsenal nucléaire d’Israël). Pourquoi les États arabes devraient-ils combattre dans les guerres des EU et d’Israël contre l’Iran et en leur nom, ou s’autoriser eux-mêmes à devenir leurs zones sans nucléaire ?

Si l’Arabie saoudite voulait en effet se joindre à ce genre d’alliance, elle serait virtuellement le seul pays arabe ou du Golfe disposé à agir de la sorte.

Un autre point valant la peine d’être noté dans le discours de Biden, c’est sa promesse d’empêcher la Russie, la Chine, l’Irak de combler le « vide » et de dominer le Moyen-Orient – comme si la région était une vassale des EU et de leurs alliés israéliens. Comment voudrait-il atteindre ce but alors que la majeure partie des dirigeants de la région ont perdu confiance dans les EU suite aux défaites de ces derniers en Afghanistan et en Irak, et présentement en Ukraine – où l’arme des sanctions sur laquelle comptait Biden a échoué ; il n’enverra aucun soldat américain sur place et même les armes qu’il a envoyées ont été volées et vendues au marché noir.

L’Iran a salué Biden de deux camouflets au visage : une démonstration du savoir-faire de ses drones au-dessus du Golfe et un sommet imminent avec le président Vladimir Poutine qui est sur le point de visiter l’Iran pour des pourparlers auxquels pourrait se joindre Erdogan. Cela équivaudrait à une troisième gifle. Ce pourrait être le signe avant-coureur d’une contre-alliance face à toute « OTAN arabe » dirigée par Israël et sponsorisée par les EU.

Les équations politiques et économiques au Moyen-Orient changent en faveur de l’axe sino-russo-iranien. Les EU ne sont plus ce qu’ils étaient dans le passé, ni non plus ce qu’ils seront dans le futur après l’échec qui les attend incessamment en Ukraine. Ceux qui parient là-dessus font des paris perdants.

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Abdel Bari AtwanAbdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du site Rai al-Youm (“L’opinion d’aujourd’hui”, un site qui se veut nationaliste arabe, antisaoudien et antisioniste). Il est l’ancien directeur du quotidien Al-Quds Al-Arabi et l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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Publié le 18 juillet 2022 sur Rai al-Youm
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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