Jaap Hamburger : “Ne mettez pas les juifs à part dans la lutte contre le racisme”

Jaap Hamburger considère la lutte contre le sectarisme antijuif comme faisant partie de la lutte contre toutes les formes de discrimination et de racisme. Il découle de la même source : l’hyper-nationalisme et le chauvinisme.

Jaap Hamburger. (Photo : Bas Joosse)

Adri Nieuwhof, 15 juillet 2022

« Je déteste le mot ‘Holocauste’ », répond Jaap Hamburger quand on lui demande ce que c’était que d’avoir été élevé dans une famille de survivants. « Pour moi, le mot représente l’américanisation de l’histoire européenne. »

Aux États-Unis, les acteurs aux visages maquillés devaient passer pour des juifs persécutés à la télévision, se souvient Jaap. Mais, aux Pays-Bas, les images réelles de la Seconde Guerre mondiale dominaient les écrans, au moment où il grandissait, dans les années 1960.

« Les expériences de temps de guerre ont toujours été à l’arrière-plan de la famille juive où j’ai été élevé », a expliqué Jaap à The Electronic Intifada.

Jaap Hamburger est né en 1950, quelques années après la guerre. Il avait un frère et une sœur plus âgés, nés respectivement en 1940 et 1943.

Sa mère Rosa Sophie Engers et son père David Abraham Hamburger ont tenté de protéger leurs enfants en les envoyant dans la clandestinité. Mais un traître a révélé leur adresse aux occupants allemands et les deux enfants ont été déportés.

Le frère de Jaap, Albert David, a survécu aux camps nazis mais sa sœur, toute petite encore, est décédée en octobre 1944, dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Elle n’avait même pas vécu une année entière.

Son nom, Henriette Hamburger, a été enregistré par le United States Holocaust Memorial Museum (Musée des EU à la mémoire de l’Holocauste).

La guerre et ses retombées ont façonné le point de vue de Hamburger sur l’antisémitisme et sur la façon dont il est aujourd’hui transformé en arme en tant qu’accusation contre la lutte du peuple palestinien pour sa libération – une lutte que lui, Jaap Hamburger, soutient de toutes ses forces.

Le cadavre dans le placard

Aujourd’hui, Jaap Hamburger préside l’association Een ander Joods Geluid (Une autre voix juive) – connue par ses initiales en néerlandais EAJG – et il est membre du conseil d’administration de The Rights Forum (Le Forum des droits), fondé par l’ancien Premier ministre Dries Van Agt. Les deux organisations défendent les droits des Palestiniens.

« Mon contexte juif n’était ni religieux, ni traditionnel, ni sioniste mais, néanmoins, il était très juif parce que le cadavre de la Seconde Guerre mondiale était dans le placard »,

déclare Jaap.

« Il ne vous était pas permis d’ouvrir cette porte. Et, quand elle s’ouvrait, tout le monde regardait avec horreur ce qu’il y avait derrière. J’ai été élevé dans l’atmosphère d’un tabou émotionnel autour de la guerre. »

Mais, même si on n’en parlait pas ouvertement, la guerre a laissé des marques profondes.

« Ma mère détestait tout ce qui était allemand », se souvient Hamburger. « Mon père aussi. »

La mère de Jaap aura été traumatisée par la guerre toute sa vie.

« Elle a développé un amour insensé pour Israël sans se rendre compte de la façon dont ce pays était né »,

explique Jaap Hamburger. 

« Elle parlait de ‘nos’ oranges, quand elle parlait des oranges de Jaffa. Cela m’énervait beaucoup. »

« Mon père gérait sa douleur différemment »,

dit Jaap. Il a rallié Terre des Hommes, une organisation qui défend les droits des enfants, ainsi que l’Alliance humaniste.

« Il aidait les gens qui venaient lui demander des conseils à propos de leurs problèmes. Il donnait également des conférences sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, par exemple »,

dit Jaap.

« La tolérance était une valeur très importante, à ses yeux. »

La mère de Jaap et ses parents ont survécu parce qu’ils se sont cachés avec l’aide de Hollandais non juifs.

Mais les parents et le frère de son père ont été assassinés à Auschwitz.

Quant au père de Jaap, il a pu survivre même sans se cacher, du fait qu’il travaillait pour le géant de l’électronique, Philips.

On prétend que le président de la société pendant la guerre, Frits Philips, a sauvé la vie de centaines de travailleurs juifs en les plaçant dans un « bureau spécial » dont le travail était indispensable, ce qui convainquit les nazis.

« Tous les travailleurs juifs ont été placés dans l’atelier de ce bureau spécial, et ils y jouissaient d’une certaine protection »,

explique Jaap.

« Mais, au bout de quelques années, les nazis ont voulu fermer le bureau. En tant qu’officier conscrit hollandais, mon père a répondu à l’appel des occupants allemands à se rendre en captivité. »

Il avait calculé – correctement, s’était-il avéré – que ses chances de survie étaient meilleures en tant que prisonnier de guerre.

Tous ceux qui avaient survécu avaient déjoué les pronostics : Pendant la guerre, les trois quarts de la population juive des Pays-Bas ont été assassinés par les nazis et leurs collaborateurs. Soit la proportion la plus élevée de l’Europe occidentale.

Et pourtant, Jaap Hamburger est toujours mal à l’aise avec le terme « Holocauste ».

« Que diable, nous, Européens, avons-nous à voir, avec ce mot américain issu de l’étymologie grecque antique ? »,

demande-t-il.

« Les termes ‘survivant de l’Holocauste’ suggèrent souvent qu’il s’agit de personnes qui ont connu les camps de concentration ou d’autres institutions nazies pendant la guerre »,

explique Hamburger.

« Mes parents ont survécu à la guerre et à la destruction parce que ma mère s’est cachée et que mon père a été prisonnier de guerre. »

Parler de la persécution des juifs n’est pas une alternative adéquate au terme « Holocauste », pour Jaap, car cela ne couvre pas l’assassinat en masse du peuple juif.

« Je préfère le terme ‘judéocide’, bien qu’il ne soit pas idéal non plus, mais je le préfère à cet horrible mot, ‘Holocauste’ », dit-il.

Faire une arme de l’antisémitisme

Au vu d’un tel contexte, Jaap  n’a besoin de personne pour lui expliquer l’importance de contrer le sectarisme antijuif.

Pourtant, il voit un problème dans le fait que les Pays-Bas ont nommé un coordinateur national afin de lutter contre l’antisémitisme – la même approche adoptée par d’autres pays occidentaux et par l’Union européenne.

« Je suis convaincu que d’autres groupes de notre société sont plus souvent confrontés à des formes de discrimination, d’opposition et de suspicion que la population juive »,

affirme-t-il.

« Pourquoi avons-nous besoin d’un coordinateur séparé pour les juifs et d’un autre pour tous les autres ? »

« Les Juifs s’opposent toujours à être séparés des autres – et à juste titre – comme s’ils étaient une espèce humaine spéciale »,

dit Jaap Hamburger.

« Mais ils ne soulèvent aucune objection si cela peut leur procurer un avantage. »

Il soutient qu’il n’y a pas d’antisémitisme aux Pays-Bas à quelque échelle que ce soit qui justifie la nomination d’un coordinateur national. Il est vrai que certaines personnes expriment occasionnellement des pensées antisémites et pourraient même trouver la validation de leurs dires chez d’autres usagers des réseaux sociaux.

« Mais il n’est pas question d’un parti politique ou d’un corps de pensée dominant dans la politique ou la société, ou d’un dirigeant avec un nombre énorme d’adeptes et avec un programme ouvertement antisémite, sans parler de l’antisémitisme de la part de l’État »,

dit Jaap.

« Ce n’est pas du tout le cas, aux Pays-Bas. »

Pendant des années, l’antisémitisme présumé a été surveillé par le CIDI, un important groupe de pression pro-israélien aux Pays-Bas.

Mais, selon Jaap Hamburger, le CIDI

« a tout intérêt à faire apparaître l’antisémitisme comme un problème plus important qu’il ne l’est car c’est une arme pour étouffer les discussions sur Israël ».

La politisation et l’abus du terme « antisémitisme » l’ont dépouillé de toute utilité, estime Hamburger.

« La fumée d’Auschwitz souffle sur le mot antisémitisme »,

dit-il, citant Hajo Meyer, qui a survécu à ce camp de la mort et est décédé en 2014.

L’antisémitisme « est utilisé à la fois pour Auschwitz et pour une pierre tombale endommagée dans un cimetière », fait remarquer Hamburger.

« Ce n’est pas un cadre conceptuel analytique utile. Je suis donc favorable à la suppression du terme. »

Par contre, Jaap Hamburger considère la lutte contre le sectarisme antijuif comme faisant partie de la lutte contre toutes les formes de discrimination et de racisme. Il découle de la même source : l’hyper-nationalisme et le chauvinisme.

Une plainte adressée au ministère de la justice

L’année dernière, A Different Jewish Voice – avec d’autres, dont votre serviteur – a déposé une plainte officielle contre le coordinateur national de la lutte contre l’antisémitisme, Eddo Verdoner.

Le gouvernement néerlandais a désigné Verdoner au poste nouvellement créé en avril 2021.

Lorsque Verdoner a été nommé, il était évident pour Jaap Hamburger qu’à l’instar de son homologue allemand Felix Klein et de la coordinatrice européenne de l’antisémitisme Katarina von Schnurbein, il se servirait de cette fonction, non pas pour combattre la haine contre les juifs, mais pour protéger l’État d’Israël.

Il faut savoir que Verdoner a longtemps été membre du conseil d’administration du CIDI, le groupe de pression pro-israélien.

Jaap Hamburger fait également remarquer que l’organisation néerlandaise pro-israélienne CJO (Central Jewish Consultation) a fait pression en faveur de la création du poste avec le soutien des députés de droite pro-israéliens Dilan Yeşilgöz-Zegerius, ministre hollandais de la Justice depuis janvier, et Joël Voordewind, un chrétien sioniste.

Et, en effet, le bureau du coordinateur national a rapidement commencé à utiliser les comptes officiels des médias sociaux officiels en faveur du plaidoyer pro-israélien.

C’est ce qui a motivé la plainte auprès du ministère de la Justice, lequel a désigné une commission externe afin de l’examiner.

Le comité a conclu que Verdoner était allé au-delà de ce à quoi on pouvait s’attendre compte tenu de son

« rôle et de sa position officielle, et des normes gouvernementales de diligence et de désescalade ».

Il a conseillé au ministre de la justice de resserrer son mandat afin d’éviter le genre d’expressions soulevées dans la plainte.

Le comité a également constaté que la plainte avait été improprement traitée.

« Les plaignants ne devraient pas être forcés d’appeler ou de renouveler leur plainte à plusieurs reprises parce que des lettres se sont égarées »,

a-t-il mis en garde.

Il a demandé au ministre de la Justice d’enquêter sur la façon dont la plainte avait apparemment été perdue et avait ensuite mis si longtemps à être traitée. Les plaignants attendent toujours la réponse du ministère.

Mais Jaap Hamburger pense que la plainte a peut-être amené Verdoner à s’exprimer un ton plus bas, même si, « bien sûr, sa pensée n’a pas changé d’un iota ».

« Chaque fois qu’il en verra l’occasion, il fera certainement entrer subrepticement Israël dans la discussion sur la lutte contre l’antisémitisme aux Pays-Bas »,

estime Jaap.

Organisez-vous er ayez un minimum de courage

Cette année, Students for Palestine a organisé une série d’activités durant la Semaine contre l’apartheid israélien (IAW) dans les universités néerlandaises.

Jaap a participé à un débat lors de l’événement national de clôture de l’IAW.

Il a fait remarquer que certains étudiants pouvaient se sentir préoccupés par de fausses accusations d’antisémitisme.

« Si je me compare à eux, je suis en bonne position. Je suis juif de naissance et d’éducation »,

a-t-il déclaré.

« Et les accusations d’antisémitisme ou la variante d’être’ un Juif qui se déteste’ m’échappent. Comme si critiquer Israël allait soudainement faire de vous une personne qui se déteste. »

Aujourd’hui, à un peu plus de 70 ans, Hamburger n’a plus à se soucier de sa carrière. Mais pour les jeunes, c’est différent. Ils font face à des campagnes de diffamation organisées – comme Canary Mission aux États-Unis.

Jaap Hamburger comprend parfaitement qu’ils ont des raisons d’être inquiets. Son conseil est de toujours agir ensemble et de s’assurer le soutien de tierces parties nanties d’une certaine forme d’autorité.

Il les exhorte également « à faire preuve d’un minimum de courage et à ne pas se laisser intimider ».

Les étudiants peuvent se réjouir de la percée de la prise de conscience qu’Israël est un État d’apartheid.

« Il existe des arguments convaincants provenant de milieux très différents », dit-il.

Jaap fait remarquer que le sionisme a commencé comme une forme d’émancipation pour les Juifs d’Europe centrale et orientale, surtout en Ukraine et en Russie (*).
Mais, au moment où ce mouvement est venu en Palestine pour la coloniser – et peut-être dès ses débuts – le sionisme est devenu un mouvement d’oppression.

« Tout cela renforce ma conviction qu’il y a quelque chose de terriblement pourri dans l’État d’Israël », dit Jaap Hamburger.

Les étudiants peuvent se sentir inspirés par les paroles de Jaap afin de poursuivre leurs efforts de solidarité avec les Palestiniens qui luttent pour leur libération.

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Adri Nieuwhof, qui vit aux Pays-Bas, défend les droits de l’homme et est une ancienne militante anti-apartheid du Comité hollandais sur l’Afrique australe.

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Publié le 15 juillet 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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(*) Lisez à ce propos le point de vue de Ghassan Kanafani : Le révolutionnaire en tant que critique : De la littérature sioniste

 

 

 

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