Ra’afat Al-Issa, “le martyr du pain quotidien”

Ra’afat Al-Issa a été tué par des soldats israéliens alors qu’il se faufilait par une brèche du mur de l’apartheid afin de se rendre à son travail. On le surnomme désormais le « martyr du pain quotidien ».


Des Palestiniens portent le corps de Ra’afat Al-Issa, abattu et tué par les forces israéliennes alors qu’il se faufilait par une brèche du mur de l’apartheid à proximité de Jénine. (Photo : Ahmed Ibrahim / APA Images)

Des Palestiniens portent le corps de Ra’afat Al-Issa, abattu et tué par les forces israéliennes alors qu’il se faufilait par une brèche du mur de l’apartheid à proximité de Jénine. (Photo : Ahmed Ibrahim / APA Images)

 

Mariam Barghouti, 10 novembre 2022

Mercredi après-midi 9 novembre, les forces israéliennes ont tué un Palestinien à Jénine – le second en 12 heures. Ra’afat Al-Issa avait 29 ans et a été abattu à proximité d’une ouverture dans le mur de l’apartheid à l’ouest de Jénine.

Son corps est resté à la morgue jusqu’au moment où ses parents, qui vivent en Jordanie, ont pu arriver sur place afin d’enterrer leur jeune fils, tué en raison de la nécessité qu’il avait de gagner sa vie.

Jeudi, 10 novembre, le père d’Al-Issa a baisé le front froid de son fils avant qu’on ne le laisse reposer dans son village de Sannour, à 26 km au sud-est de Jénine. Plus de 200 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis le début de l’année et 50 d’entre eux l’ont été à Jénine, selon le ministère palestinien de la Santé.


Négligence médicale et retard délibéré

Ra’afat Al-Issa, un travailleur palestinien, a été abattu près du mur de l’apartheid israélien situé dans la partie occidentale de Jénine. Il tentait d’atteindre l’endroit où il travaillait. Non seulement il a été abattu, mais les soldats lui ont refusé tous soins médicaux, alors qu’il se vidait de son sang.

« Sa jambe était gonflée comme un ballon », a expliqué à Mondoweiss Mahmoud Al-Saadi, le chef de la Société du Croissant-Rouge palestinien à Jénine

« Il a été touché aux cuisses, à une artère importante ; il s’en est suivi une hémorragie interne et cela lui a finalement coûté la vie. »

Selon Al-Saadi, l’homme blessé s’est vu reporter les soins médicaux pendant près d’une heure et demie avant d’être finalement confié aux services médicaux palestiniens. « Son visage était pâle », a dit Al-Saadi de l’homme abattu. « Il avait soif et il demandait de l’eau ; il ne semble pas que les soldats lui en aient donné », a-t-il ajouté.

En tant que Palestinien avec une CI de Cisjordanie, l’armée israélienne ne l’a pas emmené aux soins dans un hôpital israélien, bien qu’elle ait été responsable de sa blessure. Cette pratique, qui va bien au-delà du meurtre d’Al-Issa, a été reprise dans la catégorie des « soins conditionnels » par les commentateurs palestiniens.

« Le cas d’Al-Issa comporte trois volets », a expliqué Al-Saadi à Mondoweiss.

« Primo, il y a le tir sur Al-Issa, puis le déplacement d’Al-Issa et la fourniture de soins sur place et, trois, la manière dont l’homme blessé nous a été confié par l’armée israélienne.»

Toutefois, outre la façon dont Al-Issa a été maltraité, son cas jette aussi la lumière sur un quatrième volet – la situation des ouvriers palestiniens travaillant en Israël. Al-Issa, surnommé désormais « le martyr du pain quotidien », illustre bien le coût douloureux à payer pour assurer son pain quotidien en Palestine et l’impact du mur de l’apartheid sur la sûreté et la sécurité financière des Palestiniens.


Le martyr du « pain quotidien » : le gagne-pain comme contexte

Même avant la crise économique provoquée par la pandémie mondiale de la COVID-19, près de 47 pour 100 des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza en état de siège étaient appauvris ou vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Au cours de la décennie écoulée, ce phénomène s’est amplifié à un taux alarmant en Cisjordanie.

Le mur de l’apartheid entrave l’accès des Palestiniens venant de Cisjordanie et de Jérusalem à la Palestine historique (les terres faisant partie de ce qui est aujourd’hui l’État d’Israël).

Érigé au début des années 2000, le mur de béton a été manifestement construit comme une stratégie censée dissuader la résistance armée palestinienne. Deux décennies plus tard, toutefois, il a clairement échoué dans cet objectif, particulièrement à la lumière de la résurgence de la résistance armée palestinienne en Cisjordanie.

Le mur de l’apartheid — qui fait partie de l’occupation militaire illégale de la Cisjordanie – permet également un meilleur contrôle des mouvements palestiniens, tout particulièrement de ceux des ouvriers palestiniens.

Les ouvriers palestiniens, même les enfants, font souvent l’objet d’abus systématiques de la part de leurs employeurs israéliens, mais aussi de la part des militaires de garde aux check-points qu’il leur faut franchir. Pire encore, Israël tient les Palestiniens captifs en utilisant leur système de permis pour leur refuser ou leur accorder officiellement du travail.

Ceci oblige un segment important des Palestiniens à chercher des voies alternatives afin de s’assurer un gagne-pain, même s’il s’agit d’emplois informels. Ils sont nombreux qui, afin de rallier leur lieu de travail, se faufilent par des brèches du mur de l’apartheid. Le danger auquel ils sont confrontés en passant par ces brèches a considérablement augmenté au cours de l’année écoulée.

Uniquement en juillet dernier, les soldats israéliens ont lynché et tué Ahmad Ayyad, 32 ans, au moment où il passait par une brèche du mur à l’extérieur de Tulkarem. Ayyad avait un permis de travail valable pour Israël et il se débattait contre une maladie du côlon. Au moment de rédiger le présent article, il n’y a toujours pas eu de responsabilisation du délit que constitue ce meurtre.

« Les événements se répètent », a déclaré Al-Saadi à Mondoweiss alors qu’il repensait à ses années comme infirmier à Jénin au début des années 2000. « C’est horrible. »

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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine 

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Article publié le 10 novembre 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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