Comment le lobby pro-israélien achète le soutien aux crimes de guerre

Se livrer à du lobbying pour minimiser la signification des crimes de guerre constitue une ingérence étrangère dans le travail de l’UE. Pourtant – du fait que Bruxelles est en train de devenir la capitale de l’hypocrisie – l’ingérence étrangère n’est mise au pilori que lorsque certains États s’y livrent, et pas d’autres.

 

Isaac Herzog, président d’Israël, et Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, échangent des regards admiratifs peu après le massacre de Jénine, cette semaine. (Photo : via Twitter)

Isaac Herzog, président d’Israël, et Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, échangent des regards admiratifs peu après le massacre de Jénine, cette semaine. (Photo : via Twitter)

 

David Cronin, 27 janvier 2023

Les scandales sont comme les jours de soleil à Bruxelles : suffisamment rares au point que ce serait une honte de ne pas en profiter.

Ces quelques derniers mois, les colporteurs de ragots ont eu de quoi s’amuser longuement avec le Qatargate. On spécule beaucoup à propos des prochaines personnalités qui pourraient être arrêtées.

Nombre de représentants élus et leur équipe manifestent d’évidents signes de nervosité.

Un ancien membre du Parlement européen (MPE) – en détention et attendant son procès à propos d’allégations disant qu’il aurait organisé des pots-de-vin – a accepté une négociation de peine à condition de cracher le morceau sur ses collaborateurs.

Des preuves trouvées lors de raids de la police indiquent que le Qatar a donné des sacs d’argent liquide et fait d’autres cadeaux à des MPE. Les députés impliqués dans la controverse avaient proposé de prendre la défense du palmarès du Qatar concernant les droits des travailleurs, au moment où le pays s’apprêtait à accueillir la Coupe du Monde.

La réponse officielle du Parlement européen a consisté à feindre l’état de choc. En décembre, il approuvait une résolution dénonçant les tentatives présumées du Qatar en vue d’influencer les MPE comme étant

« une grave ingérence étrangère dans les processus démocratiques de l’UE ».

Certains types d’ingérence étrangère méritent davantage que d’autres, évidemment, d’être dénoncés.

Quelques heures à peine après qu’Israël avait tué neuf personnes à Jénine, en Cisjordanie, jeudi matin, Isaac Herzog, le président de l’État, posait les pieds sur le tapis rouge du Parlement européen. Herzog était en ville pour une « séance solennelle » destinée à marquer la Journée de souvenir de l’Holocauste.

 

En recevant le chef d’un État qui vient tout juste de perpétrer un massacre, le Parlement européen a insulté non seulement les Palestiniens, mais aussi les victimes des nazis.

Israël exploite constamment les crimes commis contre les Juifs européens afin de justifier son oppression incessante des Palestiniens. Il est indigne que le Parlement européen prête la moindre légitimité à cette exploitation.

 

Une douzaine de personnalités louches

Jusqu’à présent, Israël et des partisans n’ont pas été pris à récompenser avec de l’argent liquide les MPE bien disposés à leur égard. N’empêche, il existe de nombreuses preuves qu’Israël recourt à ce genre d’« influence étrangère » que le Parlement européen abhorre tellement, du moins nominalement.

Au total, 38 MPE ont rallié le regroupement Transatlantic Friends of Israel (Amis transatlantiques d’Israël). Parmi ces 38, une douzaine ont fait des déclarations montrant comment ils ont participé à des voyages financés par le lobby pro-israélien depuis qu’ils ont été élus en 2019.

La députée grecque Anna-Michelle Asimakopoulou fait partie de cette douzaine de personnalités louches.

Elle a reconnu avoir participé à trois voyages organisés par des groupes de pression pro-israéliens entre 2019 et 2022.

En sus de ces trois voyages, elle a également participé à une visite aux Émirats arabes unis (EAU). L’itinéraire de ce voyage comprenait un entretien avec l’ambassadeur d’Israël à Abou Dhabi à propos des accords d’Abraham – les accords de normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes.

L’un des trois voyages mijotés par le lobby pro-israélien a eu lieu fin octobre et début novembre l’an dernier. Il n’était pas bon marché.

La déclaration d’Assimakopoulou indique qu’elle était inscrite pour trois nuits dans le Royal Beach Hotel (cinq étoiles) de Tel-Aviv. Elle a passé une nuit de plus à l’Orient Hotel de Jérusalem – un endroit proposant « une élégance sans égale dans la ville cosmopolite animée », à en croire ses propriétaires.

La note du séjour a été couverte par l’European Leadership Network, une espèce de société qui applaudit à l’agression israélienne envers les Palestiniens dans la ville fameusement cosmopolite de Jérusalem.

Un autre voyage auquel elle a participé était organisé par l’American Jewish Committee. Il proposait la visite d’une colonie israélienne en Cisjordanie occupée, ainsi qu’un briefing autour de la politique israélienne de peuplement.

Le but tacite de ce genre d’exercices est de persuader les MPE de rejeter la politique officielle de l’UE. Les gouvernements de l’UE – en compagnie de chaque État du monde, sauf Israël – perçoivent la construction et l’expansion des colonies en Cisjordanie, Jérusalem-Est y compris, comme illégales.

Ce voyage a eu lieu en octobre 2019. Quelques semaines plus tard, la Cour européenne de justice décrétait que les exportations d’aliments des colonies israéliennes devaient être correctement étiquetées.

Assimakopoulou et nombre de membres du Parlement européen ont réagi au verdict en signant une déclaration des Transatlantic Friends of Israel, qui disait entre autres ceci :

« Dans le contexte de l’accroissement de l’antisémitisme et de la haine envers Israël, nous sommes inquiets de ce que l’étiquetage pourrait faire le jeu de ceux qui cherchent à diaboliser et isoler le seul État juif. »

 

Une maîtrise excellente

Lukas Mandl, un MPE autrichien, a participé au même voyage qu’Assimakopoulou en 2019.

Manifestement, il en est revenu avec une excellente maîtrise des points de discussion israéliens. Quand le Parlement européen a organisé un débat sur la colonisation de la Cisjordanie, fin novembre 2019, Mandl a prétendu que « si nous devions isoler la question des colonies de tout le reste, cela signifierait violer le processus de paix », puisque « ce n’en est qu’un aspect parmi tant d’autres ».

Les Transatlantic Friends of Israel n’ont rien – même après de sérieux efforts d’imagination – d’une organisation modérée.

Réunissant des membres des diverses assemblées élues, on y rencontre par exemple Avigdor Lieberman, qui a détenu naguère les portefeuilles de la défense et des affaires étrangères au sein du gouvernement israélien. Il a réclamé la décapitation de citoyens palestiniens d’Israël et a autorisé les tueries de masse de manifestants à Gaza.

Les Transatlantic Friends of Israel n’ont aucun scrupule non plus à admettre des hommes politiques européens au profil décidément antiprogressiste.

Parmi leurs adhérents figure le MPE hollandais Bert-Jan Ruissen. C’est une personnalité de pointe du Parti politique réformé, qui s’est constitué autour de l’opposition au vote des femmes.

Ruissen a déclaré avoir participé à deux voyages financés par l’Israel Allies Foundation (Fondation des alliés d’Israël). Cette association a été mise sur pied par feu Binyamin Elon, un colon fanatique (et parfois ministre du gouvernement) directement impliqué dans des tentatives en vue de forcer les Palestiniens de quitter Sheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem-Est.

De retour à Bruxelles, Ruissen a accueilli avec enthousiasme des visites du meneur des colons, Yossi Dagan. Ruissen lui-même figure sur un enregistrement au cours duquel il dit que « Israël a le droit de revendiquer la Judée et la Samarie [la Cisjordanie] ».

 

Israël n’a pas ce droit.

L’occupation militaire qui a débuté en juin 1967 implique des violations quotidiennes des lois internationales. La construction de colonies en Cisjordanie est un crime de guerre, d’après la Quatrième Convention de Genève.

Se livrer à du lobbying pour minimiser la signification des crimes de guerre constitue une ingérence étrangère dans le travail de l’UE. Pourtant – du fait que Bruxelles est en train de devenir la capitale de l’hypocrisie – l’ingérence étrangère n’est mise au pilori que lorsque certains États s’y livrent, et pas d’autres.

Les hommes politiques qui ont accepté des cadeaux du Qatar risquent aujourd’hui d’être jetés en prison. Les hommes politiques qui acceptent des cadeaux d’Israël pourront très probablement continuer d’en profiter dans des hôtels cinq étoiles.

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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et  Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”. 
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).

Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ “arrestation citoyenne” à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité. 

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Publié le 27  janvier 2023 sur The Electronic Intifada  
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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