Des Palestiniens aux Américains autochtones : Le « rapatriement » des ossements indigènes

« Rapatriement » est un terme utilisé pour décrire le processus de restitution de restes humains et de divers types d’éléments culturels à des « descendants linéaires » et à des peuples autochtones, dont les Palestiniens.

Le « rapatriement » des ossements indigènes. Des Palestiniennes manifestent à Hébron pour réclamer d’Israël la restitution des corps des Palestiniens. (Photo : via QNN)

Des Palestiniennes manifestent à Hébron pour réclamer d’Israël la restitution des corps des Palestiniens. (Photo : via QNN)

 

Benay Blend, 21 février 2023

En décembre 2022, les corps d’au moins 118 martyrs palestiniens, dont celui de Yousef Suboh, se trouvaient dans des morgues israéliennes, alors que 253 autres étaient enterrés dans « les cimetières des nombres », où ils n’étaient pas honorés de leurs noms. Il est dit que leurs tombes sont si peu profondes que les bêtes sauvages peuvent aisément accéder à leurs dépouilles.

Dans une interview de Fayha Shalash, la mère de Yousef, elle explique qu’elle « déteste ouvrir le réfrigérateur ». Chaque fois qu’elle le fait, cela lui rappelle l’assassinat de Yousef par des soldats israéliens. « Je sens qu’il est froid », dit-elle. « Je sens sa douleur. »

Pourquoi Israël ne restitue-t-il pas les corps des martyrs ? « C’est une forme de torture psychologique », explique Mohammad Nassar, qui n’a pas vu son fils depuis 15 ans. « Chaque jour est un jour de douleur. Nous ne cessons d’imaginer qu’il pourrait toujours être en vie. »

Salwa Hammad, avocate et coordinatrice de campagne, explique que la principale raison pour laquelle Israël retient les corps est d’imposer un « fardeau psychologique » aux familles. Sans preuve tangible, elles gardent l’espoir que leur proche est toujours en vie.

Israël utilise cette tactique depuis le début des années 2000. Mervat Nahhal, du centre des droits Al Mezan, à Gaza, dit qu’aucun élément de cette stratégie ne respecte les lois internationales. Pourquoi commettent-ils des actes illégaux ? La réponse la plus simple est qu’ils le font parce qu’ils peuvent le faire. Dans une société irrationnelle, il est souvent très malaisé de trouver des intentions rationnelles.

Abordant la question en novembre 2019, l’ancien ministre israélien de la Défense Naftali Bennett avait proposé une justification ajustée au scénario de la propagande sioniste. Bennett prétendait que la rétention des corps existait en tant que « dissuasion contre le terrorisme », et il cataloguait donc toutes ces personnes décédées comme des terroristes qui n’avaient pas du tout volé leur mort. « Régulièrement, les forces de sécurité israéliennes gardent les corps des terroristes », a-t-il ajouté. Parfois les corps sont restitués mais,

« en d’autres temps, ils sont retenus – afin d’empêcher les funérailles commémoratives dans les villes natales des agresseurs, ou dans l’intention de les utiliser lors de négociations en vue de récupérer les corps de soldats israéliens détenus par des organisations terroristes. »

À Hébron, des femmes ont défilé contre cette politique en portant des écriteaux avec des photos de leurs enfants manquants. Ce faisant, elles ressemblaient aux Mères de la place de Mai lors de la sale guerre de la junte contre les subversifs en Argentine. Portant des écharpes blanches sur leurs vêtements modestes, les Mères avaient l’impression d’être à l’abri du danger du fait qu’elles jouaient leur rôle de mères mais, en même temps, elles dénonçaient ce qui était dissimulé aux regards du public.

Pour paraphraser les mots de Kwame Ture (Stokely Carmichael), afin que la résistance non violente soit efficace, l’oppresseur doit avoir une conscience. Ni Israël, ni le pays qui le soutient, l’Amérique, n’ont de conscience, de sorte que les femmes palestiniennes ne doivent s’attendre au moindre honneur de l’État. Le lendemain de l’enlèvement du Palestinien Muhammad Abu Khudair et de son enterrement par plusieurs jeunes israéliens alors qu’il était encore en vie, la députée de la Knesset israélienne Ayelet Shaked avait dit :

« Derrière chaque terroriste, il y a des douzaines d’hommes et de femmes, sans qui il ne pourrait s’engager dans le terrorisme. Ils sont tous des combattants ennemis et leur sang sera sur toutes leurs têtes. Maintenant, ceci comprend aussi les mères des martyrs, qui les envoient en enfer avec des fleurs et des baisers. Elles devraient suivre leurs fils, rien ne serait plus juste ! Elles devraient y aller, comme le devraient les maisons physiques dans lesquelles elles ont élevé les serpents. Autrement, d’autres petits serpents encore y seront élevés. »

« Elles doivent mourir et leurs maisons devraient être démolies de sorte qu’elles ne pourraient plus porter en elles d’autres terroristes »,

poursuivait Shaked.

« Ils sont tous nos ennemis et leur sang devrait être sur nos mains. Cela aussi s’applique aux mères des terroristes morts. »

Au vu de son appel au génocide des Palestiniens, il s’ensuit qu’Israël pourrait utiliser n’importe quelle forme de terreur, même illégale, pour torturer les familles des martyrs. Du fait qu’Israël et les États-Unis ont tous deux suivi une voie de destinée manifeste, un processus qui justifie le nettoyage ethnique des habitants d’origine, il s’ensuit qu’il n’y aurait que peu de respect dans chaque cas pour les restes des morts indigènes.

 

Dans le contexte des Américains autochtones, le rapatriement implique le restitution des restes humains et des objets culturels aux membres des tribus ou à leurs gouvernements quelques siècles (et non des décennies, comme c’est le cas en Israël) après qu’ils ont été initialement volés. Les restes étaient exposés dans des musées où les visiteurs les admiraient comme si les peuples indigènes s’étaient éteints.

Les ossements étaient ceux des autochtones tués au combat mais, parfois, des pilleurs de tombeaux les vendaient pour en tirer du profit. Alors que la propagande sioniste prétend que les Palestiniens n’ont jamais existé en tant que peuple, les colonisateurs des États-Unis ont pleuré ce qu’ils croyaient être « l’Indien en voie de disparition », une façon de faire qui, ironiquement, avait cours à un moment où la population des peuples tribaux augmentait.

En Israël, s’il n’y a pas de corps, c’est qu’il n’y a pas eu de peuple et l’existence des Palestiniens est ainsi gommée. S’il n’y a pas de corps, il n’y a donc pas de crime, bien que le rétention des corps des prisonniers soit illégale, d’après les lois internationales.

Répondant à la pression exercée par les professionnels indigènes, le Congrès a promulgué ce qui s’est appelé la Loi de protection et de rapatriement des tombes des autochtones américains (la NAGPRA – 1990), qui requiert que les musées restituent les restes humains et les objets enterrés à leurs communautés indigènes respectives. Comme l’explique Roxanne Dunbar-Ortiz, le gouvernement fédéral a antérieurement utilisé le terme de « rapatriement » pour demander le retour des prisonniers de guerre dans leur pays d’origine. « Les nations indigènes américaines sont elles aussi souveraines », écrit-elle, « et le Congrès a défini correctement les restitutions en tant que rapatriements » (An Indigenous Peoples’ History of the United States – Histoire des peuples indigènes des EU –, 2014, p. 207).

Le pillage de tombes se poursuit à ce jour. D’anciennes justifications de rétention institutionnelle de restes dans des caisses non cataloguées, ressemblant grandement aux « cimetières de nombres » israéliens, ont mis l’accent sur la nécessité de posséder des ossements comme « ressources » ou « données », mais rarement comme « restes humains », au profit d’études « scientifiques », défiant ainsi les droits des tribus à la souveraineté sur leur propre vie et mort (Dunbar-Ortiz, p. 231). Citant l’anthropologue Eric Davis, Dunbar-Ortiz écrit :

« C’est Davis qui prétend que l’identité indienne, et sa forme matérielle, le corps de l’indigène mort, fonctionne depuis longtemps et avec un pouvoir croissant en tant que fétiche marquant la possession de terre par ceux qui l’avaient déjà conquise. » (p. 232).

Les Américains autochtones ne disparaissent pas, pas plus que ne disparaîtront les Palestiniens. Leur résistance partagée est bien plus forte que leur expérience mutuelle de l’oppression. Écrivant sur cette solidarité, Ramzy Baroud décrit la « solidarité profonde » entre « les Palestiniens et les luttes de libération nationale, dont les luttes indigènes à travers le monde ». Les Palestiniens et les Américains autochtones portent les uns comme les autres le fardeau du colonialisme de peuplement, conclut Baroud. Néanmoins, leur solidarité ne s’appuie pas que sur un nettoyage ethnique mutuel mais aussi sur « leur fierté, leur résilience et leur quête incessante d’égalité et de justice ».

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Benay Blend a décroché son doctorat en Études américaines à l’Université du Nouveau-Mexique. Ses travaux universitaires portent sur : Douglas Vakoch et Sam Mickey, Éditeurs (2017), « Neither Homeland Nor Exile are Words : Situated Knowledge in the Works of Palestinian and Native American Writers » (Ni patrie ni exil ne sont des mots : Connaissance située dans les œuvres d’auteurs palestiniens et américains autochtones).

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Publié le 21 février 2023 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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