France : Un tribunal invalide l’interdiction – encouragée par Israël – d’une conférence sur la Palestine

En France, la liberté d’expression et les droits humains viennent de remporter une victoire importante. En effet, un tribunal de la ville de Nancy (préfecture de la Meurthe-et-Moselle, dans le Grand Est de la France) a invalidé un arrêté gouvernemental interdisant une conférence qui devait accueillir Salah Hamouri, l’avocat franco-palestinien et ancien prisonnier politique expulsé par les autorités d’occupation israéliennes de sa ville natale de Jérusalem, en décembre dernier.

 

Hasan Hamouri tient une photo de son fils Salah Hammouri, l’avocat franco-palestinien expulsé par Israël en décembre. Depuis son retour forcé en France, Salah a été exposé à un harcèlement incessant de la part du gouvernement français et du lobby pro-israélien.

Hasan Hamouri tient une photo de son fils Salah Hammouri, l’avocat franco-palestinien expulsé par Israël en décembre. Depuis son retour forcé en France, Salah a été exposé à un harcèlement incessant de la part du gouvernement français et du lobby pro-israélien. (Photo : Mahmoud Illean / AP Photo)

 

Ali Abunimah, 17 mars 2023

Le juge a qualifié cet arrêté d’« atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression ».

L’interdiction par le gouvernement français de cette soirée à Nancy – imposée à l’instigation de l’ambassade d’Israël – ne constitue que la dernière en date des attaques contre Hamouri dans le cadre d’une campagne incessante en vue de le réduire au silence et lancée par l’administration du président Emmanuel Macron et le lobby pro-israélien qui sévit en France.

La décision du tribunal est tombée jeudi soir, environ une heure avant le début annulé de l’événement, prévu sous l’intitulé « Un fils de Jérusalem expulsé par Israël de la terre de sa naissance » et cosponsorisé par l’Association France Palestine Solidarité et Amnesty International France.

La conférence s’est déroulée sans incident.

 

La veille, le préfet du département de la Meurthe-et-Moselle – un préfet est le plus haut représentant de l’Etat au niveau départemental – avait interdit la soirée, en la qualifiant de menace pour l’« ordre public ».

C’est le même prétexte que celui utilisé par le gouvernement pour tenter d’empêcher les autres apparitions de Hamouri à travers la France.

Le préfet, Arnaud Cochet, qui agissait sans aucun doute sur des instructions du ministre de l’Intérieur, appuyait ses allégations sur le fait que des organisations juives pro-israéliennes avaient annoncé une contremanifestation. Il avait également reçu des lettres de l’ambassade d’Israël à Paris, du consulat d’Israël à Strasbourg et de responsables élus le mettant en garde contre l’agitation qu’aurait suscitée l’événement.

Cochet a également interdit la contremanifestation pro-israélienne, bien que ce n’ait été guère révélateur d’un quelconque souci d’équité.

En annonçant une contremanifestation et en accroissant ainsi la possibilité de violence dans le but de provoquer l’interdiction gouvernementale, les organisations pro-israéliennes tentaient en effet d’exercer ce qui, dans le contexte américain, s’appelle un « heckler’s veto » (veto du perturbateur), une forme d’intimidation destinée à museler la liberté d’expression.

Comme le dit une définition,

on assiste à un « veto du perturbateur » quand le gouvernement accepte des restrictions de la liberté d’expression en raison des réactions anticipées ou réelles des adversaires de la liberté d’expression .

Les tribunaux américains, dont la Cour suprême, ont toujours décrété que de telles restrictions gouvernementales violaient la garantie de la liberté d’expression figurant dans le Premier Amendement de la Constitution américaine.

En France, la loi autorise des restrictions gouvernementales bien plus larges de la liberté d’expression face à une menace supposée contre l’ordre public, mais toutes mesures de restriction de la liberté d’expression doivent être « nécessaires, appropriées et proportionnées » afin de faire face à cette menace.

Le tribunal de Nancy a décrété que l’action du gouvernement ne répondait en aucun cas à ces conditions et que l’interdiction de présence de Hamouri constituait une

« atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et d’association ».

Le juge a également fait remarquer qu’aucune preuve n’avait été présentée que Hamouri ait fait la moindre déclaration interprétable comme incitant au désordre lors de ses apparitions en public dans d’autres parties de la France.

« Il est clair que le ministère de l’Intérieur prête une oreille bienveillante aux exigences de l’ambassade d’Israël et du CRIF [le principal groupe de pression pro-israélien en France], et à l’agitation et aux pressions des organisations pro-israéliennes locales qui ne peuvent digérer l’idée que des années de harcèlement judiciaire et ensuite son expulsion par Israël vers la France en décembre, ne sont pas parvenues à réduire au silence cet infatigable avocat de la cause palestinienne »,

a déclaré vendredi l’Association France Palestine Solidarité.

Alors que Hamouri était toujours détenu en Israël sans accusation ou procès et qu’il attendait son expulsion de sa patrie palestinienne, les autorités françaises avaient à plusieurs reprises dit à Israël que Hammouri

« devait être autorisé à exercer tous ses droits et à mener une existence normale à Jérusalem, la ville où il est né et où il réside ».

Mais, depuis son expulsion vers la France, l’administration Macron s’est acoquinée avec Israël et son puissant lobby en France dans une campagne concertée en vue de tenter de diffamer et de faire taire Hamouri en exerçant des pressions sur certains lieux pour qu’ils annulent ses apparitions en public ou qu’ils les interdisent carrément.

Cet effort, comme l’a confirmé le tribunal administratif de Nancy, comprend des restrictions illégales de la liberté d’expression et d’association qui n’ont leur place dans aucun pays qui se prétend une démocratie.

Les organisations de solidarité avec la Palestine ont appelé à un rassemblement à Paris ce vendredi afin de défendre la liberté d’expression et de témoigner sa solidarité avec la lutte de libération de la Palestine.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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Publié le 17 mars 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Trouvez ici aussi le précédent article d’Ali Abunimah, publié le 16 mars sur The Electronic Intifada   :

Encouragée par Israël, la France interdit à Salah Hamouri de prendre la parole

 

 

L’avocat palestino-français Salah Hamouri est cordialement accueilli à son arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle de Paris , après son expulsion par les autorités d’occupation israéliennes le 18 décembre 2022. Depuis lors, Hammouri est confronté à des restrictions et à un harcèlement incessant de la part des autorités françaises.

L’avocat palestino-français Salah Hamouri est cordialement accueilli à son arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle de Paris , après son expulsion par les autorités d’occupation israéliennes le 18 décembre 2022. Depuis lors, Hammouri est confronté à des restrictions et à un harcèlement incessant de la part des autorités françaises. (Photo : Lewis Joly / AP Photo)

Ali Abunimah, 16 mars 2023

Avant que Salah Hamouri soit expulsé de Jérusalem, sa ville natale, le gouvernement français avait fait tout un tapage autour du soutien qu’il lui accordait – du moins sur le plan verbal.

L’administration du président Emmanuel Macron avait fustigé publiquement Israël en disant que l’avocat palestino-français des droits humains « devait pouvoir exercer tous ses droits et mener une vie normale à Jérusalem, la ville où il est né et où il réside. »

Malgré ces protestations – sans effet – de Paris, les autorités d’occupation israéliennes ont soumis Hamouri à des années d’emprisonnement sans accusation ni procès et, finalement, elles l’ont expulsé vers la France en décembre dernier.

On pourrait penser qu’après avoir fait la leçon à Israël de cette façon, le gouvernement de la France – où Hamouri n’a jamais été accusé ni reconnu coupable du moindre crime – allait au moins vouloir poser un exemple en traitant son citoyen avec un minimum de respect pour ses droits fondamentaux, tant humains que politiques.

Mais, au lieu de cela, encouragée par Israël et son lobby, l’administration Macron soumet à son tour Hamouri à un harcèlement et des persécutions de style israélien qui se traduisent donc par l’annulation ou l’interdiction par décret gouvernemental des événements où il doit prendre la parole.

Selon Hamouri, mercredi soir, les autorités françaises ont interdit un événement auquel il était prévu qu’il participe ce jeudi dans la ville de Nancy (région du Grand-Est, en France).

Hamouri a déclaré à The Electronic Intifada qu’il percevait ces interdictions

« comme une extension de mon expulsion » par Israël et comme « une attaque contre la liberté d’expression ».

Arnaud Cochet, le haut responsable du gouvernement français dans la région (le Grand-Est) où se situe Nancy, a expliqué qu’il avait pris cette décision parce que l’annonce de l’apparition de Hammouri avait provoqué de « fortes émotions » au sein de la communauté juive et qu’elle présentait donc une menace pour l’« ordre public » – un prétexte fourre-tout que l’on utilise régulièrement de nos jours pour censurer Hamouri.

Cette attaque contre ses droits n’est que le dernier épisode d’une campagne en cours initiée par le gouvernement français.

 

Un coup de fil des renseignements

En février, s’il faut en croire le journal parisien Le Monde, un agent des services français de renseignement intérieur a téléphoné à un activiste de l’Association France Palestine Solidarité.

L’agent voulait savoir si Hamouri allait prendre la parole lors d’un événement public que prévoyait l’organisation en faveur des droits palestiniens un peu plus tard ce mois-là à Versailles, dans le but de discuter du rapport d’Amnesty International sur l’apartheid israélien.

« L’agent n’a nullement caché ses intentions », a rapporté Le Monde. Si Hamouri « devait être invité à l’événement, celui-ci serait interdit ».

Il se fait que Hamouri, fils d’une mère française et d’un père palestinien, n’avait pas été invité et que l’événement a donc eu lieu sans interférence de la part de la police secrète de Macron.

Au sein des organisations communautaires juives pro-israéliennes de France, parmi certains députés et au sein du gouvernement, Hamouri est perçu comme un « agitateur potentiellement dangereux », peut-on lire dans Le Monde.

Il est plus vraisemblable qu’ils craignent que Hamouri, en tant qu’avocat charismatique de la cause de son peuple et dont l’histoire personnelle interpelle, ne constitue un obstacle aux efforts de propagande israéliens en France.

Il est certain que le CRIF, la fameuse organisation communautaire juive en France, qui fait du lobbying pour Israël, joue un rôle actif dans la campagne de diffamation contre Hamouri – qu’il accuse d’être affilié au Front populaire pour la libération de la Palestine, un parti politique et organisation de résistance de gauche que les autorités d’occupation israéliennes ont désigné comme « terroriste ».


Une condamnation bidon

Le Monde écrit que ceux qui attaquent Hamouri font souvent remarquer qu’en 2005, les autorités d’occupation israéliennes l’ont arrêté et qu’en 2008, elles l’ont condamné pour avoir participé à un prétendu complot visant à assassiner Ovadia Yosef, un éminent rabbin israélien habitué à inciter à la violence génocidaire en vue d’« éliminer » les Palestiniens.

Yosef était mort en 2013.

Hamouri, qui a toujours affirmé son innocence, a été détenu pendant trois ans, sans accusation ni procès, avant d’accepter une négociation de peine avec le tribunal militaire israélien dans le but d’obtenir une sentence plus courte.

Quand il juge des Palestiniens, le tribunal militaire présente un taux de condamnation de près de 100 pour 100.

L’illégitimité de cette condamnation a toujours été bien comprise par les autorités françaises.

En 2011, Alain Juppé, à l’époque ministre français des Affaires étrangères, avait écrit que les accusations d’Israël dans cette affaire n’avaient « jamais été corroborées par le moindre élément de preuve ».

Pourtant, aujourd’hui, l’administration Macron traite Hamouri comme si c’était lui le criminel et non le régime d’occupation militaire qui l’a soumis à des années d’emprisonnement et à une expulsion finale de la terre de sa naissance.


L’interférence israélienne

En février, il était prévu que Hamouri prenne la parole lors d’un événement sponsorisé par la Ville de Lyon et marquant l’anniversaire des accords israélo-palestiniens d’Oslo, en 1993.

Au cours d’une ingérence grossière de la part d’un gouvernement étranger, l’ambassade d’Israël à Paris a écrit au maire de Lyon, en citant l’affaire Yosef et en invoquant avec cynisme le souvenir de l’Holocauste, afin d’exiger que la Ville retire ses billes de l’événement.

 

Le ministre français de l’intérieur, le pur et dur Gérald Darmanin est intervenu lui aussi en compagnie de responsables locaux afin d’exercer des pressions sur la Ville de Lyon pour qu’elle annule l’événement – ce qu’elle a fait.

Plus tard, Darmanin s’est vanté à l’Assemblée que, si le maire de Lyon n’avait pas annulé l’événement, il aurait sorti un décret l’interdisant de toute façon sous le prétexte qu’il aurait perturbé l’« ordre public ».

Le ministre a sorti plusieurs ordres d’interdiction semblables contre les organisations de solidarité avec la Palestine et les dirigeants musulmans en raison de leurs critiques contre Israël ces dernières années et, plus tard, ces ordres ont d’ailleurs été annulés par les tribunaux.

 

Amnesty International France, qui devait participer à l’événement lyonnais, a déclaré que

« les discours haineux contre Salah Hamouri sur les médias sociaux, parfois coordonnés, cherchent à l’empêcher d’exercer sa liberté d’expression ».

L’organisation des droits humains a fait remarquer qu’un peu partout en France, ces derniers mois, les événements relatifs à la Palestine avaient été annulés suite à diverses formes de pression équivalant à de la censure.

 

Néanmoins, le prétexte de l’« ordre public » a de nouveau été évoqué cette semaine afin de tenter d’empêcher le public français d’entendre les expériences de Hamouri en matière d’occupation et de persécutions militaires israéliennes.

Le 13 mars, le gouvernement français a fait usage de menaces et de pressions sur un événement à Poitiers, dans l’ouest de la France, afin d’annuler une réservation pour la même journée par une organisation de solidarité avec la Palestine à un événement auquel devait également assister Hamouri.

 

Citant la condamnation de Hamouri par le tribunal militaire dans l’affaire Ovadia Yosef, le représentant local de l’administration Macron, Jean-Marie Girier, a écrit :

« Déjà interdit de rassemblement à Lyon et à Paris, la visite de M. Salah Hamouri suscite une réaction forte de la part de la communauté juive. »

« J’exige (…) que vous preniez vos responsabilités et que vous annuliez cette conférence », a écrit Girier au directeur du Centre d’Animation de Beaulieu, un espace événementiel financé avec les deniers publics.

Le post-scriptum de Girier, rédigé à la main, renforçait le message, impliquant que, si l’événement n’était pas annulé, le gouvernement pourrait intervenir.

En fait, contrairement à ce que prétend Girier, aucune réunion impliquant Hamouri n’avait été interdite à Paris. Et l’événement de Lyon avait été annulé par la Ville même – quoique sous les menaces et les pressions du gouvernement.

Il est remarquable que, fin janvier, le tribunal administratif de Lyon ait même rejeté une requête émanant d’un groupe de pression israélien qui exigeait que l’événement fût interdit.

Mais, cette fois, les menaces du gouvernement avaient échoué et l’événement de Poitiers eut bel et bien lieu comme prévu.

 

 

Un incitateur israélien au génocide va débarquer en France

Pendant ce temps, comme l’a fait remarquer Elsa Lefort, militante des droits humains et épouse de Salah Hamouri, la France autorise une visite prévue de Bezalel Smotrich, (*) le ministre israélien d’ultra-extrême droite qui, récemment, a lancé un appel au génocide afin que la ville de Huwwara soit « balayée de la carte ».

 

Avec une certaine teinte d’ironie, Elsa Lefort a invité les gens à adresser à Darmanin des exemples des nombreuses déclarations racistes et violentes de Smotrich de sorte que le ministre de l’Intérieur « puisse faire plus ample connaissance avec ce grand humaniste ».

Bien que la France permette à cet incitateur de violente haine raciste et ethnique d’entrer sur son territoire, certains hauts dirigeants français n’ont pas l’intention, paraît-il, de le rencontrer eux-mêmes.

Cette semaine, au beau milieu de l’actuelle répression à Paris de supporters des droits palestiniens, 19 syndicats de travailleurs français, associations des droits humains et organisations sociales ont adressé à la Première ministre Élisabeth Borne une lettre invitant le gouvernement à mettre un terme à ses efforts en vue de museler les critiques à l’égard d’Israël, efforts qui sont souvent consentis sous le prétexte de la lutte contre l’antisémitisme.

Les organisations ont pressé Borne

« à agir d’urgence afin de faire cesser les menaces, le climat d’intimidation et de chasse aux sorcières au service d’un tiers pays qui viole jour après jour les droits humains et les lois internationales ».

Elles ont également invité la Première ministre à agir

« en vue de faire cesser les menaces et la diffamation à l’encontre de notre compatriote Salah Hammouri « 

 

(*) Suite à la mobilisation, la visite de Smotrich a finalement été annulée

 

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