Sabreen, une jeune mariée de Gaza, se noie à proximité des côtes grecques
Sabreen Wael Abu Jazar venait de se marier. Le mariage avait eu lieu en Turquie en février dernier. Sabreen, 23 ans, s’y était rendue – en passant par l’Égypte – après avoir quitté sa ville natale de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
Yasmin Abusayma (*), 21 mars 2023
Elle et son mari – lui aussi de Gaza – n’avaient pu passer que trois semaines ensemble. Il devait partir pour la Belgique, où le couple espérait se construire une existence meilleure.
Du fait que Sabreen n’avait pas les papiers d’identité nécessaires pour entrer dans l’Union européenne, elle allait devoir entreprendre un voyage très périlleux de façon à pouvoir rejoindre son mari.
Ce voyage allait s’avérer fatal.
Le 1er mars, était diffusée l’information que deux personnes au moins s’étaient noyées lors du naufrage d’un bateau au large de Kos, une île grecque.
Bien vite, on apprenait que Sabreen était l’une des victimes.
Le bateau, paraît-il, était « surchargé » et transportait 27 migrants, dont la plupart ont d’ailleurs été sauvés. Il était parti des côtes turques.
Selon la famille de Sabreen, son voyage avait été arrangé avec un passeur.
« Ma fille était une fille innocente »,
dit sa mère, Suha.
« Son seul et unique rêve était d’être avec son mari et de devenir maman. Elle voulait avoir des enfants et les élever dans un environnement de paix, loin des guerres d’Israël. »
Suha s’était entretenue avec Sabreen la veille de son voyage.
« Elle m’avait demandé de prier pour elle »,
dit Suha.
Jusqu’à présent, la famille n’a pas été en mesure d’organiser les funérailles de Sabreen, dont le corps n’a pas été encore été renvoyé à Gaza.
Une prémonition
Mahmoud Abu Tair, 27 ans, de la région de Khan Younis à Gaza, était sur le même bateau que Sabreen. Lui aussi s’est noyé.
Gradué en communications médiatiques, Mahmoud voulait être journaliste.
« Mon fils a vraiment retourné ciel et terre pour trouver du travail à Gaza »,
a déclaré son père, Bakr.
« Mais il n’a pas eu de chance. C’est la principale raison pour laquelle il a émigré. Il s’est d’abord rendu en Turquie et, là, il a travaillé pour une société [de vêtements]. Mais les heures de travail étaient longues et le salaire exécrable. »
Comme Sabreen, Mahmoud espérait atteindre la Belgique.
« Mahmoud nous avait parlé la veille »,
a expliqué Bakr.
« Il nous avait assuré que tout serait OK. Nous avons tenté de le persuader de revenir à Gaza. Mais il était bien décidé. Il a insisté en disant qu’il avait besoin de travailler dur de façon à pouvoir se marier et avoir une famille. »
Le corps de Mahmoud n’a pas été renvoyé non plus à sa famille.
« Mon seul désir est que son corps puisse être ramené à Gaza »,
a déclaré Bakr.
« Je veux l’embrasser si fortement et prier pour lui. »
Bakr comprend parfaitement pourquoi son fils a quitté Gaza.
« Cela fait 16 ans qu’Israël nous impose un blocus »,
a-t-il expliqué.
« Les mesures israéliennes ont anéanti nos rêves d’un meilleur avenir. L’émigration est devenue la seule solution, pour les jeunes qui cherchent une vie meilleure. »
Près de 74 pour 100 des personnes âgées de 19 à 29 sont sans emploi, à Gaza, même après avoir terminé l’enseignement secondaire ou l’université, selon les toutes dernières données du Bureau central palestinien de la Statistique.
Quoi qu’il en soit, Sabreen Wael Abu Jazar et Mahmoud Abu Tair n’étaient pas les premiers Palestiniens à se noyer à proximité des côtes grecques.
Trois autres personnes de Gaza sont mortes au large de Kos l’an dernier. Les trois hommes avaient décidé de nager de la Turquie à la Grèce, du fait qu’ils ne pouvaient pas payer les sommes réclamées par les passeurs.
Sans une amélioration considérable de la situation économique de Gaza, il est certain que d’autres jeunes encore se noieront en tentant de rallier l’Union européenne, un bloc qui ne cesse de faire preuve de cruauté envers les migrants.
Après la mort de Mahmoud Abu Tair, sa famille et ses amis se sont penchés plus attentivement sur un message de Facebook qu’il avait rédigé en novembre 2021.
Ce message pouvait s’interpréter comme la prédiction par Mahmoud de ce qu’il se noierait un jour ou l’autre. Le texte était conçu comme un message adressé à la mer
« après l’annonce de la nouvelle de (s)a mort ».
Mahmoud écrivait qu’il ne voulait pas polluer l’eau de mer et que, d’ailleurs, il avait plus faim que soif.
« Je ne suis qu’un homme, épuisé par la fatigue, le visage parcouru de rides »,
écrivait-il.
« Toute ma vie, j’ai souffert de la pauvreté. »
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(*) Yasmin Abusayma est écrivaine free-lance et traductrice. Elle est originaire de Gaza, en Palestine.
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Publié le 21 mars 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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