Israël attaque Al-Aqsa deux nuits d’affilée et malmène les fidèles présents sur le lieu saint
Pendant deux nuits d’affilée, les forces israéliennes ont mené des raids particulièrement violents sur le site de la mosquée, tabassant les fidèles et forçant les Palestiniens à quitter le lieu saint afin de faire de la place pour les pèlerins juifs célébrant la Pâque.
Mariam Barghouti, 5 avril 2023
Mercredi soir, la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem était remplie de fidèles musulmans venus faire leurs prières du soir lors du mois sacré de Ramadan. Plus tôt, au matin, des fidèles avaient été roués de coup et forcés de quitter les salles de prières de la sainte mosquée.
Mercredi, au milieu des prières du soir, les forces israéliennes avaient de nouveau envahi le site avec leurs armes et leurs équipements antiémeute, déclenchant ainsi, pour la seconde fois en moins de 24 heures, une attaque coordonnée et organisée contre les fidèles.
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Alors que les colons juifs israéliens se rassemblent sur le site de la mosquée pour les sacrifices d’animaux de la Pâque, les fidèles musulmans continuent d’être attaqués à l’aide de gaz lacrymogène, ils se font rouer de coups et arrêter avant d’être emmenés dans les cellules d’interrogatoire israéliennes, particulièrement sinistres, de Jérusalem.
Voici un survol des dernières 24 heures à Jérusalem.
La guerre à l’intérieur d’un lieu réservé à la prière
Dans les toutes premières heures de mercredi le 5 avril, juste après minuit, des soldats israéliens en armes ont envahi le site de la mosquée Al-Aqsa, dans la Vieille Ville de Jérusalem.
Les fidèles palestiniens ont été attaqués à l’intérieur du site même et de la mosquée Qibli, où les fidèles prient toute la nuit durant le mois sacré de Ramadan.
Des images filmées par des fidèles à l’intérieur du site et de la mosquée montrent les soldats israéliens en train de lancer des gaz lacrymogènes, de rouer les fidèles de corps et d’envahir en armes un lieu sacré. Selon des témoins oculaires et le Croissant-Rouge de Jérusalem, les forces israéliennes ont lancé des grenades incapacitantes, des gaz lacrymogènes et tiré des balles enduites de caoutchouc sur les personnes présentes.
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Vers 3 heures du matin, des rapports émanant des lieux ont montré que les forces israéliennes détenaient captifs des hommes et des garçons à l’intérieur de la mosquée Qibli, et ce, malgré les appels aux soins médicaux lancés par nombre de prisonniers blessés. Pendant ce temps, les attaques contre les Palestiniens et les confrontations entre jeunes et forces israéliennes se sont poursuivies à l’extérieur des murs de la Vieille Ville.
Les forces israéliennes interdisaient également aux journalistes de faire leur travail en les empêchant généralement d’entrer dans la Vieille Ville et plus particulièrement sur le site d’Al-Aqsa.
Vers 4 h 30, les forces israéliennes avaient déplacé leur offensive sur Bab Al-Asbat (la porte aux Lions), dans la Vieille Ville. Des vidéos et des images prises par des civils et des fidèles montrent les forces israéliennes occupées à pourchasser les jeunes près de la porte aux Lions afin de les arrêter et de les rouer de coups.
Vers 5 heures du matin, juste une heure avant la prière de l’aube – la première des cinq prières quotidiennes des musulmans – les soldats israéliens ont interdit l’entrée d’Al Aqsa à toutes les personnes de moins de 40 ans, selon des résidents de la ville.
Les forces israéliennes ont arrêté au moins 440 Palestiniens, la plupart, des résidents de Jérusalem et des personnes de citoyenneté israélienne, explique Mohammad Mahmoud, un avocat du Centre d’information Wadi Hilweh. Plus de 65 des personnes arrêtées étaient des enfants mâles et des mineurs d’âge. 379 des personnes arrêtées ont été relâchées à condition de se tenir à l’écart à la fois de la Vieille Ville et du site d’Al-Aqsa pendant une période qui sera déterminée ultérieurement par les tribunaux israéliens.
Tous les fidèles palestiniens n’ont pas été relâchés : 14 d’entre eux sont restés en détention jusque 17 h 30, mercredi. Quelque 47 Palestiniens avec des CI de Cisjordanie ont vu leur détention prolongée jusque vendredi 7 avril, date à laquelle ils seront auditionnés par le tribunal militaire d’Ofer, a encore expliqué Mahmoud.
Après le lever du jour, les forces israéliennes ont de nouveau envahi le site et on a pu les filmer en train de chasser brutalement les fidèles en train de prier.
The Israeli escalated attack on Palestinians' right to worship is a flagrant act of aggression that symbolises Israel's disregard for international law. pic.twitter.com/carMFt8m9k
— Ramy Abdu| رامي عبده (@RamAbdu) April 5, 2023
L’assaut de mercredi et la campagne d’arrestations massives font partie d’une offensive israélienne plus importante contre la liberté de mouvement des Palestiniens dans la Vieille Ville au cours du mois sacré. Jérusalem continue d’enregistrer le nombre le plus élevé de personnes arrêtées et emprisonnées politiquement par Israël, d’après la Société des prisonniers palestiniens. Depuis le début de l’année, plus de 2200 arrestations ont été rapportées, dont plus de la moitié (1200) pour la seule Jérusalem.
Outre les arrestations, les forces israéliennes ont blessé des douzaines de Palestiniens, lors de cet assaut nocturne. Selon le Croissant-Rouge à Jérusalem, le personnel médical a été empêché d’accéder aux blessés jusque 3 h du matin, et certains membres du personnel médical ont même été agressés.
Mercredi soir, moins de 24 heures après les premiers raids de l’aube, les soldats israéliens se sont lancés une fois de plus dans des raids contre la mosquée.
La réponse palestinienne aux assauts répétés
Les Palestiniens de toute la Palestine historique se sont mobilisés en réponse aux attaques israéliennes contre les fidèles d’Al-Aqsa, en organisant des manifestations de protestation dans les villes palestiniennes à l’intérieur même de l’État, entre autres à Umm al-Fahm et à Shefa Amr. Ces manifestations ont été brutalement réprimées par les forces israéliennes.
Dans les deux premières heures de l’attaque, les Palestiniens de sont mobilisés dans l’espoir de rejoindre les assiégés d’Al-Aqsa et de les défendre contre les attaques, comme le demandaient entre autres des appels émanant des mosquées de Jérusalem.
Pleads for help can be heard from several mosques in Jerusalem. Minarets are calling on people to rally and help those wounded inside Al-Aqsa Compound. According to the Red Crescent, Israeli forces are currently preventing medics from entering the scene. pic.twitter.com/i317V8XQod
— Mohammed El-Kurd (@m7mdkurd) April 5, 2023
À 2 heures du matin, les Palestiniens à citoyenneté israélienne d’Umm al-Fahm sont montés à bord d’autobus pour se rendre à Al-Aqsa. Des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza en état de siège ont également commencé à se rassembler à proximité des endroits occupés par les militaires et les colons israéliens. Les factions politiques palestiniennes, laïques, de gauche et islamiques, ont également appelé à faire face aux attaques.
Tout cela a eu lieu dans le contexte de l’accroissement d’activité des groupes de colons radicaux – tels que les Fidèles du Mont du temple, ou l’Organisation du Temple – qui se sont engagés à affirmer le contrôle juif sur le site Al-Aqsa, à reconstruire un « Troisième Temple » et à instaurer la pratique des sacrifices rituels sur les lieux mêmes. Mercredi, un groupe de Fidèles du Mont du Temple a essayé de pratiquer le sacrifice de la Pâque en immolant un agneau sur le site même de la mosquée.
« Nous lançons un appel à nos frères de partout, particulièrement à ceux des terres occupées en 1948 qui ont été sauvagement attaqués, ainsi qu’à nos frères de Cisjordanie et de Jérusalem »,
peut-on lire dans un communiqué de presse diffusé mercredi, vers 4 h 30 du matin, par Saleh Arouri, le vice-président du département politique du Hamas.
Très tôt mercredi matin, plusieurs roquettes ont été tirées depuis Gaza vers le sud d’Israël, en réponse aux attaques contre Al-Aqsa, ce qui a déclenché plusieurs frappes aériennes israéliennes qui, prétend l’armée israélienne, ont touché des cibles « militaires » à Gaza.
Mercredi après-midi, d’autres protestations ont été mises sur pied par les Palestiniens de citoyenneté israélienne à Haïfa, Acre, Sakhnin, Baqa Gharbiyeh, Arrabeh et d’autres localités encore.
Selon des prises de vue des protestations à Haïfa et Arrabeh, les Palestiniens ont scandé, en guise de soutien à Abu Obeida, le nom de guerre du chef des Brigades Izz al-Din al-Qassam du Hamas à Gaza. De tels slogans sont fréquemment utilisés par les Palestiniens pour signaler leur soutien aux confrontations armées.
En Cisjordanie, 22 exemples de confrontations palestiniennes avec les colons et soldats israéliens ont été rapportés ; entre autres des tirs à balles contre des bases militaires israéliennes, des jets de pierres contre des véhicules de l’armée et des perturbations dans les déplacements routiers des colons un peu partout en Cisjordanie.
Trois soldats israéliens ont été blessés en Cisjordanie, rapporte le site internet israélien Walla. Cela s’est passé lors de confrontations armées et d’offensives contre des soldats et des colons à Bethléem, Beit Ummar (Hébron), Naplouse, Jéricho, Tulkarem, Ramallah, Al-Bireh et Tubas en Cisjordanie.
De nouvelles promesses, mais toujours les mêmes vieilles pratiques
Les raids nocturnes contre Al-Aqsa ont été menés suite à des journées entières d’appels accrus de la part des groupes de colons israéliens, encouragés par le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, afin que les fidèles juifs se rendent en nombres importants sur le site d’Al-Aqsa pour y fêter la Pâque juive le 5 avril.
En janvier, Ben-Gvir avait promis la violence en disant :
« Les juifs graviront eux aussi le Mont du Temple et ceux qui nous menacent vont devoir affronter un poing de fer. »
Dans les jours qui ont précédé la Pâque, les Palestiniens ont appelé à accroître la présence à la mosquée, afin de combattre les plans des groupes de colons en vue d’accomplir leurs sacrifices rituels sur le site de la mosquée – une démarche qui est perçue comme extrêmement incendiaire au moment où le statu quo à Al-Aqsa a interdit la présence des fidèles musulmans sur le site.
Suite à l’attaque contre les fidèles, la police israélienne a prétendu que ses forces « appliquaient une interdiction » de prière nocturne à l’intérieur de la mosquée et qu’un certain nombre d’« agitateurs », qui « s’étaient barricadés » à l’intérieur de la mosquée étaient précisément occupés à violer cette interdiction.
Les fidèles qui se trouvaient à l’intérieur de la mosquée pratiquaient l’itikaf, le rite musulman consistant à s’isoler à l’intérieur de la mosquée afin de prier au cours des nuits de Ramadan.
Les attaques de mercredi ne pas les seules de leur espèce à Jérusalem et Al-Aqsa. Déjà en avril dernier, en 2022, les forces israéliennes avaient envahi Al-Aqsa et tabassé les fidèles, blessé plus de 150 et arrêté plus de 400 d’entre eux. La chose s’était répétée en août de la même année.
En mai 2021, les forces israéliennes avaient également envahi Al-Aqsa et agressé les fidèles, précisément au moment où les Palestiniens du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem, luttaient contre leur expulsion par la violence et la force des colons. Les attaques contre Al-Aqsa en 2021, associées à la lutte de Sheikh Jarrah, avaient en outre déclenché ce qu’on a surnommé l’Intifada de l’Unité, qui avait été suivie par une offensive israélienne de 11 jours contre la bande de Gaza, laquelle s’était soldée par la mort de plus de 250 personnes.
Mercredi après-midi, le ministre de la Défense Yoav Galant y est allé d’une évaluation spéciale de la situation en compagnie d’autres responsables de l’appareil sécuritaire israélien, dont le chef de l’état-major, le major général Herzi Halevi et le chef des services de renseignement israéliens, le Shin Bet, et des renseignements militaires, le major général Aharon Haleva.
Cette réunion avec Galant a conclu que les opérations entre les diverses forces de sécurité, dont la police, l’armée et les renseignements, permettraient la liberté de culte tout en empêchant également les confrontations à Al-Aqsa. Dans un même temps, les forces israéliennes ont reçu l’ordre de se tenir prêtes à affronter toutes les possibilités sur tous les fronts.
Il n’a aucunement été fait mention des invasions et de la violence des colons sur les lieux saints du culte. Des prises de vue sur les médias sociaux ont montré les colons qui tentaient d’introduire des animaux sur le site.
En même temps, le décideur politique israélien Ben-Gvir a diffusé un communiqué saluant les actes et le comportement de la police israélienne contre les Palestiniens. Ben-Gvir est également en contrôle direct de la police israélienne. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a confirmé son intention de maintenir le « statu quo ».
La réponse des dirigeants arabes
Les attaques contre le site d’Al-Aqsa ont provoqué un tollé dans le monde arabe et musulman, qui vénère la mosquée en tant que troisième lieu saint de l’Islam.
Mercredi, vers 3 heures du matin, des jeunes Jordaniens se sont rassemblés à proximité de l’ambassade israélienne à Amman pour condamner l’assaut de Jérusalem et ils ont scandé des slogans contre l’occupation israélienne ininterrompue.
Mercredi après-midi, le gouvernement jordanien a convoqué une réunion d’urgence de la Ligue arabe afin de dénoncer la poursuite de l’assaut et des violences à l’encontre des fidèles d’Al-Aqsa.
Depuis le 19e siècle, un accord de statu quo reconnaît l’autorité administrative de l’espace sacré telle qu’elle a été confiée au Waqf (= équivalent en gros de la fabrique d’église, chez les catholiques – NdT) islamique de Jérusalem, lequel est sous la garde de la Jordanie. Un traité de paix de plusieurs décennies, signé entre Israël et la Jordanie, reconnait à cette dernière la garde du site et autorise les visites de non-musulmans, mais pas la pratique des cultes non musulmans.
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a également diffusé des déclarations condamnant l’assaut contre Jérusalem et contre les fidèles, en faisant remarquer :
« L’Égypte tient Israël, l’autorité agissante de l’occupation, responsable de cette dangereuse escalade, qui sert à freiner les efforts de paix. »
Les deux gouvernements, jordanien et égyptien, ont organisé des sommets dans la ville jordanienne d’Aqaba et dans la ville égyptienne de Sharm El-Sheikh en février et mars de cette année, en compagnie des chefs des renseignements et appareils sécuritaires palestiniens et israéliens. Selon les rapports transmis aux médias, le but des sommets était de réduire les tensions et de restaurer la sécurité d’Israël au beau milieu d’une recrudescence des confrontations armées en Cisjordanie.
Vers 22 heures, heure de Jérusalem, les forces israéliennes ont une fois de plus envahi l’espace de culte musulman et se sont mises à rouer de coups les fidèles, de la même façon qu’un peu plus tôt au matin.
Les premiers rapports montrent les forces israéliennes en train de pourchasser des jeunes un peu partout sur le site en recourant à une violence excessive. Des témoins oculaires ont déclaré que les forces israéliennes avaient tiré au hasard des balles enrobées de caoutchouc sur les foules de fidèles.
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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine.
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Publié le 5 avril 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine