La Grande-Bretagne déclare la guerre à un slogan

Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre : manifestement, ce message clair et simple est indigeste pour les partisans les plus argents d’Israël. Au nombre de ces partisans figure la Grande-Bretagne.

Grande-Bretagne : Suella Braverman, la secrétaire d’État britannique à l’Intérieur, prétend avoir été indignée par les expressions de solidarité avec les Palestiniens.

Suella Braverman, la secrétaire d’État britannique à l’Intérieur, prétend avoir été indignée par les expressions de solidarité avec les Palestiniens. (Photo : via Twitter)

Kit Klarenberg et David Cronin (*), 24 avril 2023

 

Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre.

C’est un message simple qui touche tous ceux qui ont l’oppression en horreur.

Il est également inclusif. La revendication ne concerne pas la liberté en Cisjordanie ou à Gaza uniquement, mais toute la Palestine historique – la terre située entre le fleuve Jourdain et la mer Méditerranée.

Manifestement, ce message clair et simple est indigeste pour les partisans les plus argents d’Israël. Au nombre de ces partisans figure la Grande-Bretagne, l’État qui, par la Déclaration Balfour de 1917, a sponsorisé le projet colonial sioniste, dépouillant de la sorte les Palestiniens de leur liberté et de leurs autres droits fondamentaux.

Suella Braverman, la secrétaire d’État britannique à l’Intérieur, s’est plainte dernièrement de « protestataires prétendument anti-israéliens scandant avec impunité des slogans antisémites du genre ‘du fleuve à la mer’ ».

Estimer que l’aspiration à la liberté en Palestine équivaut à haïr les juifs est manifestement absurde. N’empêche que les arguments tout aussi manifestement absurdes d’Israël et de ses partisans sont néanmoins pris au sérieux par les élites dirigeantes de l’Occident.

Ainsi donc, on ne sera guère surpris si la Grande-Bretagne, qui protège prétendument la liberté d’expression depuis des siècles, s’en va en guerre contre un slogan.

Dans une interview accordée au journal pro-israélien The Jewish Chronicle, Braverman a affirmé que ce slogan était « totalement inacceptable », comme l’étaient les « personnes agitant des drapeaux d’organisations terroristes interdites, tels le Hamas et le Hezbollah ».

Et d’ajouter qu’elle s’attendait à ce que la police et les services de poursuites « agissent là où ils rencontrent ce genre de choses ».

 

Une attitude sélective…

Il est à remarquer que Braverman a réservé son indignation aux expressions de solidarité avec les Palestiniens ou au soutien de la résistance armée contre Israël. Elle n’a nullement l’intention de restreindre la parole du côté des avocats d’Israël.

Au cours de ces quelques dernières décennies, la Grande-Bretagne a publiquement soutenu de nombreux actes de violence de l’État israélien, dont l’attaque en 2006 contre le Liban et les offensives majeures à répétition contre Gaza.

L’interview de Braverman dans The Jewish Chronicle était destinée à promouvoir la formation d’une Jewish Community Police, Crime and Security Taskforce (Force d’intervention policière, criminelle et sécuritaire de la communauté juive).

La force d’intervention va examiner s’il est « nécessaire de revoir l’orientation de la police opérationnelle au vu des préoccupations partagées par la communauté juive », a déclaré le Home Office (ministère de l’Intérieur) actuellement dirigé par Braverman.

« Cela pourrait inclure une orientation concernant des slogans, banderoles et emblèmes spécifiques qui sont antisémites », a ajouté le Home Office.

Il s’avère que la force d’intervention aura une attitude sélective à l’égard de la communauté juive.

Il est hautement improbable que les juifs critiques envers Israël – et de nombreux Juifs britanniques le sont – participent à ce genre de tâche. Jusqu’à présent, le Home Office a simplement confirmé que la force d’intervention sera présidée par Braverman et composée d’« éminents dirigeants de la police, de ministres, du Community Security Trust (CST – Fondation pour la sécurité communautaire) et d’autres parties prenantes ».


… et trompeuse

Le CST est une organisation de lobbying pro-israélien.

Le foin qu’il a remué contre le slogan « du fleuve à la mer » est trompeur.

En 2021, il avait constitué un dossier dans l’intention de montrer que le slogan était extrémiste. Selon le dossier, Osama bin Laden d’al-Qaeda et Saddam Hussein, en Irak, avaient déjà utilisé ce slogan, comme l’avaient également fait le Hezbollah, le Hamas et le Djihad islamique.

 

Pourtant, en fait, le slogan fait référence à la géographie de la Palestine lorsqu’elle était sous la domination britannique, entre les années 1920 et les années 1940.

Si l’argument du CST est poussé jusqu’à sa conclusion logique, la compréhension historique britannique de ce qui constituait la Palestine était intrinsèquement antisémite.

En fait, le gouvernement britannique serait la cible appropriée de la vindicte du CST, s’il s’indignait vraiment à propos de questions fondamentales, dont l’idée que la Palestine s’étend du fleuve Jourdain à la mer Méditerranée.

Bien qu’il ne soit pas envisageable de décrire la carte de la Palestine comme antisémite, le soutien britannique à la colonisation sioniste était en effet motivé par un préjugé contre les juifs.

Arthur James Balfour qui, en sa qualité de secrétaire d’État aux Affaires étrangères, avait signé la déclaration portant son nom en faveur du mouvement sioniste, considérait les juifs comme une présence « étrangère et même hostile » en Occident. C’était précisément en raison de son attitude raciste qu’il estimait que les juifs devaient être encouragés à s’installer en Palestine.

Ce n’est pas une surprise si la récente annonce du Home Office a négligé de fournir le moindre contexte au soutien britannique à Israël ou à son idéologie d’État, le sionisme.

Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, le gouvernement entretient sciemment le mensonge selon lequel il y a quelque chose d’antisémite à vouloir la liberté pour les Palestiniens.

Suella Braverman raffole absolument de ce mensonge.

Dans son interview dans The Jewish Chronicle, Braverman a insisté sur son soutien à la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH-IHRA).

Cette définition tire son origine de discussion entre des responsables de l’Union européenne et des lobbyistes pro-israéliens. Elle confond la critique du racisme israélien et l’agression motivée par la haine des juifs.

Braverman a indiqué qu’elle voulait que le Home Office encourage le recours à la définition par les diverses institutions qu’il supervise, y compris la police.

Jusqu’à présent, les effets de la définition en Grande-Bretagne se sont surtout fait sentir su les campus universitaires. Elle a été utilisée dans des tentatives en vue de censurer et même de licencier des enseignants qui s’opposaient à l’oppression des Palestiniens par Israël.

Encourager la police à adopter complètement la définition pourrait potentiellement amener les choses à un nouveau niveau.

La Grande-Bretagne est-elle sur le point de transformer les appels à la liberté des Palestiniens en un délit criminel ?

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Kit Klarenberg est un journaliste d’investigation. Twitter : @KitKlarenberg.

David Cronin est rédacteur en chef associé de The Electronic Intifada.

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Publié le 24 avril sur 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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