Khader Adnan n’est pas un don Quichotte, c’est un patriote

Lors d’un événement en ligne, destiné à soutenir l’actuelle grève de la faim héroïque de Sheikh Adnan (il en était à son 79e jour de grève), organisé par le Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, son épouse a parlé avec passion de l’épreuve de son mari et de ce qu’il voulait.

 

À gauche, Sheikh Khader Adnan / À droite, l’épouse du Sheikh, Randa Musa (Umm Abdel-Rahaman), exhibant une affiche de son mari avec un texte en arabe qui dit : « La grève de la faim est la clé de ma liberté. »

À gauche, Sheikh Khader Adnan / À droite, l’épouse du Sheikh, Randa Musa (Umm Abdel-Rahaman), exhibant une affiche de son mari avec un texte en arabe qui dit : « La grève de la faim est la clé de ma liberté. »

 Quand Sheikh Khader Adnan, du Djihad islamique, a entamé une première grève de la faim, en 2011, les termes « détention administrative » sont entrés pour la première fois dans le vocabulaire de nombreuses personnes du monde entier. Son action est devenue la plus longue grève de la faim solitaire de l’histoire.

Il est question de détention administrative quand un État arrête et emprisonne un individu sans procès. Des organisations de défense des droits humains se sont rassemblées derrière l’action de Sheikh Khader.

Au bord de la mort, il avait finalement été libéré suite aux pressions locales et internationales et grâce à sa très étonnante volonté.

Les lois internationales permettent à un État de recourir à l’arrestation administrative

« uniquement en cas d’urgence et si un procès honnête peut être accordé au cours duquel la personne arrêtée pourra contester les allégations formulées à son encontre ».

Israël ne tient aucunement compte des injonctions et prétend qu’il agit de la sorte pour des raisons sécuritaires. En tant qu’État colonial de peuplement et État occupant, Israël est en permanence en état d’urgence, parce que les Palestiniens continuent de résister contre leur dépossession. Il n’y a point de paix pour les méchants…

Aujourd’hui, Sheikh Khader Adnan est en train de populariser d’autres termes – « arrestation et détention arbitraires » – c’est-à-dire la « privation de liberté » imposée mal à propos, injustement et sans prévisibilité. Dans le cas des Palestiniens, « arbitraire » ne signifie pas « illégalement » parce que la loi martiale imposée par Israël aux Palestiniens est injuste et constitue un instrument d’oppression.

Comme le dit le journaliste indépendant Jonathan Cook dans le documentaire « The Law and the Prophets » (La loi et les prophètes),

« l’histoire ici est une histoire gênante à entendre pour les publics occidentaux (…) ».

Cette gêne provient de la compréhension que leur conception de ce que défend Israël n’est rien d’autre qu’un écran de fumée savamment orchestré. Écouter ce que dit l’épouse de Sheikh Khader Adnan de son mari, qui en était à son 79e jour de grève de la faim, est très embarrassant, mais convaincant.

Le lundi 24 avril, un événement en ligne destiné à soutenir l’actuelle grève de la faim héroïque de Sheikh Adnan (il en était à son 79e jour de grève) a été organisé par le Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, créé en 2011 en réponse à l’appel de Sheikh Adnan lors de sa grève de la faim de l’époque. L’événement était intitulé : « Khader Adnan : Libérez-le maintenant ! Avec Randa Musa », ou Umm Abdel-Rahman, l’épouse du Sheikh.

Randa avait parlé avec passion de l’épreuve de son mari et de ce qu’il voulait. Avec à l’arrière-plan des bruits occasionnels provoqué par ses enfants (elle en a neuf, dont l’aîné à quatorze ans) et parlant sous la protection d’un niqāb, la pièce de vêtement qu’elle porte sur le visage par obligation religieuse, elle a détaillé de façon imagée l’horreur endurée par toute sa famille.

Voici quelques extraits de son témoignage :

Randa Musa. « Assalamu Alaikum : je m’appelle Randa Musa et je suis l’épouse de Sheikh Khader Musa. Mon mari est en grève de la faim depuis 79 jours aujourd’hui. Il y a peu de temps, nous avons eu des nouvelles de l’avocat qui lui avait rendu visite. On nous a dit qu’il s’était évanoui et qu’il avait été emmené à l’hôpital de Ramleh. Son état médical est pénible. L’administration carcérale refuse de l’envoyer dans un hôpital civil, elle refuse qu’il soit examiné par le personnel médical en provenance des organisations des droits de l’homme. La Croix-Rouge a la permission de lui rendre visite et tout ce qu’elle nous transmet au retour, ce sont des platitudes du genre ‘son état médical est pénible’, ou ‘nous lui avons rendu visite aujourd’hui, et il vous envoie ses salutations’.  —  Il n’y pas d’action efficace de la part de la Croix-Rouge. L’organisation se profile comme si elle collaborait avec le régime israélien.

« Il était prévu pour nous de rendre visite au Sheikh jeudi dernier, mais on nous a refusé cette visite au tout dernier moment en s’appuyant sur le fait que le Sheikh était en grève de la faim et qu’il n’était donc pas autorisé à recevoir des visiteurs, en guise de punition pour son action. Quand il a été arrêté le 2 mai, il a annoncé, dès cet instant, avant même de quitter la maison, qu’il entamerait une grève de la faim afin de protester contre son arrestation arbitraire. Ce qu’on sait du Sheikh, c’est qu’il est l’homme qui a initié le mouvement des efforts individuels de résistance via des grèves de la faim contre la détention administrative pratiquée par Israël, et il a été suivi dans cette action par un groupe d’autres prisonniers. Cette fois, le Sheikh savait qu’ils ne lui infligeraient pas la détention administrative une nouvelle fois.

« Il a été libéré en 2018 et arrêté de nouveau en 2023. Ç’aura été quatre années de liberté de par la grâce de Dieu suite à la grève de la faim. Avant cela, chaque fois que la détention administrative lui était appliquée, il était libéré un mois ou deux seulement avant d’être arrêté de nouveau. Aujourd’hui, il est en grève de la faim contre ce qu’on appelle la détention arbitraire. Il croit qu’il est un homme libre et la liberté s’applique bien à lui. Nous sommes des gens libres et les prisons n’ont pas été inventées pour nous.

« La détention administrative, telle qu’elle est utilisée par Israël contre les Palestiniens, est une arme. Quand une personne est arrêtée administrativement, elle est arrêtée ou réarrêtée en se basant sur un dossier secret émanant des agences de renseignement d’Israël. Le Sheikh a été arrêté cette fois-ci sur base des confessions d’autres personnes lors d’interrogatoires et c’est sur cette base qu’il a été accusé de délits. Le Sheikh lui-même refuse de prononcer un seul mot dès l’instant où ils l’arrêtent jusqu’au moment où il est libéré. Les accusations s’appuient sur les confessions d’autres personnes, et c’est une chose à laquelle il est facile d’arriver en Cisjordanie, particulièrement contre un individu qui est un chef, qui est actif et sociable dans tous les domaines. Il est facile pour ces gens de rassembler toute une série de confessions et de les transformer en une arme contre lui.

« Le combat du Sheikh contre l’occupation est peut-être bien le premier du genre et certains pourraient trouver la chose étrange. De nombreux journalistes, activistes, factions, personnalités publiques et nationales pourraient se demander comment un individu peut se dresser contre une occupation militaire. Ils voient les charges contre lui et supposent qu’alors qu’il avait pu être victorieux quand il était allé en grève de la faim en tant que détenu administratif, ceci est une situation de type différent, et il devrait abandonner la grève de la faim. Du fait que personne ne connaît mon mari comme moi je le connais, je leur dis ceci, à ces personnes : Si tout individu en Palestine décide de résister à son occupant en s’appuyant sur l’équation disant qu’un plus un font deux, alors, aucun d’entre nous ne sera en mesure de résister, de contrer l’oppression ou de manier un couteau et de poignarder quelqu’un à un check-point, ou de tirer une balle sur un char blindé, et personne ne descendrait sur Al-Aqsa ou n’irait se frotter à eux dans des corps-à-corps.

« C’est parce que l’équilibre des forces est trop grand en faveur de l’occupant, comme nous le savons. La technologie et les capacités sont dans le camp de l’occupant ; l’UE et les grandes puissances le soutiennent – toutes sont dans son camp. Ainsi donc, si nous considérions la résistance comme une équation, nous ne résisterions aucunement, alors. Nous avons une foi profonde et sûre dans le fait que nous sommes les propriétaires de cette terre et que notre droit de résister est indéniable ; c’est-à-dire que nous ne nous sentons pas désolés sur une route en raison de la rareté des voyageurs. Si personne n’a entrepris cette démarche avant nous, cela ne veut pas dire qu’elle est incorrecte. Puisse-t-il être victorieux cette fois, autant qu’il l’a été lors des fois précédentes, si Dieu le veut !

« Hier, il y a eu une brève audience, un appel à relâcher le Sheikh sous caution. Quelques minutes plus tard, nous étions à l’intérieur et en dehors de la salle d’audience. Néanmoins, le Sheikh s’est évanoui à quatre reprises durant la procédure. Il n’était pas présent physiquement dans la salle ; il était dans une conférence vidéo. Quand ils l’ont ranimé après la quatrième fois, tout ce qu’il a dit, c’est qu’il aimerait parler à Umm Abdel-Rahman. Franchement, c’est tout ce que j’ai pu faire : me contrôler ou même me tenir sur mes jambes, après l’horreur de ce que je voyais. D’abord, il y avait la façon dont il regardait ! Son aspect rassemblait à celui des Compagnons de la Caverne [un groupe de personnes cité dans le Coran, NdT], comme si un être humain était resté dans une grotte pendant 79 jours et qu’il venait tout juste d’en émerger. Ses cheveux étaient longs, ainsi que ses ongles. Il portait une moustache et une très longue barbe. Ses vêtements étaient sales. Le Sheikh ne s’était pas changé depuis le jour de son arrestation. Il n’avait pas pris de bain depuis 79 jours. Le Sheikh n’avait plus vu le soleil depuis 79 jours. Le Sheikh n’était plus sorti de sa cellule de prison depuis 79 jours, malgré son état physique déplorable. Sa cellule fait 8 mètres carrés.

« Selon des gens du personnel médical des droits humains qui sont parvenus à lui rendre visite hier, son lit dans la cellule grouille de punaises qui le mordent et le torturent sans arrêt. Il y est particulièrement sensible et il dort sur le sol afin d’essayer de leur échapper. Après avoir refusé la caution, la juge dans la salle d’audience à dit au Sheikh : « Il y a une sonnerie, dans votre chambre, et vous pouvez appuyer dessus chaque fois que vous vous sentez en danger. » J’ai appris plus tard que cette sonnerie se trouve près des toilettes et qu’elle n’a rien de pratique. C’est comme si quelqu’un sur le point de tomber ou d’entrer dans un coma saurait à l’avance quand cela va se produire puis consacrerait des heures, voire des journées entières à ramper vers la sonnerie pour de l’aide. C’est un mépris total des âmes humaines. Même si les cellules sont sous surveillance permanente des caméras, les administrateurs de la prison se moquent pas mal de savoir que le prisonnier est en train de mourir ou pas.

« Revenons sur le sujet de la salle d’audience. La situation était très difficile. Quand je me suis levée pour m’adresser au Sheikh, ses jambes se sont figées et il a levé la tête, qui a ainsi renversé son siège vers l’arrière et lui s’est renversé aussi. C’était une scène horrible. De toute ma vie, je n’ai jamais vu une telle chose ni n’ai eu mal pour lui de cette façon. Je n’ai jamais autant eu peur pour le Sheikh que hier. Sa chute s’est traduite par un nouvel évanouissement, puis ils l’ont fait sortir en chaise roulante et l’audience s’est terminée de cette façon. Je suis restée au tribunal pendant une heure et demie, comme on me l’a raconté, couchée comme égarée sur le sol, avec eux qui tentaient de me ranimer en me faisant la respiration artificielle. Ils n’ont pas appelé d’ambulance pour m’emmener à l’hôpital. Ils ont attendu et se sont arrangés avec une ambulance palestinienne et j’ai pu être emmenée à l’hôpital où j’ai été soumise à toute une série d’examens. On m’a dit que j’avais fait une dépression nerveuse et une légère attaque. Je ne me soucie pas de ce que peut être mon état médical. Une fois que j’aurai mangé et bu, ma santé reviendra. Mais je retourne vers la crainte et la douleur dans lesquelles nous vivons. Le Sheikh se trouve entre le martyre et le martyre à tout moment. Chaque sonnerie du téléphone provoque de l’anxiété ; chaque nouvelle information provoque de l’anxiété.

« Que veut l’occupation de Khader ? Je présume qu’ils veulent qu’il meure. L’agent des renseignements israéliens qui est venu l’arrêter me l’a dit : ‘Vous pensez que je suis heureux de venir ici pour l’arrêter ? Mon souhait le plus sincère est de lui éclater la tête d’une balle, parce qu’il peut faire bouger un pays d’un simple signe du doigt.’ L’agent faisait allusion à tous les ennuis que Khader leur valait. Aux enfants, il a dit : ‘Le Sheikh déclare ouvertement qu’il est dans une affaire de sang versé et il inspire les jeunes afin qu’ils commettent des actes de résistance en Israël même.’ Il a dit cela aux enfants qui étaient présents dans la chambre où ils ont arrêté Khader. Comment pouvez-vous imaginer ce que ressent une mère quand ses enfants entendent de telles choses à propos de leur père ? Vous attendez-vous à ce que l’occupation s’inquiète de la condition médicale du Sheikh, qui est actuellement en leurs mains, qui est en grève de la faim depuis 79 jours et qui s’écroule maintenant dans des accès d’évanouissement ? Bien sûr que non !

Mais ils ne briseront jamais notre résolution et notre sumud, notre résilience. Le Sheikh croit que l’occupation peut être vaincue et qu’elle le sera effectivement, malgré le déséquilibre des forces. Ne permettez à personne de vous dire autre chose ! »

 

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Publié le 27 avril 2023 sur le blog de Rima Najjar
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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